Jusqu’à il y a peu, lorsque l'on m’interrogeait sur mon âge, la
première réponse qui me venait aux lèvres était seize ans.
Situation quelque peu ridicule passé la trentaine, aussi je
prenais toujours un temps de réflexion pour faire le décompte dans ma tête avant
de répondre.
Cette année, j’ai fêté mes quarante ans. J’ai eu le temps de
m’y préparer, de me le répéter comme un mantra et mon corps et ma tête se
chargent de me le rappeler régulièrement.
Désormais je ne me trompe plus sur mon âge. Fin d’une
époque. J’ai quarante ans.
Je ne m’étais jamais vraiment interrogée sur la
signification de ces 16 ans. Qu’est ce que mon inconscient essayait de me dire
en me figeant à cette période ? J’ai toujours pensé que derrière chaque
adulte se cachait l’enfant ou l’adolescent qu’il a été un jour.
J’ai dix ans
chantait Souchon. Si tu m'crois pas hé, t'ar ta gueule à la récré.
Il a fallu que je perde beaucoup de choses pour comprendre
ce que ces 16 ans représentaient pour moi.
Mon père, mon insouciance, mon travail,
mes cheveux.
Quand je repense à mes 16 ans, c’est cette photo qui revient
à ma mémoire.
Mon corps, enfin libéré de mon corset, flottant dans un
t-shirt Blanc-Bleu trop grand.
Mon père, face à moi, la tête dans un journal, mon frère, à
ma droite, la tête tournée vers l’objectif. Ma mère, derrière l’appareil.
Mes cheveux épais, éclaircis par le soleil, que je laissais
à cette époque en liberté. Je n’avais pas encore besoin d’artifice, de fer à
lisser ou de maquillage pour être présentable.
Ces vacances d’été passées dans le Sud de la
France. Le chant des cigales et le parfum de l’air iodé.
Ce moment délicieux du « juste avant », lorsque
l’on pense que tout est réalisable. Je serai juge pour enfants ou journaliste,
il suffit juste d’y croire.
Je me souviens de mon cœur gonflé à l’idée de tous
ces possibles s’offrant à moi. Le sang aux tempes et la montée d’adrénaline qui
me faisaient sentir vivante.
Mes lèvres, vierges de tout baiser.
Mon cœur encore sous cellophane, préservé des séparations,
des mots durs et des adieux.
Cette certitude chevillée au corps que le meilleur est à
venir.
J’ai 16 ans.
Si tu m'crois pas hé, t'ar ta gueule à la récré.
oh merci Sophie pour ce joli témoignage, je suis bien d'accord sur l'importance de ce moment fragile de l'adolescence où tout parait possible et en même temps, pour ma part, je ne choisirais pas cette période et je me sens bien plus heureuse et sereine aujourd'hui !
RépondreSupprimerIdem pour moi : je me sens bien meux dans ma peau à 40 ans!
SupprimerJe me faisais aussi cette réflexion (que je me fais souvent mais une fois encore) ces jours derniers... pourquoi mes 16/17 ans sont-ils si précieux ? pourquoi est-ce que je me définis toujours par rapport à cette époque ? et bien la réponse est dans l'article... parce que c'était l'époque de tous les possibles, celle de tous les enthousiasmes, celle de la plus belle honnêteté. Parce que les journées étaient belles, peuplées de ces meilleurs amis "à la vie à la mort", que la vie a éloignés mais qui pensaient et se sentaient comme nous, invulnérables et rebelles aux injustices... parce que nous croyions avoir tout compris et ne savions rien, et que c'était bien... parce que nos passions et enthousiasmes étaient démesurés et que nous pensions le chemin sans obstacle... parce que notre appétit de la vie s'exprimait en toute chose, musique, livres, sorties, vacances, amitiés. Parce que c'est sans doute dans ces années bénies que s'est forgée l'essence même de ce que nous sommes aujourd'hui, même si la vie a fait son oeuvre... Aujourd'hui, moi aussi j'ai 16/17 ans, je suis la même, tout au fond. Et c'est bien.
RépondreSupprimerC'est tellement ça :merci pour ce joli commentaire
SupprimerJoli article ! Moi aussi j'ai l'impression d'avoir encore 16 ans ; mon cerveau est resté figé à cet âge insouciant, mais déjà bien révolu..
RépondreSupprimerTrès joli.
RépondreSupprimerIl faut souvent du recul (beaucoup parfois) pour voir l'évidence que l'on niait plus jeune.
c'est intéressant ce sujet, et les commentaires aussi.
