Je n’ai jamais vraiment pris conscience du déracinement, de
la violence de l’exil subi par les 2 côtés de ma famille jusqu’à il y a peu.
Pour moi, mes parents et grands-parents avaient passé une
grande partie de leur vie en France et c’était cela qui comptait. Côté maternel
comme paternel, ils n’étaient jamais larmoyants et toujours très dignes quand
ils me parlaient de leur vie d’avant.
De l’Algérie, qu’ils ont quittée en 1951, ils m’ont
seulement raconté les grandes ruelles blanches, les terrasses où on faisait sécher
le linge, le pont suspendu de Constantine. De la Roumanie paternelle, je ne
savais pas grand-chose. Ma grand-mère me parlait souvent de la Bessarabie dont
elle était originaire et de ses nombreuses invasions. J’imaginais alors des
cosaques armés de longs sabres scintillants, cintrés dans des uniformes
clinquants, des drapeaux et des écritures cyrilliques.
Cette vision édulcorée et folklorique me suffisait. J’étais
française, avec un prénom et un nom on ne peut plus français, j’avais mes
racines dans ce pays.
C’est très prosaïquement en organisant les vacances de mes
enfants il y a quelques temps que j’ai réalisé que ces racines n’étaient
finalement que de malingres radicelles restées à la surface de la terre. A la
différence de nos amis français depuis plusieurs générations, nous n’avions pas
de maison de famille dans laquelle nous aurions pu construire nos souvenirs,
pas de lieu familial ou de point de chute dans lequel notre arbre généalogique
aurait pu prendre ses racines. J’enviais ces lieux habités par l’histoire des aïeux,
ces placards remplis de jouets anciens et de vêtements sentant la naphtaline. J’imaginais
la sérénité créée par l’habitude, les souvenirs tissés d’une année à une autre,
les portraits rassurants des ancêtres au mur. Nous n’étions finalement que des
juifs errants.
L’année dernière, mes parents ont déniché une petite maison
à louer, au cœur de la côte Normande à Villers sur mer. Nous y avons passé 2
semaines fabuleuses. Outre le plaisir d’être ensemble, je crois que nous avons
trouvé notre terre d’adoption et un lieu où construire nos souvenirs. Les courses au marché du coin le matin, la
pêche à la crevette, la tente que l’on loue, la gaufre en bord de mer ont été
autant de fils rouges qui ont permis de tisser notre histoire familiale jusqu’ici
décousue.
En rouvrant la maison cette année, nous avions le cœur
gonflé par le plaisir des retrouvailles. Qu’il était réconfortant de retrouver
les mêmes objets à la même place et de constater que certaines choses sont
immuables ! Comme un rituel rassérénant, j’écoutais mes enfants énumérer
« tiens, le marchand de glace est toujours là » « on ira
ramasser les fossiles comme l’année dernière ? » « le fraisier a
encore fleuri».
Les retrouvailles ont aussi ce petit goût doux-amer du temps
qui passe : l’année dernière, en ces mêmes lieux, ma fille n’arrivait pas
à grimper l’escalier qui mène à la maison toute seule et portait encore des
couches. Mon fils commençait tout juste à lire et s’inquiétait de son passage
au CP. Mon père, insouciant, fumait cigarette sur cigarette dans le petit
jardin attenant sans savoir que quelques mois après, il ferait un infarctus.
Les lieux immuables ont ceci d’impitoyable qu’ils nous
ramènent inexorablement au temps qui passe.
Mais ils nous donnent aussi des racines et des ailes.
Une larme en pensant au Touquet qui m'a vue enceinte de Sarah et à cette fabuleuse maison qui l'a vue dans un transat, puis faire ses premiers pas dans le Youpala, année après année, elle a finit par monter les escaliers en bois toute seule. Les 4 terreurs photographiés sur la plage au même endroit pour le rituel annuel ! Les couleurs, les odeurs ! Et oui, le pin a donné beaucoup de pommes de pins dans l'allée cette année ! Et les balades à vélo, et les glaces de la Rue Saint Jean, le Chat bleu et ses chocolats ! Ce sont les plus belles années et les plus belles racines que tu offres à tes enfants. Magnifique texte ma Soso !
RépondreSupprimerMerci ma Soso, bien évidemment j'ai pensé à toi en écrivant ce texte, nos trajectoires et nos points de chute se ressemblent étrangement!
RépondreSupprimerTrès beau ton billet... C'est un truc qui me manque aussi une maison de famille. Mes arrières grands-parents ont fui les pogroms et sont venus en France il y a plus de 100 ans mais pourtant personne depuis n'a acheté de maison. Peut être qu'ils pensaient toujours que s'il fallait fuir à nouveau ce serait plus simple, je ne sais pas, c'est moi qui extrapole car même mes grands parents ont préféré l'appartement mais eux ils ont fui les nazis... J'ai envie d'avoir une maison pour ça, pour transmettre et que la famille en profite.
RépondreSupprimerTrès joli texte...
RépondreSupprimerTon article est magnifique et je comprends tout à fait cet sensation, en me^me temps que je me délecte de ta plume et de l'évocation de la réouverture d'une maison de vacances et de la pêche à la crevette ! :D
RépondreSupprimerCe n'est pas pour rien que les juifs insistent tellement sur les études et la transmission.
RépondreSupprimerNos racines sont dans nos têtes.
J'ai des souvenirs par milliers de maisons dans lesquelles je n'ai jamais mis les pieds, et que je pourrais pourtant te décrire pièce par pièce...
Mon grand père me disait: "Remplis ta tête. Tant que tu sera en vie, ils ne pourront pas t'enlever ce qu'il y a dedans."
Et ce qu'il y a dans nos têtes nous donne des ailes...
A défaut de maison de famille.
Merci a tous pour vos jolis commentaires, je suis très touchée!
RépondreSupprimerUn billet fait de douceur et de souvenirs... très joli. Notre vie est balancée entre passé et étapes à construire... Je te souhaite de belles années à venir, par exemple en côte normande !
RépondreSupprimerNathalie
Merci beaucoup Nathalie!
SupprimerQuel joli texte... Tout est si joliment dit! C'est très émouvant de lire vos mots, ils sont si justes!
RépondreSupprimerMerci Sophie pour vos beaux textes, que je lis régulièrement, sans avoir commenté jusqu'à présent.
RépondreSupprimerCe qui me pousse à le faire aujourd'hui c'est le magnifique commentaire d'"Anonyme", à qui j'aimerais dire qu'il (elle) m'a beaucoup touchée.
"Remplis ta tête. Tant que tu sera en vie, ils ne pourront pas t'enlever ce qu'il y a dedans."
Je me souviendrai de cette phrase, longtemps. Merci.
Merci Valerie!vous avez raison, c'est une très belle phrase a laquelle je pense beaucoup depuis hier.
RépondreSupprimerMerci pour votre commentaire sur mon commentaire inspiré par le joli texte de Sophie.
RépondreSupprimerJ'espère que quelque part, mon grand-père, mort en 1984, sourit de voir ses conseils cités et appréciés sur le web en 2012...
C'est un tres beau texte.
RépondreSupprimerEt je me rends compte un peu chaque jour que je continue sur cette voie de n'habiter nulle part et partout et d'etre de tous ces pays a la fois. parfois je reviens a paris et je mets qqs secs a me dire en fait c etait chez moi
je n'ai jamais trouve ta maison de vacances mais peut etre a l'avenir... je la trouverai aussi et je saurai ou j habite par la meme occasion...