Aujourd'hui, nous allons partir d'un incipit (la première phrase d'un livre) pour écrire un texte.
La voici : "Le camion avance" (incipit du livre de Jacques Lanzmann "Le dieu des papillons")
A vos claviers!
Comme d'habitude, si vous le souhaitez, vous pouvez poster votre participation dans les commentaires.
Voici mon texte (à ne pas lire si vous souhaitez participer!).
Le camion avance. Dommage, ça me plaisait bien moi d’être
coincé dans les embouteillages. C’étaient des minutes supplémentaires passées
près de toi papa. De toi, je ne vois que le col de chemise et la main
impatiente qui tapote sur le volant et passe nerveusement les vitesses. Ton
odeur de sapin comme je l’appelle, à cause de ce produit que tu mets après
t’être rasé, je l’inspire de toutes mes forces pour garder un peu de ta
présence. Toi, tu es déjà dans l’après. Tu consultes ton agenda, appelles tes clients.
Je suis déjà loin. Ces 2 jours, une semaine sur 2, c’est trop et pas assez.
Trop parce que je vois bien que je vous gêne un peu, Claire et toi, que je
perturbe votre vie bien rangée. Pas assez parce qu’en 2 jours, on a tout juste
le temps de prendre ses marques qu’on doit déjà repartir. Comme si on t’agitait
sous le nez une barbe à papa, joufflue et parfumée, et qu’on te l’enlevait
juste après 2 bouchées. Un goût de trop peu. Tu sais, même si je n’ai que 6
ans, je sens bien que ça ne te suffit pas à toi non plus papa. Parfois, tu me
serres trop fort dans tes bras ou tu inspires l’odeur de mes cheveux, les yeux
fermés, comme du temps où maman et toi étiez encore mariés. En y repensant, ma
tête dodeline doucement contre l’appui-tête de mon siège auto. J’oublie l’école
qui m’attend dans quelques minutes, les contrôles, la peur au ventre. Les
souvenirs défilent en même temps que le paysage derrière la vitre. Brusque
retour à la réalité. Tu klaxonnes, tu cries contre ce camion qui s’arrête
encore « Non mais avance ! On va jamais y arriver ! ». Si
seulement c’était vrai.
Le camion avance. Et avec lui s'envolent tous mes rêves. Mes ambitions dans la nuit, évacuées sans que je puisse y faire quoique ce soit. L'argent qui m'aurait permis de m'évader de cette ville étouffante déjà au loin et moi, ridicule, avec cette cagoule qui me serre, le canon de mon arme le long de ma jambe.
RépondreSupprimerJ'en viens à soliloquer avec les étoiles en les maudissant de ne pas m'avoir offert une meilleure vie. J'en suis réduit à des larcins et à des menus trafics depuis que je suis arrivé dans cette mégalopole tentaculaire.
Aucun espoir pour celles et ceux qui sont nés sans argent ni amour. Vers la lune s’élève cette colonne affreuse d’où émanent ces bruits semblables à des cris déchirants d’âmes torturées. Me voici perdu au pays des merveilles où même le lapin d’Alice n’aurait pas retrouvé son terrier au milieu de ces immondices auréolées d’une richesse aussi écoeurante que décadente.
Nous sommes au 22eme siècle et j’ai la certitude que je ne trouverais pas âme qui vive qui voudra bien m’héberger cette nuit.
Alors je m’engouffre dans une contre-allée en regardant tristement le camion qui s’éloigne dans les ténèbres….