RépondreSupprimerje suis obsédé par le temps qui passe et donc l'âge, parce que pour moi, qui suis sans emploi depuis 13 ans, ayant été licencié à 41 ans, l'âge, c'est la condamnation de fait à l'exclusion de l'emploi, des normes de valorisations sociales permettant de gagner sa vie, payer son loyer et son chauffage, la médecine, la nourriture, l'hygiène, le transport pour aller au travail. j'vous parle exprès pas du tout de développement personnel : c'est un luxe. et puis de toute façon, j'ai pas besoin de travail pour mon épanouïssement personnel, ça je le fais depuis mon enfance solitaire très bien tout seul, mais uniquement pour me loger, me nourrir, me soigner.
alors l'âge
quand on me pose la question, ce qui est très curieux c'est que mon sentiment intime varie avec la personne qui me pose la question.
mais au fond de moi, ben c'est pas très bien définit. ça se rapporte à des émotions fortes de moments où j'ai eu conscience d'être quelque chose en face ou en relation avec un autre. et du coup, y'a plusieurs âges, approximatifs qui reviennent : 3ans et demi, 12ans et demi, 25ans.
à chaque fois, ça se rapporte à l'attente d'une réponse affectives qui a été rejetée, et qui m'a renvoyer à ce que j'offrais autant qu'à ce qu'on me signifait de reprochable à ce que j'étais dans le regard de l'autre.
maintenant, souvent je vois le visage que j'ai maintenant, là, maintenant : et c'est de la fatigue.
il n'y a jamais eu de potentiel
mais là
il n'y a plus aucune foi dans les rêves éveillés qu'il m'arrive d'inventer, pour me détourner du constat de l'échec d'une vie de solitude.
vous avez eu beaucoup de chance d'avoir eu des 16ans dans lesquels vous sentiez tous les potentiels s'ouvrir à vous.
sincèrement, j'espérais ça à ces divers âges, j'espérais, parce que le principe de réalité me disait NON.
et le principe de réalité, pour moi, il était évident que même aux yeux des autres enfants de mon âge, c'était celui du conformisme de l'intimité de la sensibilité : tu n'es pas comme ça, donc ne t'approche pas trop près, garde tes distances, rend service, ramasse ta gamelle, et va voir ailleurs.
je suis passé tout à l'heure, de blog en blog, à partir de la liste des liens amis blogs, sur le blog d'une coach : ça exprime précisément la foi dans le potentiel de l'intégration culturelle et sociale qui permet de tout entreprendre au sein de cet univers culturel, qui va jusqu'à la sensibilité intime.
ça ne me met même pas en colère : je regarde ça comme je regarde les oiseaux qui volent. c'est normal qu'un oiseau ça vole et que moi je ne vole pas.
des fois, là où ça m'agace, c'est quand des gens me racontent que si je bats très vite des bras, je pourrai voler.
J'avoue que j'idéalise un peu mes 16 ans il faut dire. Je n'étais pas bien dans ma peau, me trouvais moche, trop grande, pas assez douée ou tenace dans les études...tout n'était pas rose, loin de là.
RépondreSupprimerMais je garde le souvenir de montées d'adrénaline, de bouffées de joies à l'idée que tout était possible que je ne retrouve plus maintenant. J'ai du mal à croire que vous n'ayez jamais ressenti ça au cours de votre existence. Peut-être simplement avez-vous la mémoire sélective?
je comprends bien l'argument qui est effectivement élémentaire à relever, celui de la mémoire sélective.
Supprimerbien sûr que ces ressentis sont en eux-mêmes des sélections émotionnelles particulières.
mais précisément, parce qu'ils sont tels, ils révèlent ce qui a été marquant plus fortement que le reste.
les bouffées d'adrénaline, de joies diverses, d'espoir de potentiels, me sont quotidiennes, d'aussi loin que remontent mes souvenirs. mais ces événements sont ordinaires, courants, sans grandes portées. ils m'arrivent lors d'activités aussi simples que le contentement de me faire ma gamelle, de jouer une pièce de piano ou de la travailler et d'en construire l'expression, lors d'une conversation avec une personne rencontrée au hasard d'une course, à la sortie d'un cours etc... ça dure très peu de temps, et ça retombe très vite avec le constat évident, instantanée de sa finitude, qui parfois est la bienvenue quand l'excitation et le principe de réalisme faisaient ressentir un danger quelconque.
