J’aime souvent dire que je n’aime pas les gens. C’est moitié
comme une défense, moitié comme une provocation. Mon côté ours prend souvent le
dessus si je n’y prends garde. Je peux ainsi rester une journée entière devant
mon écran sans contacts humains sans que cela ne me perturbe trop. Je n’ai pas
de bandes de copains, à la vie à la mort et, comme Brassens, j’ai le sentiment
que dès qu’on est plus de 2 on est une bande de cons. Je préfère les relations
en face à face aux grandes tablées, les dialogues intimistes aux discussions
animées à plusieurs.
Jusqu’ici, quand j’accompagnais ma fille à l’école le matin,
je regardais de loin ces autres pairs avec un sentiment diffus. Je crois que je
ne me sentais pas à ma place, plutôt du côté des élèves que de celui des
parents. A croire qu’on ne sort jamais vraiment de l’école et qu’on y rejoue
perpétuellement les scénarii de son enfance.
Les souvenirs de cours de récré, impitoyable jungle, les
brimades et les clans, les groupes de filles se tenant le bras en riant, tout
cela se mêlait dans ma tête alors que j’observais les autres parents d’élèves.
Forcément mieux, forcément moins timides, riant et parlant fort. On n’oublie
jamais vraiment le goût de l’exclusion une fois qu’on y a goûté.
Certains matins, je croisais parfois des groupes de parents
devant l’école, s’attendant pour aller boire un café. Je me disais alors, un
peu pour me persuader, que de toutes façons je n’avais pas le temps. Et puis
parler de ses enfants, des maitresses, les parents d’élèves, les kermesses et
les gâteaux du vendredi soir, ça n’était pas mon truc. De toutes façons, je
n’aime pas les gens.
Ce qui a vraiment fait le lien ce sont les enfants, qui,
eux, ne font pas cas des problèmes existentiels de leurs parents ou des
affinités que ceux-ci peuvent tisser entre eux.
Un jour, après avoir invité ma fille à venir jouer chez
elle, une mère m’a conviée à rejoindre le café du jeudi matin. Au début un peu polluée par le petit diable
sur mon épaule qui, décidément, ne me lâche pas (« t’as pas assez
parlé » « t’as trop parlé » « t’as rien dit
d’intéressant »), j’ai progressivement pris goût à ces rendez-vous autour
d’une tasse. Et à cette parenthèse matinale qui réchauffe le cœur et le corps.
J’ai été extrêmement
surprise du degré d’intimité qui s’est crée entre nous : très vite,
les masques sont tombés, les langues se
sont déliées, les secrets se sont partagés. Derrière nos oripeaux de mères
parfaites, bien sous tous rapports, chacune a déposé ses valises trop lourdes à
porter. Nous avons ouvert nos petits tiroirs et laissé parler nos peurs, nos
doutes et notre culpabilité. « J’ai vécu un accouchement horrible »
« C’est terrible, je n’ai plus d’ambition, je veux juste rentrer à l’heure
pour coucher mon fils » « Comment être sûre de faire bien ? »
« Mon mari n’est pas un macho mais c’est moi qui ai dû faire des
sacrifices en terme de boulot » « J’ai fait une dépression à la
naissance de mon enfant » et tant
d’autres bribes de vies, lâchées comme des bulles de savon. Autour de nos
tasses fumantes, nous vidons nos sacs pendant quelques minutes, sans jugement
ni peur du regard de l’autre. Nous rions, nous nous consolons, nous nous
invitons, nous nous aidons.
Et jamais nous ne parlons kermesse ou gâteau.
Un très bel article...qui est à l'image de beaucoup beaucoup d'entre nous :) C'est drôle comme on arrive à se persuader que les autres ne sont intéressées que par les kermesses et leurs mouflets. On est (presque) toutes pareilles !
RépondreSupprimerOui je pense qu'on projette beaucoup de choses...mais c'est rassurant de voir que beaucoup de mères savent parler d'autres choses que de kermesse et de mouftes! ;-)
Supprimermouflets pas "mouftes"!
SupprimerBeau billet.
RépondreSupprimerMon côté ours est encore trop présent, je n'ai pas réussi à franchir le cap ...
Il faut parfois faire taire l'ours en soi! ;-)
RépondreSupprimerComme quoi, bloguer peut s'avérer plus facile que de dialoguer en vis-à-vis. Car depuis sa tanière modernisée par la connexion Internet, l'ours avoue - à qui veut l'entendre et le pire c'est qu'il est triste quand personne ne dépose de commentaires - qu'il a des choses à dire et qu'elles pourraient intéresser le monde entier. Alors pourquoi pas l'autre parent, là, à côté sur le trottoir, qui fait aussi coucou à son petit en le regardant s'éloigner dans la cour de l'école ?
RépondreSupprimerEt c'est vrai que faire le premier pas, en live, c'est déjà plus compliqué. Et moi aussi j'observe, toujours avec étonnement, comment nos enfants sont en effet des petits génies de la communication. Et comment ils nous aident bien souvent, en jouant les truchements entre adultes qui ont oublié le langage des signes.
Quant à Brassens, il était un peu plus tolérant avec lui-même que toi : c'est "dès qu'on est plus de quatre", qu'"on est une bande de c...". Le même gars qui avait plein de copains, si je ne m'abuse ! Tu as encore un peu de marge au café !
Merci pour ton billet attendrissant, qui nous secoue dans cette période d'hibernation encore moins favorable au tropisme de l'ours qui voudrait aller vers les autres.
Tu as raison j'ai un peu transformé la chanson de Brassens à ma sauce! Pour moi c'est à partir de 2 qu'on est une bande de cons, ma marge de tolérance est plus réduite! ;-)
SupprimerJ'y pensais un peu ce matin, me trouvant godiche, les bras ballants avec le groupe de mamans auxquelles je me suis jointes pour aller à la gym. Je me sentais comme une enfant, soucieuse de ne pas me faire remarquer, de rentrer dans le moule, de répondre aux codes. J'ai pris un peu du stress qui doit tomber sur mes enfants chaque jour. Mais j'étais heureuse enfin, de ne plus être la spectatrice qui se demande "Comment font elles ?" en regardant de loin le clan des mamans à la sortie de l'école.
RépondreSupprimerC'est exactement ça! et puis en se secouant et en se poussant un peu, on découvre que les autres partagent les mêmes questionnements et a priori!
RépondreSupprimerBeaucoup de choses transposables au masculin.
RépondreSupprimerJe vous accorderai donc un Groumf approbateur.
@BicyleRepairMan
Groumf à vous aussi! :-)
SupprimerJ aime pas les gens= je suis pleine de prejuges.(comment on fait les accents?)
RépondreSupprimerMerci pour cette interprétation toute en nuances et en subtilite. Je me demande si vous avez lu le billet en entier
SupprimerDesolee, je ne voulais pas vous heurter. Je me vraiment mal exprimee. (Tjrs le meme pb avec les acents)
SupprimerJ aime beaucoup vos textes.