Bonjour,
RépondreSupprimerJe découvre ton blog cette semaine, et donc ces jeux d'écriture qui me plaisent beaucoup. Voici donc ma 1ère participation :
Le camion avance, et je me dis qu'il va bien falloir que j'avance aussi. Des années que je n'avais pas repris ma voiture, et voilà que je me décide à reconduire justement aujourd'hui. L'esprit est une drôle de chose, quand même. Une fois que je me suis mis quelque chose en tête, impossible d'en démordre. Têtue moi ? Non non, c'est juste que j'en ai besoin, de tous ces trucs que je viens d'acheter, et pour une fois que j'avais l'occasion de le faire, je n'allais pas m'en priver! Je suis partie tôt, pourtant, mais c'est vrai que j'ai un peu traîné dans les rayons ... Et si c'était une fille ? C'est trop mignon, quand même, tous ces minis vêtements pour les nanas, comparé au bleu/noir/beige des garçons ... Et si c'était un garçon ? Bah, on verra bien ... Un autre petit gars, ça peut être bien aussi. Une heure déjà qu'on est coincés ici, j'ai du faire à peine un kilomètre depuis la sortie du magasin. Si je ne m'étais pas arrêtée, je serais déjà rentrée à l'heure qu'il est. Bien entendu, c'est aussi le jour où j'ai oublié mon portable! La météo l'avait bien annoncé pourtant, mais comme ils se trompent la plupart du temps, ou alors qu'ils dramatisent la situation pour inciter les gens à ne pas sortir, je n'ai pas hésité bien longtemps. Finalement, ça a du bon d'être coincée ici. Il a été bien sympa ce chauffeur quand même, de me laisser son téléphone pour que je puisse prévenir François. J'espère qu'il va mieux s'en sortir que moi et réussir à aller récupérer le petit à temps! Quel temps! Il est tombé presque dix centimètres de neige depuis le début de l'après-midi, et moi, sans pneus adéquats, me voilà bien partie! La route habituelle est bloquée, il va bien falloir que je trouve une autre solution si je ne veux pas passer la nuit dans ma voiture. Pourquoi est-ce que je n'ai pas de GPS ?! Pourquoi est-ce que j'ai oublié mon téléphone ?! Ah il est beau, le vingt et unième siècle, on ne sait plus rien faire sans aide technologique! Comment ils faisaient avant, quand ils se perdaient ou quand ils arrivaient en retard ? Et en plus je n'ai rien à manger ... Le coffre est plein, mais je n'ai rien à manger ... Il commence à en avoir assez là, le petit bidule dans mon ventre. Je le sens qui cabriole et qui me donne des coups, pour que j'arrête de traîner. Tu verras bien, mon petit loup, comme c'est beau un jour de neige. J'ai hâte de te voir sur une luge, et de te faire découvrir tout ça. Allez, mon petit loup, le camion avance, alors je vais avancer aussi ...
Le camion avance. Il persévère malgré la distance. Chargé, très chargé, de plus en plus lourd. Il le savait pourtant qu'il fallait délester de temps en temps. Les virages, les nids de poule n'arrangent pas les choses... il souffle, il tousse, il crache, mais le camion avance. C'est une idée fixe : avancer. Les pneus fatigués, la bâche égratignée, qu'importe les souffrances, il faut gravir cette pente. «Criiiiiissss !!!» le moteur s'emballe ; «Criiiiiissss !!!» les vitres s'embuent ; «Criiiiiissss !!!» faut-il vraiment continuer ? Les roues s'enfoncent dans la route, au fur et à mesure de la montée, formant deux tranchées profondes. Le sommet est proche mais semble inatteignable. Encore quelques mètres... quelques centimètres... puis, l'arrêt net. Les phares à demi enfouis dans le goudron contemplent maintenant, du haut du col, un lac tranquille bordé d'arbres qui se balancent docilement au gré du vent. Le camion s'arrêtera là… dans un repos ultime.
RépondreSupprimerVoilà pour moi : http://frayer-monblog.blogspot.fr/2013/02/autre-jeu-decriture-de-sophie-gourion.html
RépondreSupprimerQue de jolies participations!
merci @Frayer de m'avoir fait découvrir cet exercice ! le starter qui va , peut-être participer à alimenter mon blog si sec depuis sa création.
SupprimerLe camion avance. Il ne devrait pas pourtant, mais il avance.
RépondreSupprimerCela fait des siècles que cette rue est en sens unique pour les camions, pour le bien de tous disent-ils en haut-lieu et surtout le bien des enfants, mais aujourd’hui le camion s’est décidé et il s’y est engagé. Oh il voit bien toutes ces voitures qui l’entoure qui klaxonne de rage parce que c’est leur voie et qu’il n’a pas le droit d’être là. Certaines, parmi les plus petites et les plus chics, s’écartent même alors qu’il ne roule pas particulièrement vite et roule prudemment mais que voulez-vous, un camion dans cette rue, cela ne s’était jamais vu. Il n’y a pourtant pas de raison apparente, 3 voies avec présélection, piste cyclable et trottoir bien large, un feu tricolore à chaque passage piétons.
