En attendant, voici un texte que j'ai eu l'occasion de rédiger lors de mes ateliers d'écriture en ligne.
"Il est 10h du matin. Je n’ai pas de montre mais je le devine
au grincement du rideau de fer du magasin derrière moi, au bruissement des
passants dans mon dos. De ces silhouettes, je n’aperçois que les pieds, je
n’entends que la danse cadencée des talons sur les pavés. Au début, je comptais
sur la culpabilité sourde de ces gens, pensant que leurs bras remplis de sacs
aux couleurs de ce temple de la consommation les encourageraient à me donner
plus facilement une petite pièce. J’ai depuis perdu mes illusions. Pour eux, je
n’existe pas, je ne suis qu’une tache encombrante, le petit comédon qui gâche
un peu leur plaisir mercantile mais ne les incite pas pour autant à la
générosité.
Malgré tout, je n’ai pas changé de place. J’ai fini par
avoir mes habitudes et la bouche d’aération derrière moi est bien utile en cas
d’hiver rigoureux.
Assise sur cette parcelle de bitume, je regarde passer les
jours comme on verrait un paysage défiler derrière les vitres d’un train. Sans
trop d’émotions, la vision brouillée par la vitesse du monde alentour dont je
ne distingue que des silhouettes fantomatiques.
La vitrine derrière moi me raccroche au temps, aux saisons.
Je pressens que le printemps arrive aux manches courtes, aux tonalités corail
et turquoise, aux pâquerettes en plastique et à l’herbe en PVC qui décorent la
devanture.
Dans l’attente d’une maigre obole, je tends mollement la
main et je souris, les yeux dans le vague. J’espère, tout en sachant que je ne
fais pas ce qu’il faut : je devrais avoir l’air désespéré, des vêtements
plus convenables, un chien attendrissant. Mes ongles manucurés doivent leur
faire penser que si j’ai les moyens de me payer ça, je n’ai pas besoin
d’argent. Mes collants troués, mes cheveux rouges me rangent sans doute
irrémédiablement dans la catégorie des punks camés jusqu’à l’os. « Je vais
pas lui donner un euro pour qu’elle se drogue » doivent-ils penser. Puis
ils repartent ainsi le cœur léger, débarrassés de toute once de culpabilité,
vers de nouvelles emplettes.
Parfois, la faim, le froid et la solitude me tordent le
ventre et le cœur. Ma main vacille, mon sourire mécanique se fige. Les rues se
vident, les magasins ferment leurs portes et les lumières habitent les
appartements cossus dont s’échappent des clameurs et de rires.
Alors je ferme les yeux. J’écoute ma respiration et le sang
qui afflue vers mes tempes puis je l’aperçois enfin, ce petit escalier de
pierre qui mène vers la maison de mes parents. J’entends les coucous au loin,
j’hume à pleins poumons l’odeur ambrée de la mousse et le parfum délicat des
fleurs sauvages. Les cailloux crissent sous mes pas et je frissonne un peu à
cause de l’ombre inattendue des platanes. De loin, j’aperçois déjà la
silhouette rassurante de ma mère derrière la fenêtre penchée sur ses fourneaux.
Je sais qu’elle m’attend."
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