Les jours sans
Se lever, boule dans la gorge, en se demandant, embrumée,
« quel jour on est ? ». Accompagner sa fille à l’école en pilote
automatique, la tête dans ses pensées.
Regarder les autres mères, apprêtées et volubiles embrasser
leur enfant rapidement et partir vers leurs autres vies.
Essayer de deviner lesquelles : avocates ? Comptables ?
Comédiennes ? Dans ces cas-là, quoi qu’elles fassent, je les envie.
Retrouver l’appartement vide, fantomatique. Ranger les
tasses du petit déjeuner, faire tourner une machine.
Essayer de pondre un article pour le blog. Accouchement
difficile, épisiotomie nécessaire mais c’est mieux que rien.
Un coup d’œil sur Facebook : les vies des gens,
joliment enveloppées sous cellophane, m’exaspère. Sur Twitter, pas mieux, les
trending topics me donnent la nausée, entre homophobie et antisémitisme.
Couper tout.
Déjà midi.
Faire chauffer un plat Picard ou les restes de la veille.
Repenser avec nostalgie à la cantine de son ex-boîte, à la
caissière qui me disait « vous êtes ma meilleure cliente ! ».
Manger pour s’alimenter, sans grand plaisir, par nécessité.
Retrouver son ordinateur, la tête vide, les jambes coupées.
Démarcher ? Pas envie. Ecrire ? Pour qui, pour
quoi ?
Envie d’un café, moi qui n’en bois jamais, juste pour
discuter autour de la machine à café.
Repenser à ses anciens collègues, ne se souvenir que du
meilleur, de ces fou-rires, de ces moments de partage, de ces mains tendues qui
m’ont aidées à tenir.
Se dire que c’est une folie d’avoir quitté la World Company.
Que même si ce n’était pas drôle tous les jours, j’avais la sécurité de
l’emploi, un salaire fixe.
Qu’est ce que je croyais ? Qu’on m’attendait à
l’extérieur, qu’on allait me dérouler le tapis rouge ? Comme si j’étais la
seule à avoir envie de vivre de ma plume…
Faire une brioche pour se changer les idées.
Les mains dans la farine, se concentrer sur l’ici et le
maintenant.
Laisser la pâte (et mon esprit) reposer.
Confondre la fonction étuve de mon four avec la fonction
grill.
Retrouver un morceau de charbon en ouvrant la porte du four.
Vraiment un jour sans.
Les jours avec
Se réveiller avant l’heure, la tête foisonnant d’idées.
Se précipiter sur son ordinateur pour les fixer avant
qu’elles ne s’évaporent, pendant que la maisonnée dort encore.
Entendre, depuis le bureau, les respirations profondes des
enfants. Se dire que c’est un petit miracle.
Accompagner sa fille à l’école, sa petite main chaude dans
la mienne.
Refaire le monde, fixer son petit rire cristallin à jamais
dans mon esprit.
Voir les autres mères, pressées, fanées, partir vers leur
autre vie.
Se dire qu’on a de la chance d’avoir échappé à tout ça.
Boire un café avec les mères des copines de ma fille. Se
réchauffer le corps et le cœur.
Retrouver la maison vide, apprécier le calme, la sérénité.
Se presser des oranges. Se faire griller du pain.
Sortir de la machine le linge qui sent bon la fleur
d’oranger.
Mettre en ligne un article sur le blog écrit la veille.
Voir les commentaires affluer, y répondre attentivement, se
sentir rassérénée, revigorée.
Lire les statuts sur Facebook, sourire, avoir le cœur pincé,
vibrer. Ressentir des bouffées d’amour et de reconnaissance pour ces amis,
cette famille qui est là pour moi, quoi que je fasse.
Lire les messages sur Twitter, tous ces yeux invisibles qui
me parlent, me répondent, réagissent et me soutiennent.
Ne plus jamais se sentir seule.
Recevoir des propositions de boulots. On a pensé à moi. On
aime beaucoup ce que j’écris.
Déjà midi.
Filer retrouver ma mère ou une copine pour un déjeuner.