Si on est honnête, malgré le confort et la sécurité qui sont au mieux de ce que l’on pourrait imaginer, les drames ne sont pas exclus sur ces aménagements. Les voitures n’étant pas de véhicules forcément exemplaires, entre celles qui fument sans filtre et ceux qui se laisse rouiller sur place. Et puis il y a des trajets alternatifs qui sont moins certes moins directs mais qui offrent aussi tout un lot d’avantages. Le camion s’en moque. Il veut circuler ici. De toute façon, la mairie a annoncé qu’elle allait changer le plan de circulation et autoriser les camions sur cette rue. La décision sera prise au prochain conseil municipal. Le camion espère que les conseillers municipaux de l’opposition ne feront pas d’obstruction, ils ont dit de très vilaine chose sur les routiers dans le bulletin municipal.
Le camion continue donc d’avancer. A la radio, il entend tout le soutien médiatique que cette ouverture de rue provoque… Des témoignages poignant de camionneurs qui ont souffert toute leur vie de ne pas pouvoir rentrer chez eux plus directement ou encore de ne pas pouvoir livrer directement dans les magasins de cette rue et de devoir faire le dernier bout de chemin en transportant leurs lourdes marchandises à bras d’homme. Des stars qui ont des amis camionneurs et qui disent toutes l’indifférence que ces derniers réclament… que l’on les laisse rouler bon sang…
Arrivé au bout de la rue, le camion récupère l’avenue principale de la grande ville, il a certes sur ce trajet interdit essuyer quelques insultes, quelques klaxons mais aussi quelques coucous d’enfants impressionner par leur taille sur le trottoir et agitant leur jouet comme pour lui dire « je peux jouer avec toi ? ». Il a aussi croisé quelques que camionnettes qui lui ont fait un signe comme pour lui dire « je te comprends, je te soutiens ». En fait, s’il ne se concentre que sur les non-dits, cette traversée fût presque plaisante… et puis il a gagné 5 minutes… ce n’est pas rien…
Dans 20 ans, quand cette rue sera définitivement ouverte au camion, se dit-il, les gens ne feront plus attention aux camions qui y circuleront, ce sera devenu la normalité… et eux, les camions, ne seront pas rancunier car après tout, les routiers sont sympas….
Je découvre ce blog avec délice! Merci pour ce jeu d'écriture, voici donc ma 1ère contribution:
RépondreSupprimerLe camion avance et il la voit. Debout au bord du passage piéton, avec un imperméable beige et un bébé dans les bras. La coupe de cheveux, les traits affinés, cette assurance… ça pourrait très bien ne pas être elle. Mais la boule dans son ventre et ses mains subitement glacées sur le volant ne le trompent pas. Elle embrasse son petit sur la joue, lui chuchote des choses à l’oreille en souriant, elle a l’air heureuse. Il n’avait pas imaginé qu’elle le serait, ni vraiment qu’elle ne le soit pas… il n’avait rien imaginé. Même s’il pensait souvent à elle, il n’avait pas cherché à savoir quelle avait été sa vie après lui, il préférait se souvenir.
Sa bouille dans la cour de l’école, ces étés tous bronzés, ces moments intimes mais maladroits qu’on préférait balayer d’un éclat de rire. Cette complicité sans jamais vraiment parler. Cette évidence. Comment avons-nous pu nous éloigner autant? C’est terrible de ne pas savoir. Ça laisse un trou béant… Tellement bizarre de la voir avec un enfant. Je préférais ces cheveux longs…
Des klaxons furieux le sortent brusquement de ses pensées, le feu est repassé au rouge et elle va traverser devant lui. Si elle le regarde, il lui sourira, un signe de la main peut-être, il pourrait même baisser sa vitre, garer sa voiture, lui parler… elle tourne la tête, ses yeux plongent dans les siens: “tu as changé”, lui disent-ils. “je suis heureuse de te voir, mais ça me rend triste. Tu fais partie de moi, mais je t’ai surmonté. S’il te plaît ne t’arrête pas, ne fais pas ça. Nous sommes tout ou nous ne sommes rien. Cette seconde en pleine rue nous bouleversera suffisamment… alors passe ton chemin”. Le feu passe au vert, lentement, il enclenche la première, redémarre. Elle ne le suit pas du regard, il ne jète pas de dernier coup d’oeil dans le rétroviseur. Cette fois-ci, c’est bien fini: ils vont pouvoir passer à autre chose.
Aujourd’hui, j’ai découvert ton blog sur lequel tu as mis en ligne ton jeu d’écriture.
