Tous les matins, le même rituel en arrivant dans la classe
de ma fille. Elle enlève son manteau, elle accroche son étiquette sur « mange
à la cantine mais ne reste pas au goûter » puis elle décide d’une activité
à faire ensemble.
Au choix : jeu de construction, livre, dessin ou
puzzle. Ces moments sont aussi précieux pour elle que pour moi, sorte de sas de
compression, de parenthèse enchantée avant la journée qui commence. Pour
quelques instants, je laisse dehors les questionnements, les doutes, la maison
vide qui m’attend au retour et je ne pense qu’à elle, à nous, à cette activité
que nous allons partager. J’ai beaucoup de mal à vivre l’instant présent en
général : je suis soit dans l’après (« qu’est ce que je vais faire à
manger, qu’est ce que je vais écrire, qu’est ce que je vais devenir ») ou
dans l’avant (la nostalgie des instants passés, forcément idéalisés). Ma psy de
l’époque m’avait donné cet exercice extrêmement difficile à faire
au quotidien: essayer de me recentrer dans l’"ici et maintenant" dès que je sentais mon esprit divaguer. Me raccrocher aux odeurs, au toucher pour m’ancrer dans le
réel, ne faire qu’une chose à la fois mais la faire intensément. J’y arrive
rarement, mon esprit et mes mauvais démons reprenant souvent le dessus.
Sauf
lors de ces quelques instants volés avec ma fille, lorsque j’ai sa petite main
dans la mienne. Ils sont d’autant plus précieux que j’en connais la valeur.
Dans ma vie d’avant, je n’avais jamais le temps. Je déposais mon fils en
courant, un baiser sur la joue et j’étais partie. Ma tête et mon cœur
étaient déjà ailleurs, pris par les contingences du quotidien.
Aujourd’hui, consciente de ma chance, j’ai le cœur serré en
croisant tous les matins les mêmes enfants, arrivés les premiers dans la classe
et déposés en coup de vent par des mères travaillant tôt. 3 petits qui jouent
tout seuls, faute de parents qui ont la chance d’avoir autant de temps que
moi.
Il y a la petite Sacha, avec un sourire grand comme ça et
des nattes pleines de perles de toutes les couleurs qui m’accueille tous les
matins en me gratifiant d’une énorme baiser sur la joue. Puis le petit Owen,
plus timide mais que l’on devine en recherche d’affection. L’autre jour, il a
grimpé sur mes genoux sans rien dire et s’est blotti dans mes bras. Un petit
moment de grâce que je n’ai pas osé troubler.
J’ai toujours eu une relation particulière avec les enfants,
quasi-magnétique. Comme si ils reconnaissaient en moi leur pair et voyaient
derrière le masque de l’adulte l’enfant toujours vivace. Je ne compte plus le
nombre de fois où ils sont venus spontanément me tenir la main, me chercher ou
me solliciter alors que je ne les connaissais pas. J’avais d’ailleurs pensé un
temps à devenir professeure des écoles. Je garde des souvenirs émus de mes
stages et des lettres touchantes que m’avaient écrites les élèves. Je ne me
sentais d’ailleurs pas à ma place sur l’estrade, beaucoup plus à jouer dans la
cour avec les enfants (ce qui m’avait valu une réflexion de la
directrice qui estimait que je ne laissais pas assez de distance affective
entre eux et moi).
Je crois que j’aurais assez de place dans mon cœur pour
aimer tous les enfants de la terre.
A quelques jours de mon 39eme anniversaire,
la question enfouie du 3ème enfant a d’ailleurs refait
subrepticement surface dans mon esprit.
Je ne suis pas du tout sûre que le projet dépassera le stade
de l’idée mais j’aime la possibilité de me dire que c’est faisable, que j’ai
encore le luxe de me poser cette question.
Depuis, je pèse et soupèse mon idée comme une pièce d’or que
l’on tiendrait entre les mains. Rêver de ce qu’on pourrait en faire est bien
plus fort que le simple fait de la dépenser.
La possibilité d’un enfant suffit
à mon bonheur je crois.
Extrêmement émouvant, aux larmes... et c'est magnifique de garder l'enfant que nous avons dû parfois enfouir en nous-mêmes; les enfants savent très bien identifier chez l'adulte que nous leur montrons ce trésor de l'enfance qui nous reste et qu'ils savent découvrir instinctivement.Ce n'est pas un hasard...Félicitations et merci pour cette confession de tendresse!
RépondreSupprimerTrès émouvant. Je ne sais pas si j'ai déjà commenté mais je te lis très souvent.
RépondreSupprimerMerci à tous les 2 pour vos commentaires! ravie de voir que ce texte a fait écho chez vous!
RépondreSupprimerPas encore maman en ce qui me concerne, mais la question de devoir les déposer en courant pour continuer à faire "carrière" est une de celles qui me taraude le plus. Moi aussi très émue par ton texte
RépondreSupprimerJ'ai un peu noirci le tableau hein, ce qui compte c'est la qualité du temps passé, pas la quantité!
SupprimerIl y a toujours le temps pour la carrière, moins pour l'enfance qui file. On est toujours dans la culpabilité, est ce que ça changera un jour ?
RépondreSupprimerMa mamy adorée disait que rien ne la bouleversait plus que le geste de l'enfant mettant sa main dans la sienne, témoin de la confiance absolue et infinie...
En effet, je crois qu'on est toujours dans la culpabilité en tant que femmes...ta mamie avait bien raison!
Supprimer<3 <3 <3
RépondreSupprimer(la possibilité du 3ème, je la caresse TRES souvent)
Je crois que le 3ème reste un idéal pour beaucoup!
SupprimerPuis arrive le temps où on aimerait y "retourner" pour en profiter encore plus, le temps où ils s'échappent, nous échappent ...il faut profiter d'eux, à chaque instant... Une maman d'une fille de 25, une de 22 et un fils de 18 ans
RépondreSupprimerEt voilà j'en ai les larmes aux yeux :)
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