hier soir, fatigué, je me suis mis à rêver éveillé à ce que j'espère dans ma vie depuis toujours, genre, se faire un plan classique de se trouver un coin où vivre bien, avec un travail, des complices... je me suis laissé aller à construire ce scénario qui m'est classique. j'avais le sourire aux lèvres. léger. je me suis remis au piano en continuant à le rêver... et puis, il s'est étiolé progressivement, et pourtant il était encore là quand je faisais et mangeais ma soupe, aux côtés de ma petite chatte qui comme tous les soirs, me rejoint à ce moment là, pour des caresses avant de monter se coucher...
et le matin, il faut se lever. faire des pas de plus. chercher encore et toujours les mots publicitaires pour répondre à des prétentions de postes dont on ne sait rien que ce qu'en font miroiter les rédacteurs... ou se replonger dans des cours, des lectures, bachoter, avec l'obsession de découvrir comment répondre à n'importe quelle question en hypothéquant sur ce que le prof, ou l'employeur veut entendre... etc... c'est ça le principe de réalité.
les moments de joies, je les guette à tous les instants. et je ne les perds jamais. justement, parce qu'ils sont "précaires", ils ne durent jamais, ils ne sont rien d'autre que des moments, des trous de ciel éclairé dans les nuages. des hasards. sans continuité. et ils sont pourtant ma seule ressource d'énergie pour continuer à répondre à mon instinct de conservation, et faire des pas de plus.
Régulièrement, lorsqu'on m'interroge sur mon âge, les gens prennent une expression ébahie après que je leur aie répondu. Eh oui, j'aurai quarante ans en avril prochain. Tout de suite après, on me dit l'âge imaginé, entre 25 et 30 ans. Ce qui correspond à l'âge mental que je me donne partiellement. Partiellement car j'ai toujours des bribes de moi (au sens propre comme au sens freudien) à différents âges qui subsistent. Je dois avoir un portrait qui vieillit à ma place dans un lieu dont j'ignore l'existence. J'ai beau avoir quelques cheveux gris, pris un peu de ventre, et porter des lunettes depuis peu, c'est comme si mon corps m'aidait à réaliser un désir à demi inconscient, vivre une belle vingtaine. Cette époque de ma vie ainsi que la puberté qui l'a précédée n'ont pas été heureuses ni gratifiantes. J'ai été un ado, un post ado, assez paumé, à la fois introverti et révolté. Mon adulescence, qui me semble à présent une façon d'être permanente, a été une longue quête de sagesse, jalonnée de conflits, qui semble se réaliser à l'approche de mes quarante ans.
RépondreSupprimerJ'idéalise beaucoup la vingtaine des autres, que j'imagine plus sereine et plus réussie sur le plan affectif et social. Plutôt qu'un âge, une époque, les années 80 représentent l'insouciance. Les week-end dans la ferme de mon arrière-grand-mère ou chez mes grands-parents, les jeux l'été dans la cour de l'HLM où je vivais, les boums et les balloches dans mon quartier, les films comme "viens chez moi j'habite chez une copine", l'émission "La dernière scéance" et ses soirées Tex Avery le 31 décembre. Ces moments sont teintés d'insouciance. Mes 16 ans représentent plutôt la "souciance" et cette angoisse envahissante qui paraissait sans fin. J'ai fait ma crise de milieu de vie, comme disent les anglo-saxons, à 35 ans. Je pensais littéralement avoir atteint le milieu de mon temps imparti à vivre. J'ai repris des études d'infirmier l'an dernier. Maintenant j'aborde la quarantaine entre un désir de sérénité et celui de vivre imaginairement une vingtaine équilibrée et épanouie.
tout cela est tellement joli, je ne peux que laisser un commentaire :)
RépondreSupprimerj'ai toujours pensé que les personnes ayant gardée en elle un petit morceau d'adolescence sont plus intéressantes que les autres: un regard révolté et sans concessions, une façon assez intense de vivre ses émotions, par exemple. Je vais vers ces personnes le plus souvent. Moi à 16 ans... je vivais dans ma chambre, quasiment et je passais mon temps à travailler pour le lycée (quand j'y repense, je sais pas comment j'ai pu travailler à ce point) j'étais très introverti (j'ai participé à un anniversaire en première. C'est tout) en proie à des tornades émotionnelles, un tourbillon de questions insolubles (je n'ai toujours pas résolu certaines questions d'ailleurs) mais tout n'est pas possible (j'ai eu assez tôt le sentiment de mes propres limites) et je pensais déjà à cette époque que le temps était mon allié le plus précieux. Je suis toujours passionné, hypersensible, et en recherche perpétuelle de réponses. J'idéalise plutôt mes deux dernières années de lycée, le paradis sur terre!
merci pour cet article