Refaire le monde, recharger les batteries, prendre le
soleil.
Passer à la librairie du coin faire le plein de livres.
Les acheter sans réfléchir, sans culpabiliser, parfois juste
parce que j’ai aimé la photo en couverture.
Rentrer à la maison.
Finir son article, avancer sur son autre projet.
Lire ses mails.
Découvrir que l’on a gagné un concours d’écriture et la tablette qui va avec.
Découvrir que l’on a gagné un concours d’écriture et la tablette qui va avec.
Se dire que l’on a bien fait de changer de vie,
définitivement.
Vraiment un jour avec.
Merci à tous ceux qui ont permis à mes journées d’être
« des jours avec » : ma mère, Juju, Guy, Nicole, Joanne, Miko,
Audrey, Guetty, Muriel, Agnès, Deborah, Delphine, Morticia, Sophie, Audrey L.
(et bientôt R !), Vanille, David, Virginie, Fielus, Cécile&Co, Amandine,
Clim, ma ptite Val, Carole, Cédric alias Gentilchanoir, Tatiana et Natacha, Pimpette
Dunoyer, Corinne Dillenseger, Dan Dhombres, Anne-Charlotte, Sarah-Pearl, Elooooody, Euterpe,
Gregatort, Delphine D., Doudette, Fred Gosselet, Nardeau, Fred Alpi, Domy
Dom…j’en oublie surement…
Merci à tous les lecteurs, ceux qui commentent et ceux qui
n’osent pas, votre présence est chère à mon cœur.
Je vous souhaite à tous, du fond du cœur, 365 jours
avec !
Chouette article =)
RépondreSupprimer+1
C'est tout à fait ça comme voir le verre à moitié vide ou à moitié plein !
RépondreSupprimerc'est moi Carole ? :)
Combien de temps dans la journée représentaient les fous-rires, les pauses-café, les moments de détente ? Moments chers payés comparés au stress, aux N+1, N+2, N², aux soirées ou aux weekends gâchés par une journée pourrie, le sommeil qui s'échappe pour ruminer ta journée passée ou le travail qui t'attend le lendemain ? On ne retient que les bons moments, heureusement que la mémoire recycle ! Et à quoi sert un verre à moitié plein si c'est une potion amère ?
RépondreSupprimerAllez, tu as fait le bon choix ! Des mains tendues, tu en trouveras plus sur FB ou Twitter qu'à la World Company, des personnes empathiques qui te lisent avec bonheur et qui partagent tes états d'âme, qui se disent qu'elles ne sont pas toutes seules...
Continue pour notre plus grand plaisir
Je t'embrasse très tendrement,
Une anonyme qui te remercie de l'avoir citée en premier !
Beau billet !
RépondreSupprimerTrès bel article, qui donne envie de sauter le pas!
RépondreSupprimerTrès belle année
C'est si rare un blog qui fait réfléchir comme le tien, sans être rébarbatif. Je comprends tes affres de travailleuse indépendante, que je vis aussi mais tu as du talent pour écrire, de la volonté et l'intelligence et la sensibilité qui rendent tes billets intéressants, parfois drôles ou émouvants, jamais fades.
RépondreSupprimerBref, continue !
un GRAND merci encore pour vos commentaires, ça fait chaud au coeur, vraiment!
RépondreSupprimerUne année 2013 "avec" et juste deux ou trois "sans" pour faire ressortir la saveur des jours heureux. Du bonheur et plein de billets comme celui-ci qui donne envie de continuer à avancer.
RépondreSupprimerMerci Dom! Isabelle m'a dit qu'elle s'était inscrite pour l'atelier d'écriture, je vais voir si ça n'est pas trop tard, ça te dit toujours?
RépondreSupprimerC'est toi qui nous fait chaud au coeur et même larmes aux yeux... Merci pour tes billets et ta présence en avance sur moi, qd j'arrive sur twitter avec mon café. Merci pour tes coups de gueule, tes justes énervements, tes petits plaisirs partagés.
RépondreSupprimerC'est très beau !
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