Il y a quelques années de cela, une publicité pour voiture déclarait "Le vrai luxe c’est l’espace".
Après avoir accompagné plus d’une centaine de femmes dans le cadre
de bilan de compétences, je mettrais à jour aujourd’hui cette signature publicitaire
en la remplaçant par :"Le vrai luxe c’est le temps".
En effet, cette question est cruciale dans la quasi-totalité de mes accompagnements.
"Comment faire pour avoir plus de temps?" me demandent régulièrement mes clientes. A la maison, tout d’abord, entre les tâches ménagères, la charge mentale, les devoirs et le soin apporté aux enfants.
Au travail, ensuite, entre les réunions à répétition, les mails qui s’entassent et le surtravail.
En effet, quand vous êtes une femme, vous devez travailler 2
fois plus pour montrer que vous méritez votre place, pour prouver à la personne
qui vous a embauchée qu’elle a eu raison de vous faire confiance. Et c’est encore
pire si vous exercez dans un milieu masculin ou à une place de pouvoir, si vous
êtes une femme racisée, en situation de handicap ou LGBTQI: vous êtes LA femme-quota et à ce titre vous
représentez TOUTES les femmes. Vous n’aurez donc pas le droit à l’erreur au
risque de jeter l’opprobre sur l’ensemble des représentantes de votre genre.
Vous êtes de fait soumise à une implacable injonction d’exemplarité et de réussite.
Certains employeurs ont bien compris qu’il était très rentable d’embaucher
une femme. Un recruteur s’est ainsi récemment vanté dans un billet qui se veut engagé d’avoir eu le courage d’embaucher une candidate
enceinte. (spoiler : c’est juste la loi). Ce grand bienfaiteur de l’humanité
a rapidement compris que c’était tout bénéf pour l’entreprise : "Pendant
ses premiers mois, elle a largement confirmé le bien que je pensais d’elle.
C’était une excellente décision que je n’ai pas regrettée. Au contraire même,
assez fier, car beaucoup des projets qui avaient pris du retard étaient déjà
rattrapés et une très bonne dynamique d’équipe s’était installée.
Plus inattendu et important à savoir pour tout manger à qui cela
arrive: les débuts d’Irène. Je n’avais pas anticipé son énorme dévouement,
largement disproportionné. “Forcément que je vais me surpasser pour une entreprise
qui défend ce genre de valeur. Ça donne envie de s’engager à 200%.” Elle a
confessé qu’elle voulait absolument démontrer que l’attendre était une bonne
décision. Passionnée, elle a absorbé plus de tâches qu’elle ne le devrait".
Une étude a, par ailleurs, récemment prouvé que les femmes évitaient de
demander plus de temps pour accomplir leurs tâches professionnelles, même
lorsque les délais sont explicitement ajustables, ce qui nuit à leur bien-être
et à leur performance dans les tâches. "Contrairement à leurs homologues
masculins, elles seraient moins à l’aise pour demander plus de temps de
travail, ce qui laisse présager un sentiment plus fort de pression temporelle
et d'épuisement. En cause, la crainte d’être un fardeau pour leurs collègues,
pour leur supérieur, ou de paraître incompétentes". L’étude a également démontré
une prédominance féminine au burn-out en raison de la place des femmes dans le
milieu du travail, de leur rapport à la hiérarchie et au temps.
Ce que j’ai pu observer très largement auprès des femmes que j’accompagne,
c’est le poids des tâches liées au "care" (au travail affectif) qu’elles
prennent en charge au travail : s’occuper de l’onboarding des
nouveaux/nouvelles, consoler des collègues, les aider, penser aux cadeaux d’anniversaire,
rédiger des tutoriels. Au bureau, 20% du temps de travail des femmes serait ainsi
consacré à ces tâches "gratuites", nous apprend cet article de Pauline Rochart. Un travail invisible, coûteux en énergie, peu valorisable
et qui pèse à long terme sur la carrière des femmes. En y consacrant du temps, elles n’en ont plus pour les missions stratégiques. Une de mes clientes s’est
ainsi vu refuser une promotion au motif qu’elle n’était pas organisée. Elle
passait beaucoup de temps à aider ses collègues, à trouver des solutions pour qu’ils
travaillent mieux et à les écouter lorsque la société subissait un rachat
difficile. Au dépend des dossiers stratégiques et exposés.
Son collègue masculin, qui travaillait porte fermé et ne disait pas « oui » à tout a, lui, décroché le poste.
En mai dernier, une journaliste américaine pointait cette
différence dans un article au vitriol cité par Pauline Rochart: "It’s not your job to buy the cake" ("Ca n’est pas votre boulot d’acheter
le gâteau").
Mais comme on ne peut pas se contenter de dire aux femmes "Mesdames,
osez" pour briser le plafond de verre, il en est de même pour le
renoncement à toutes ces tâches invisibles. Il n’est pas si simple d’arrêter d’acheter
le gâteau tant les stéréotypes pèsent de toutes parts, Sheryl Sandberg l’explique
très bien dans ce passage de son livre "En avant toutes" :
« Quelqu’un qu’un homme a aidé se considérera comme son obligé.
Il y aura de fortes chances qu’il lui renvoie l’ascenseur. Une femme qui donne
un coup de main suscite en revanche un sentiment de reconnaissance moindre. C’est
dans sa nature de se montrer solidaire non ?Aider les autres ? Elle
ne demande pas mieux. Le professeur Flynn parle à ce propos de « dévaluation
sexiste » : sur le plan professionnel, les femmes paient le prix de l’importance
que l’on suppose qu’elles accordent à la solidarité. A l’inverse, quand un
homme tend la main à un collaborateur, on part du principe que cela lui coûte
et, en compensation, il reçoit de meilleurs appréciations, des augmentations de
salaire ou des primes. Plus frustrant encore : une femme qui refuse de
donner un coup de main à droit à des évaluations ou des gratifications revues à
la baisse. Qu’en est-il d’un homme qui refuse son aide ? Il s’en tire sans
conséquences » (source de l’étude).
Linda Babcock professeur d’économie a récemment démontré dans le cadre d’une étude menée avec 4 autres collègues que les femmes passaient
beaucoup plus de temps que les hommes à effectuer des tâches invisibles qui ne
leur permettaient pas d’obtenir une promotion.
Ce qui est intéressant, c’est que les femmes ont également intériorisé
ce stéréotype :
"Quand vous avez besoin de demander une faveur à quelqu'un, les
hommes et les femmes s'en remettront plus facilement à une femme", explique l’une
des chercheuses. "En partie car celles-ci acceptent plus volontiers". En effet, dans un
groupe composé d'une majorité d'hommes, les femmes se proposeront en premier. En
revanche, quand celles-ci se trouvent dans un groupe exclusivement composé de
femmes, elles attendent que leurs collègues féminines se manifestent.
Pour les hommes, c’est l’inverse: dans un groupe uniquement masculin,
ces derniers proposent leur aide bien plus rapidement que dans un groupe mixte.
La chercheuse conclut en ces termes : "Ce ne sont pas
seulement les hommes qui demandent toujours des services aux femmes. Les femmes
sont également susceptibles d'aller plus facilement demander une faveur à une
femme. Il s'agit donc de sensibiliser tous les managers à ces biais subtils".
Arrêter d’acheter le gâteau sera donc insuffisant si ce geste ne s’accompagne
pas d’un changement de mentalité plus large en entreprise.
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