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jeudi 21 mars 2013

Punk



Je n'aurai que peu de temps pour écrire jusqu'à dimanche car j'ai la chance d'avoir été sélectionnée pour participer au Labo d'écriture "Nouveaux talents" de la fondation Bouygues Télécom.

En attendant, voici un texte que j'ai eu l'occasion de rédiger lors de mes ateliers d'écriture en ligne. 

"Il est 10h du matin. Je n’ai pas de montre mais je le devine au grincement du rideau de fer du magasin derrière moi, au bruissement des passants dans mon dos. De ces silhouettes, je n’aperçois que les pieds, je n’entends que la danse cadencée des talons sur les pavés. Au début, je comptais sur la culpabilité sourde de ces gens, pensant que leurs bras remplis de sacs aux couleurs de ce temple de la consommation les encourageraient à me donner plus facilement une petite pièce. J’ai depuis perdu mes illusions. Pour eux, je n’existe pas, je ne suis qu’une tache encombrante, le petit comédon qui gâche un peu leur plaisir mercantile mais ne les incite pas pour autant à la générosité.

Malgré tout, je n’ai pas changé de place. J’ai fini par avoir mes habitudes et la bouche d’aération derrière moi est bien utile en cas d’hiver rigoureux.

Assise sur cette parcelle de bitume, je regarde passer les jours comme on verrait un paysage défiler derrière les vitres d’un train. Sans trop d’émotions, la vision brouillée par la vitesse du monde alentour dont je ne distingue que des silhouettes fantomatiques.

La vitrine derrière moi me raccroche au temps, aux saisons. Je pressens que le printemps arrive aux manches courtes, aux tonalités corail et turquoise, aux pâquerettes en plastique et à l’herbe en PVC qui décorent la devanture.

Dans l’attente d’une maigre obole, je tends mollement la main et je souris, les yeux dans le vague. J’espère, tout en sachant que je ne fais pas ce qu’il faut : je devrais avoir l’air désespéré, des vêtements plus convenables, un chien attendrissant. Mes ongles manucurés doivent leur faire penser que si j’ai les moyens de me payer ça, je n’ai pas besoin d’argent. Mes collants troués, mes cheveux rouges me rangent sans doute irrémédiablement dans la catégorie des punks camés jusqu’à l’os. « Je vais pas lui donner un euro pour qu’elle se drogue » doivent-ils penser. Puis ils repartent ainsi le cœur léger, débarrassés de toute once de culpabilité, vers de nouvelles emplettes.

Parfois, la faim, le froid et la solitude me tordent le ventre et le cœur. Ma main vacille, mon sourire mécanique se fige. Les rues se vident, les magasins ferment leurs portes et les lumières habitent les appartements cossus dont s’échappent des clameurs et de rires.

Alors je ferme les yeux. J’écoute ma respiration et le sang qui afflue vers mes tempes puis je l’aperçois enfin, ce petit escalier de pierre qui mène vers la maison de mes parents. J’entends les coucous au loin, j’hume à pleins poumons l’odeur ambrée de la mousse et le parfum délicat des fleurs sauvages. Les cailloux crissent sous mes pas et je frissonne un peu à cause de l’ombre inattendue des platanes. De loin, j’aperçois déjà la silhouette rassurante de ma mère derrière la fenêtre penchée sur ses fourneaux. 

Je sais qu’elle m’attend."

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