Dernier jour. Ce matin, je laisse les habitants de la maisonnée en pyjama, devant leur petit déjeuner. Je file à travers les rues désertes mais j’essaye de retenir mes pas pour profiter de ces derniers moments. Dans quelques heures, je serai dans l’après, en route vers l’hôpital pour voir mon père. Hors de ma bulle comme un poisson sorti de son bocal.
En poussant la porte du Figaro, je traine malgré moi une
sourde culpabilité, comme une vieille valise trop lourde. Bruno nous a demandé
hier de retravailler chez nous notre dernier texte mais je ne l’ai pas fait.
Pas envie et puis comme les 3 autres soirs, je me suis écroulée à 21h comme si
j’avais couru un marathon ou gravi une montagne. Après un thé vite expédié et
quelques mots échangés avec mes collègues, j’en profite donc pour le faire
avant le début de l’atelier. Une nouvelle chute m’est venue à l’esprit en me
réveillant ce matin, preuve que nos textes travaillent encore pendant la nuit,
aussi je m’empresse de la coucher sur mon clavier. Pourtant, autant j’étais
satisfaite de mon texte hier, autant je doute ce matin, preuve qu’il faut
laisser reposer ses écrits.
Bruno nous demande de lire nos productions. Tout le monde se
réfugie, la tête dans son écran ou dans ses papiers puis Nathalie se lance. Un
texte bouleversant, merveilleusement écrit, un coup de poing dans le ventre.
Une situation triviale (un couple achète un lit deux places) élevée au rang
d’œuvre d’art. L’émotion est palpable. J’avale un verre d’eau pour tenter de la
dissiper, je respire par le ventre. Impossible d’enchainer après ça. Pourtant,
je me lance. Pour me donner du courage j’annonce « je veux bien lire mon
texte car je n’en suis pas satisfaite ». Bruno m’interrompt après le
premier paragraphe « pouvez-vous mettre votre 3ème phrase au
début de votre texte ? ». Un peu troublée, je m’exécute et le petit
miracle opère. Mon texte prend une autre dimension. Je le lis aux regards
emplis d’émotion des autres participants, aux remarques de Bruno, que je sens pour
la première fois convaincu par ce que j’ai écrit. « Ca y est, vous avez
passé le cercle de feu. Maintenant, il ne faut plus se demander « est ce
que j’écris ou pas, est ce que j’en suis capable ? Il faut y aller, le
sortir ce roman. Et participer au
prix Nouveaux Talents » ».
Les autres participants prennent le relais et lisent, tout à
tour, leurs textes. La progression de chacun est incroyablement palpable, leurs
univers, si personnels et iconoclastes se dessinent. Si on nous soumettait
leurs textes à l’aveugle, je suis certaine que nous identifierions leurs
auteurs sans faillir. Nous restons quelques instants les yeux dans la vide, la tête emplie des mots des autres. Résonne encore à mon esprit la phrase de Bruno
prononcée quelques minutes auparavant et qui prend désormais tout son
sens : « Dans un livre, le texte représente la moitié de la page.
L’autre moitié est occupée par les marges. Les marges c'est la part laissée au lecteur, ce que le
texte fait résonner en lui, les questions qu'il se pose. ».
Pour détendre l’atmosphère, Bruno nous propose un petit jeu
« comme un footing après avoir couru un marathon », écrire un texte
avec les prescriptions suivantes : un personnage, un lieu et un objet parmi une
liste donnée. La pression retombe, nous nous amusons beaucoup. En dépit des
contraintes qui auraient pu corseter nos plumes, on reconnaît encore une fois,
à la lecture des écrits des uns et des autres, les univers de chacun. Je crois
qu’on aurait pu passer la journée à trouver de nouveaux jeux d’écriture et à y
répondre mais l’arrivée des plateaux repas sonne la fin de l’atelier. Le baba
au rhum, qui est pourtant un de mes dessers préférés, a du mal à passer. Boule
dans la gorge.
Nous nous alignons en silence pour la photo de groupe
finale. Les sourires sont figés, les corps raidis. C’est dans la boîte. Nous
sommes désormais la deuxième promotion du Labo de l’écriture.
Un énorme merci à Dorothée, GO admirable, nounou
attentionnée et organisatrice hors pair. A Bruno pour sa flamme, qu’il a su si
bien nous transmettre, sa bienveillance et sa pédagogie. A mes 11 compagnons de
plume, dont j’espère lire les romans très vite : Stéphane, Sandra,
Catherine, Nathalie, Marine, Juliette, Séverine, Amaya, Sébastien, Johann,
Marion. Et à la fondation Bouygues Télécom sans qui tout cela n’aurait été
possible.
Pour ceux qui souhaitent poursuivre l’aventure, je vous
invite à consulter le site « Les
nouveaux talents » ou à les suivre sur Twitter. Et je vous invite à
postuler l’année prochaine pour la 3ème
édition du Labo de l’écriture.
J'ai beaucoup apprécié cette mini-série de chroniques sur ton aventure de quatre jours dans "le Labo" (référence à ton personnage de Frankenstein).
RépondreSupprimerL'expérience semble avoir été forte de toute une sorte de réactions chimiques dans ton cerveau, et t'avoir conduit à trouver la pierre philosophale, celle qui a transformé ta mine de de plomb en plume d'or. Et t'a donné des ailes pour prendre ton envol !
Intense et fantastique, on dirait, cette expérience... Bonne chance en tout cas pour ton roman : je suis sûr que tu vas le faire maintenant avancer à grands pas, il y a eu l'étincelle, comme tu as dit.
On a envie de suivre l'exemple, le chemin, la voie !