Plusieurs personnes m'ont demandé de mettre en ligne les
textes produits lors de l'atelier d'écriture des nouveaux talents. Voici donc celui écrit lors de
l'avant-dernière journée.
La consigne était la suivante : "Ecrire une scène clé
de son roman, un moment décisif et prendre un risque. Choisir une
difficulté". Si la consigne vous inspire, n’hésitez pas à participer vous
aussi.
"J’aimerais, là tout de suite, dire aux enfants de se taire,
de nous laisser à nos débats interminables d’autrefois, à nos conversations
sans queue ni tête.
Mais les enfants sont muets, comme nous, calés dans leur
siège auto, tels des animaux sauvages sentant l’orage venir.
J’observe sa main
qui va et qui vient, saute du volant au levier d’accélérateur. Ses mains
carrées, si différentes des miennes, des mains de pragmatique, de chef
d’entreprise.
Au début nous en riions de ce décalage entre nous, de cette alliance improbable de la carpe et du
lapin. Tu te moquais de mon côté artiste et bohème, je raillais tes atours de
bourgeois, ton insupportable côté rive gauche.
Coup bref d’accélérateur. Coup
de frein.
Ma tête, en retombant, me pèse.
Je me souviens encore de notre sortie
de la maternité, moi assise à l’arrière avec notre précieux trésor, toi
conduisant à 2h à l’heure par peur de le heurter, de nous heurter. Aujourd’hui
j’ai l’impression que tu comptes plutôt sur les airbags pour nous protéger. La
technologie est décidément quelque chose de formidable. Elle permet d’éviter la
mort, de rapprocher les gens, de retrouver d’anciennes amours que l’on croyait
enterrées. Et de passer à la moulinette un quotidien sans saveur.
Aujourd’hui
cette magnifique berline toute option me ramène chez ma mère, en toute sécurité
et sans risque de se perdre grâce à un GPS très sophistiqué. Cet autoradio
numérique avec clé USB intégrée beugle sa soupe pop, nous évitant ainsi d’avoir
à meubler le silence par une conversation vaine. Je te chanterais bien la
complainte du progrès mais tu ne connais sans doute pas Boris Vian. Et je
crains que cette petite extravagance que tu appréciais tant autrefois se
retrouve consignée dans mon dossier. Pas besoin d’aggraver mon cas.
Pour trouver une maigre consolation à toute cette débâcle,
j’observe froidement tes pores dilatés, tes tempes dégarnies, ton ventre qui
pointe sous la chemise.
Quand je travaillais dans l’industrie, avant tout ça, on
mettait les produits sous des lampes puissantes pour voir comment ils
évolueraient avec le temps. 10 ans résumés en 5 minutes, le vieillissement
accéléré ça s’appelait. En te voyant, je me dis que ce genre de machine devrait
être appliquée à l’humain, ça éviterait bien des désillusions. Sentiments
effilochés, corps dégradés, on montrerait la photo aux futurs mariés en leur
demandant « Vous êtes vraiment sûr? Le meilleur c’est maintenant, le
pire ça sera ça».
Je pose ma main sur la tienne, en espérant y trouver un peu
de chaleur ou au moins sentir le sang y affluer. Mais ta main est comme morte, simplement
posée sur le levier de vitesse, comme une main de pantin cassée qui serait
tombée là par hasard. Enième façon de me dire que tu passes la main et me rends
la mienne. Tu files, sans doute pour
fuir ta vie étriquée et livrer à destination ce paquet encombrant que nous
constituons désormais tous les 3.
« Madame, vous m’entendez ? Serrez ma main si vous
m’entendez. Elle répond pas, quelqu’un peut appeler une ambulance ?
Quelqu’un d’entre vous peut-il sortir ses putains de mains de ses poches et
appeler le SAMU ? » "
Je pense sincèrement que vous devriez écrire des romans. Vous retranscrivez à merveille les émotions et avez beaucoup de richesses à partager.
RépondreSupprimerPoursuivez, s'il vous plaît, vous êtes douée.
Merci Anonyme, ce message fait drôlement plaisir!
RépondreSupprimerC'est drôle, mon dernier billet extrait de l'atelier d'écriture parle de toute et d'accident... Très joli texte, quoique amer.
RépondreSupprimerOn ne peut pas dire "très joli début", ni "belle fin", puisque c'est au milieu de l'histoire. Mais alors, ça sera quoi, ce roman, tout ce qu'il y a autour de cette scène ? On a envie de savoir, bien sûr, des gens au destin brisé je suppose, des personnages poignants, etc.
RépondreSupprimerEt si dans ton blog du décrivais ton processus créatif (je ne parle pas de technique, ce serait "intéressé" de ma part, mais de comment tu vis ce travail d'écriture)? Et pourquoi cette question ? Ben parce que tu as les mots justes et que ce que tu écris en général donne envie de te lire un peu plus.