RépondreSupprimerC’est donc en camionneur que je me suis avancé sur ta route et que j'ai démarré.
Je te livre ma petite contribution (sans frein) :
http://bit.ly/12yXa7U
Le camion avance. Formule inadaptée. C’était une marche arrière. Bref, ce jour de fin de vacances scolaires au tout début du mois car la rentré scolaire l’avait ainsi défini, le gros truc s’immobilise devant notre immeuble. Trottoir large et planté de platanes. Fraicheur des caniveaux amplement irrigués, nous sommes devant le 72. De l’autre coté de la rue, la petite ceinture creuse le paysage. Du septième étage, avec ascenseur, la vue sur la ville est, 360 degrés, imprenable –disions-nous- .Dans la cuisine, le vide-ordure faisait tinter les derniers déchets de l’appartement. De la fenêtre, le quatorze juillet, Paris nous offrait en coproduction avec la proche banlieue des dizaines de feux d’artifice. Mais là septembre nous prodiguais sa brume...
RépondreSupprimerLe truc, c’est plus simple pour moi afin de dire ce camion qu’un ami conducteur de bus devait piloter ce jour ; Les chiffres, après avoir « parlé » ne valent plus... alors, inutile donc de me demander : Quel cubage ? , finissait de se garer.
Une « fourmilière » composée de Jo, Philou, le cordonnier-catcheur, son compère de ring et quelques autres amis volontaires s’activaient qui par l’escalier, qui par l’ascenseur. De joyeux et quelques fois périlleux croisement s’opéraient.
Je frôlais la machine à laver au 3ème étage, aperçu mon carton à dessins au second, bras ballants, habillé d’une cote de mécano, je remontais dans ce qui avait été notre appartement.
Le casse-croute était en préparation. J’aime bien ce genre de formule ... sauf que, si Paupo n’avais pas pris son destin en main, nous l’attendrions encore, cet encas ! De fait celle qui il y presque quarante ans est devenu mon épouse, avait mis les Opinel dans les assiettes en plastique. Débarrassé, l’appartement résonnais à chaque parole et puis ... oui ! Il faisait plus grand. Ça, c’est fait !
A ras bord, ridelles y compris, le truc était plein. Dans la R12 break et jaune... mais où étaient les enfants ? Paupo, tu te souviens ? Dans la R12 break et jaune, par l’autoroute de l’est je roulais derrière le camion qui avançait.
BRAVO à tous pour ces textes, je suis bluffée à la fois par la qualité et la diversité des écrits, c'est vraiment d'un excellent niveau! Ca fait vraiment plaisir de voir autant de participants!
RépondreSupprimersans rire ? ... enfin, je l'ai aussi pris moi, ce compliment ... enfin en partie. Merci, du coup j'ai terminé un petit texte commencé il y a ... hou, le temps passe vite ...quelques mois.
SupprimerEt voici la contribution de Fantomette qui n'arrive pas à poster de commentaires depuis son Ipad!
RépondreSupprimerLe camion avance sur sa route inconnue. Il ne sait pas, il ne sait plus où il va, qu'elle destination, dans quel but...cela fait tellement longtemps qu'il roule...ou plutôt qu'elle le fait rouler. C'est une longue et ancienne histoire entre la camionneuse et son copain le camion, tellement longue et ancienne qu'ils ne font plus qu'un. Elle a pris sa forme cubique et lui sa rondeur . Elle illumine son pare brise, il illumine ses jours..et ses nuits qu'ils passent ensemble.
Mais aujourd'hui la route est étrange. Pas de direction précise, pas d'itinéraire. Rouler pour rouler...comme pour fuir ...il l'entend du haut de son siège chuchoter, maugréer....puis pleurer.....alors comme d'habitude elle parle tout haut, elle lui parle. Elle n'a plus de boulot, ils veulent récupérer son camion. Les separer. Non elle ne se laissera pas faire...elle ne veut pas...alors elle aussi elle avance sur cette route inconnue....la 66 sans doute....une mythique en tout cas car elle ne reviendra pas.....
Je me rends compte que j'ai un peu repris le même thème que dans ton jeu du 13 décembre. Il faudra que j'en parle à mon psy.
RépondreSupprimerLe camion avance et s’insère dans la file ininterrompue des Berliet. Dès la sortie de la ville, le pavé cède la place à la route pierreuse. Des gars sur les côtés lancent des pelletées de cailloux pour boucher les trous que le convoi tasse.
