J’ai mentionné à plusieurs reprises sur le blog la
tendance du
« feminist-washing » , ce procédé marketing utilisé par une marque
dans le but de se donner une image égalitaire et luttant contre les stéréotypes de genre.
Parfois, ça peut être percutant et efficace, comme lorsque Pantène dénonce les doubles standards de genre.
D’autres fois, en revanche, ça peut être complètement
contre-productif et caricatural, comme lorsque Samsung
décide de récompenser les femmes d’exception…en leur offrant une cuisine !
Ou quand Snickers se met en tête de dénoncer les stéréotypes misogynes…en se vautrant dans le
sexisme primaire.
Aujourd’hui c’est Cofidis, l’organisme de crédit qui s’y
colle allégrement en déclarant : « Les
préjugés sont absurdes ! C'est pourquoi chez Cofidis, nous avons décidé de
les combattre. Aujourd'hui, nous faisons même le pari d'en rire avec vous.
Parce que nous pensons que le meilleur moyen de dépasser les préjugés, c'est
encore de s'en moquer ».
Et aussi de faire du business : ne nous méprenons pas,
si l’organisme a décidé de combattre les préjugés, ce n’est pas pour changer le
monde ou aspirer à plus d’égalité. Il s’agit juste ici de changer le regard des
consommateurs sur Cofidis afin de les pousser à s’endetter davantage. Les
propos du cofondateur de l’agence en charge de la campagne sont
éloquents : « En France les marques de crédit sont mal
aimées davantage que les banques qui font pourtant la même chose. Alors que le
crédit au sens large permet à l’économie de grandir. Nous avions accompagné
Cofidis dans la création de leur plateforme - l’idée est de changer le regard
sur le crédit. Au-delà des campagnes roïstes, il était intéressant pour
Cofidis de changer de media en étant présent sur le web, ce qui leur apporte
une image de modernité. »
Pour ce faire, la marque
a commandé à l’agence Herezie une série de 6 petits films
« humoristiques » autour des préjugés façon « Avez-vous déjà
vu ? » : Pourquoi les femmes ne savent pas faire de créneaux,
pourquoi les hommes ne pensent qu’au sexe ou ne savent pas faire la cuisine…
Sauf qu’encore une fois, tous les moyens ne sont pas bons
pour s’attaquer aux stéréotypes.
D’abord car les petits films mélangent allégrement
explications farfelues censées démontrer l’absurdité du préjugé et clichés sexistes habituellement utilisés. Exemple avec « Pourquoi les femmes ne savent pas
faire les créneaux ? » : « Parce qu’elles croient que c’est
plus facile avec un transpalette »
(explication farfelue) puis « Parce que les talons de 24 cms ne
sont pas vraiment adaptés » « Parce qu’elles se remaquillent devant
le miroir » (clichés sexistes habituellement utilisés). Pendant une minute défilent
ainsi justifications loufoques et clichés au sujet des hommes, des femmes, des
jeunes et des personnes âgées, avec pour seule explication finale « Vous
trouvez ça absurde ? Nous aussi ». La marque nous enjoint ici à
« changer notre regard sur les préjugés » sans nous fournir d’autre
alternative ou solution pour le faire (à part contracter un crédit).
Là où le film manque son coup, c’est que ce qui est censé
être jugé absurde, le ressort comique, ce sont les explications pas le
stéréotype en lui-même, qui peut du coup, continuer à être propagé sous
d’autres formes.
Plus grave, alors que la marque s’auto-érige en pourfendeur
des préjugés en tout genre, elle n’hésite pas à y avoir recours pour créer de
l’interaction sur sa page Facebook.
Ici, le community manager enfonce le clou du cliché en
déclarant « Parmi vos amies, il y en a forcément une qui n’est pas très
douée en créneau. Taquinez-la en la tagguant sur cette vidéo. ».
Ici encore, alors qu’on est censé rire du préjugé, on se trompe encore de cible et on rit des femmes
« forcément » pas très douées en créneau.
Idem pour la version masculine : « Les hommes ne pensent qu’à ça. Regards en coin, sous-entendus et blagues douteuses, ils ne manquent pas d’idées pour le faire comprendre. Mais ils n’y peuvent rien c’est dans leur nature. On vous explique pourquoi ». Ici encore, ce sont les explications farfelues qui sont censées être drôles (ex, les hommes ont la tête trop lourde et se retrouvent donc systématiquement la tête dans le décolleté des femmes), pas le stéréotype. Je dis bien "censées" car les films ne sont pas absolument pas drôles, n'est pas Alain Chabat qui veut.
Ici encore, alors qu’on est censé rire du préjugé, on se trompe encore de cible et on rit des femmes
« forcément » pas très douées en créneau.
Idem pour la version masculine : « Les hommes ne pensent qu’à ça. Regards en coin, sous-entendus et blagues douteuses, ils ne manquent pas d’idées pour le faire comprendre. Mais ils n’y peuvent rien c’est dans leur nature. On vous explique pourquoi ». Ici encore, ce sont les explications farfelues qui sont censées être drôles (ex, les hommes ont la tête trop lourde et se retrouvent donc systématiquement la tête dans le décolleté des femmes), pas le stéréotype. Je dis bien "censées" car les films ne sont pas absolument pas drôles, n'est pas Alain Chabat qui veut.
Comme l’explique Denis Colombi « l'humour a un grand pouvoir, et un grand pouvoir implique de
grandes responsabilités. Tu peux rire de tout, ça ne veut pas dire que tu peux
le faire n'importe comment. ». « Si ta blague est une sanction, pour
qu'elle soit drôle, il faut accepter la norme qu'il y a derrière. Ta blague,
elle fait rire parce qu'il y a le sexisme derrière, parce que celui qui
t'écoute accepte l'idée que oui, quand même, les femmes, elles sont un peu
comme ça. Si ce n'était pas le cas, tu pourrais faire une blague du genre
"hé, toutes les femmes sont bleues à pois verts", et ça serait drôle. ».
C’est bien ça le problème : ces films véhiculent l’idée
que, oui, les femmes et les hommes, ils sont un peu comme ça hein. Mais pas à
cause des raisons évoquées dans les vidéos. Les femmes conduisent mal parce
qu’elles ont une mauvaise évaluation de l’espace, pas parce qu’elles
« croient que c’est plus facile avec un Transpalette ». Les hommes ne
pensent qu’au sexe car c’est dans leurs gênes, pas « parce qu’ils ont la
tête trop lourde».
Et ce ne sont pas ces films qui feront changer d’avis les
sexistes capables de professer ces contre-vérités.
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