Il pleut à verse de la neige fondue et je suis épuisé.
Le train est arrivé tôt ce matin à la gare de Baudonvilliers. Le trajet, fait avec mes camarades de la classe 17 depuis mon patelin de Gascogne, a déjà duré deux jours. « C’est votre tour », nous a-t-on dit. Deux jours et deux nuits, bringuebalés de train en train avec d’interminables périodes d’attente dans des gares perdues au milieu de rien. Sitôt arrivés, on s’est mis en marche sur la route, à pied avec notre barda, jusqu’à Bar-le-Duc : il suffit de suivre la file, là aussi.
Jusqu’à La route. Jusqu’aux camions dans lesquels on a embarqué en début d’après-midi, trempés, éreintés, inquiets.
Maintenant, le camion a pris sa vitesse de croisière, lente et monotone sur la route sinueuse. Il est comme un anneau d’un long serpent sans tête et sans queue. Personne ne parle, les voix seraient masquées par le bruit du moteur, les grincements de la mécanique, la clameur dégagée par cette espèce de bête immonde qu’est le convoi.
J’arrive à voir dehors par une jointure décousue de la bâche qui nous protège de l’eau mais pas du froid humide. Je n’imaginais pas que le ciel puisse avoir cette couleur de plomb. Les champs abandonnés que nous longeons depuis deux heures en sont encore plus lugubres. De temps en temps, je vois un camion poussé dans le fossé, il ne faut pas gêner la reptation de ce funèbre cortège. En sens inverse, les camions portent une croix rouge sur les bâches. Elles masquent pudiquement leur chargement. Mais je devine, plus que je ne les entends, les râles et les gémissements.
A Lemmes, nous croisons un petit chemin de fer. Il n’y a aucun doute sur le fait qu’il semble venir de là où nous allons : les wagons portent les mêmes croix. Ils sont aussi nombreux que les camions. Une noria de chair et de sang.
Et de feu. A mesure que nous approchons de la fin de La route, le ciel, encore un peu plus noirci par la fin du jour, se met à rougeoyer. Des éclairs diffus allument l’horizon comme une lampe à la flamme vacillante. Et bientôt tout le bruit du convoi se trouve couvert par un fracas terrifiant qui fait écho aux lumières d’apocalypse. Un roulement de tonnerre permanent.
Le camion s’arrête. J’en descends lentement. Personne parmi mes compagnons ne semble d’ailleurs pressé, nous semblons tous porter dans notre paquetage un fardeau plus lourd que la peur et que la mort, à l’odeur desquelles nous tentons d’échapper en respirant à peine.
Dans un français que je comprends mal, des adjudants nous dirigent vers nos unités. Ils aboient leurs ordres plus qu’ils ne les crient. Je montre mon carnet de route. « Toi, va par là ! »
J’appartiens à un régiment d’infanterie. Je le rejoins, ou plutôt, je suis rassemblé avec d’autres types hagards sur un terre-plein boueux. Je crois comprendre que dans quelques heures, nous tenterons de reprendre la côte 304, perdue hier.
Je me rends compte que j'ai un peu repris le même thème que dans ton jeu du 13 décembre. Il faudra que j'en parle à mon psy.
RépondreSupprimerLe camion avance et s’insère dans la file ininterrompue des Berliet. Dès la sortie de la ville, le pavé cède la place à la route pierreuse. Des gars sur les côtés lancent des pelletées de cailloux pour boucher les trous que le convoi tasse.
Il pleut à verse de la neige fondue et je suis épuisé.
Le train est arrivé tôt ce matin à la gare de Baudonvilliers. Le trajet, fait avec mes camarades de la classe 17 depuis mon patelin de Gascogne, a déjà duré deux jours. « C’est votre tour », nous a-t-on dit. Deux jours et deux nuits, bringuebalés de train en train avec d’interminables périodes d’attente dans des gares perdues au milieu de rien. Sitôt arrivés, on s’est mis en marche sur la route, à pied avec notre barda, jusqu’à Bar-le-Duc : il suffit de suivre la file, là aussi.
Jusqu’à La route. Jusqu’aux camions dans lesquels on a embarqué en début d’après-midi, trempés, éreintés, inquiets.
Maintenant, le camion a pris sa vitesse de croisière, lente et monotone sur la route sinueuse. Il est comme un anneau d’un long serpent sans tête et sans queue. Personne ne parle, les voix seraient masquées par le bruit du moteur, les grincements de la mécanique, la clameur dégagée par cette espèce de bête immonde qu’est le convoi.
J’arrive à voir dehors par une jointure décousue de la bâche qui nous protège de l’eau mais pas du froid humide. Je n’imaginais pas que le ciel puisse avoir cette couleur de plomb. Les champs abandonnés que nous longeons depuis deux heures en sont encore plus lugubres. De temps en temps, je vois un camion poussé dans le fossé, il ne faut pas gêner la reptation de ce funèbre cortège. En sens inverse, les camions portent une croix rouge sur les bâches. Elles masquent pudiquement leur chargement. Mais je devine, plus que je ne les entends, les râles et les gémissements.
A Lemmes, nous croisons un petit chemin de fer. Il n’y a aucun doute sur le fait qu’il semble venir de là où nous allons : les wagons portent les mêmes croix. Ils sont aussi nombreux que les camions. Une noria de chair et de sang.
Et de feu. A mesure que nous approchons de la fin de La route, le ciel, encore un peu plus noirci par la fin du jour, se met à rougeoyer. Des éclairs diffus allument l’horizon comme une lampe à la flamme vacillante. Et bientôt tout le bruit du convoi se trouve couvert par un fracas terrifiant qui fait écho aux lumières d’apocalypse. Un roulement de tonnerre permanent.
Le camion s’arrête. J’en descends lentement. Personne parmi mes compagnons ne semble d’ailleurs pressé, nous semblons tous porter dans notre paquetage un fardeau plus lourd que la peur et que la mort, à l’odeur desquelles nous tentons d’échapper en respirant à peine.
Dans un français que je comprends mal, des adjudants nous dirigent vers nos unités. Ils aboient leurs ordres plus qu’ils ne les crient. Je montre mon carnet de route. « Toi, va par là ! »
J’appartiens à un régiment d’infanterie. Je le rejoins, ou plutôt, je suis rassemblé avec d’autres types hagards sur un terre-plein boueux. Je crois comprendre que dans quelques heures, nous tenterons de reprendre la côte 304, perdue hier.
Le camion avance. Nuitamment. Il me fonce droit dessus, semble ignorer ma présence sur le bas-côté. Je suis actrice et témoin de la scène. Actrice parce qu'il va me falloir sauver ma peau sous peine d'être transformée en carpette. Témoin parce que je suis spectatrice de ce double qui tarde à se mouvoir.
RépondreSupprimerDe la scène aucun détail ne m'échappe. Le Marcel souillé du chauffeur transpire la sueur. Marcel, c'est le t-shirt. Le conducteur semble répondre au prénom éminemment ringard de Patrick. C'est du moins ce qu'indique une inscription grotesque sur la partie supérieure de la cabine.
Patrick ? Bruel ou Montagné me surprends-je à penser ? S'il s'agit de Montagné, me voilà mal barrée. Les aveugles ne voient pas plus la nuit que le jour. Si c'est Bruel, il va me prendre en stop et me faire payer ma présence en m'imposant une de ses ritournelles insupportables.
je découvre votre site et je participe avec bonheur à cet exercice! Merci!
RépondreSupprimerLe camion avance. A pas de loup de mer. Navigateur virtuel à portée du volant, son conducteur est un routier vétéran expérimenté.
Cependant, alors qu’il circulait jusqu’alors librement dans la plus grosse artère de la ville, grouillante de vie et de bactéries, un bruit extérieur assourdissant s’est vite propagé contractant immédiatement son estomac. Il peste intérieurement contre son frêle abdomen et cet imprévu qui ralentissent sa digestion et sa tournée quotidienne. Il doit sur-le-champ chercher une place de stationnement. Se mettre à l’abri ! De qui ? De quoi ?
Il stoppe le moteur. Hébété, il ouvre la portière afin de se fondre dans cette effervescence citadine pour trouver l’explication à ce tintamarre. Il va très probablement aussi prendre un cachet.
Anne-S
Puisque tous vos participants ont mis leurs textes en ligne chez vous, je reviens pour vous le présenter :
RépondreSupprimer«Le camion avance». Ce matin-là, par son premier SMS, il me signifia avoir surmonté les douleurs nocturnes de son accident. Il était sorti de l’hôpital l’avant-veille et se retrouvait en convalescence chez lui. Il avait consigné d’autres métaphores, «ça carbure», «en panne sèche aujourd’hui», «moteur à l’arrêt», «la vie à plein gaz» pour me dire ses états d’âme des deux derniers jours. Avec son «camion» qui «avance», j’étais désormais rassurée.
Lorsque nous nous étions rencontrés à l’hôpital, nous avions évoqué nos deux accidents respectifs : lui avait perdu le contrôle de son 15 tonnes dans un virage et de mon côté, je lui avais expliqué que je roulais en moto et que cette satanée bagnole avait oublié de marquer le Stop.
Il m’avait demandé ce que je faisais dans la vie. Très étonné de savoir que j’écrivais. La rencontre d’un routier et d’une romancière, voilà qui, effectivement, n’était pas banal. Il me regardait écrire lorsque nous nous retrouvions dans la salle télé. Ce qui l’avait intrigué avait été le titre encore provisoire de mon manuscrit. «Vous savez, je suis routier», m’avait-il abordé en posant un doigt sur la couverture de mon texte. J’avais esquissé un sourire et, une fois la surprise passée, j’avais bafouillé que… oui, oui, c’était «une coïncidence pas ordinaire». Il avait souri à nouveau : «Le camion avance… voilà un titre qui roule».
Un second SMS vint alors interrompre ma rêverie matinale et s’inscrire sur l’écran de mon portable. Ce SMS, c’était encore lui. Il savait que je sortais de l’hôpital en ce début d’après-midi.
S’alignaient quatre mots. Quatre mots qui firent battre mon cœur: « Le-camion-t-attend ».
Le camion avance… Plus que quelques kilomètres…
RépondreSupprimerLes derniers kilomètres qui nous séparent de notre nouvelle vie.
En sécurité enfin. Il a bien fallu partir, la vie là-bas était devenue bien trop dangereuse pour moi, pour nous.
Je pense différemment, donc je suis l’homme à abattre.
Il a fallu partir et vite ; retrouver femme et enfants, rassembler quelques affaires – le strict minimum - et filer tout droit à bord de ce camion.
Ils n’auraient pas hésité une seconde à éliminer tous les membres de ma famille si cela leur avait permis de me rattraper.
Il a bien fallu partir…
Je suis parvenu à les emmener avec moi dans ce périple sans retour - Il ne pouvait en être autrement – contraints de laisser au passé toute une partie de notre vie. Tout abandonner et recommencer, ailleurs.
Nouveau pays, nouvelle langue, nouvelle culture… ça ne va pas être facile mais, pas le choix !
Plus que quelques kilomètres et nous serons hors d’atteinte, je le souhaite de tout mon cœur.
On va tout devoir recommencer, certes, mais ensemble et à l’abri.
Je commence à y croire, plus que quelques centaines de mètres et c’est gagné…
:) joli texte meme si pour moi ce serait un cauchemar de devoir partir ;) bises
SupprimerJe viens d'arriver ici par pur hasard et je ne suis pas déçue du voyage, merci ! Voilà ma première contribution :
RépondreSupprimerLe camion avance. 15h12.
Je le regarde passer et, d'un coup, tout me semble ralenti.
Il passe devant moi, comme pour me narguer, moi qui ne peut avancer et suis bloquée ici. Durant les quelques secondes que dure ce passage, beaucoup de choses me viennent à l'esprit en même temps. Je ne peux même pas tout analyser. Il y a cette pensée récurante de moi qui suis de trop, de mon futur, de mes angoisses. Comme d'habitude, je les chasse très vite. S'y attarder me ferait du mal, je le devine. Il y a une observation des gens qui m'entourent, de ce couple assis à la terrasse qui se querellent, me rappelant Matthieu et moi, du temps où tout allait bien, et de cette mère et de sa fille sur le trottoir d'en face qui rigolent. Chaque passant que je ne rencontre que furtivement me renvoie à un souvenir de ma vie, à un moment de bonheur. Mais ça c'était avant. Avant l'accident, avant que je ne perde tout. Les quelques secondes finissent de s'écouler et le camion est au bout de la rue. Encore une fois, je suis venue ici attendre. Encore une fois, il n'a pas daigné venir. Encore une fois, le camion est passé devant ce trottoir et le regard du chauffeur a effleuré ma silhouette sans vraiment me voir.
Le camion disparaît. 15h13.
Je tourne les roues de mon fauteuil pour m'en aller d'ici le plus loin possible tout en sachant que ma routine me reconduira encore là demain, à attendre.