Philippe Jaenada et moi avons une histoire compliquée. Un de mes amoureux de l’époque m’avait acheté un de ces livres, « Le Chameau sauvage » en me glissant qu’une de ses ex avait a-do-ré (psychologie masculine quand tu nous tiens). Évidemment, le bouquin a atterri dans l’étage le plus haut de ma bibliothèque, mouroir poussiéreux des ouvrages qu’on n’ouvrira jamais.
Et puis un matin, n’ayant à me mettre sous la dent, je l’ai jeté négligemment au fond de mon sac en me disant qu’il fallait laisser sa chance au produit (à l’époque je bossais dans le marketing). Au début, je le lisais d’un œil distancié en me disant que l’ex et moi n’avions vraiment rien en commun, et puis très vite, j’ai eu de plus en plus de difficulté a chasser un sourire béat sur mon visage et à lutter contre les gloussements compulsifs qui secouaient ma carcasse dans ce train de banlieue bondé. Quelle claque ! J’aimais tout : l’humour décalé, le style anti-académique et insolite à base de parenthèses à rallonge, le récit haletant, et surtout la description sans concession d’un anti-héros attachant. Un véritable choc littéraire qui, depuis, me fait attendre en trépignant d’impatience chaque nouvelle parution de mon auteur fétiche.
C’est donc dès le premier jour de sa sortie que je me suis précipitée chez mon libraire chéri pour acheter son dernier opus, « La femme et l’ours ». Celui-ci, comme les 3 autres de mon quartier, m’annonça dépité qu’il avait été dévalisé (j’imaginais des hordes de fans errant hagards dans les rues, tapant au carreau des libraires, de la bave au coin des lèvres en ânonnant « Jaenadaaa »). J’ai du m’exiler dans le 18ème pour enfin arriver à en caser un dans ma besace (Un Jaenada ça se mérite).
Le précieux ouvrage en poche, je me suis retenue de ne pas tout lire d’une seule traite et, pour le déguster le plus longtemps possible, me suis astreinte à un nombre limité de pages par jour.
Pas de doute, dès les premières lignes, on est en terrain connu: on y retrouve notre narrateur, lucide et attendrissant, ses bars fétiches, et ses questionnements existentiels tragico-hilarants. Cependant, notre anti-héros semble avoir pris de la bouteille (et de la carrure) : du chameau sauvage, fougueux et athlétique, on passe à l’ours, plus imposant, à la bonhommie écorchée par la vie. Le narrateur, après s’être frotté au quotidien d’une vie pas toujours exaltante semble avoir fait le deuil de ses illusions (mais pas de son humour Dieu merci !). Changement stylistique également : sa marque de fabrique, les parenthèses, se font beaucoup plus rares (dommage j’aimais bien, j’avais l’impression d’ouvrir à chaque fois des boîtes sans fond).
Le talent, lui, est toujours là, à l’état brut, dans le récit de cet homme qui, suite à une dispute conjugale, part dans un voyage initiatique alcoolisé, avec comme seul équipage son sac matelas sur le dos. On croise sur sa route des personnages déglingués par la vie, des destins et des illusions brisés sans que jamais on ne tombe dans la noirceur ou la désespérance. Ce petit bijou d’humour et de désenchantement possède une gravité jusque là absente de ses précédents ouvrages et offre au récit maturité et profondeur.
Si vous souhaitez connaître l’auteur de manière plus quotidienne, sachez qu’il possède une page Facebook qu’il alimente lui-même avec beaucoup d’humour et d’auto-dérision. Peut-être, comme moi, essayerez-vous de retrouver parmi ses amis Milka Beauvisage, la lectrice qui sauve (temporairement) le héros de l’errance !Mais j'y pense : grande, brune, à forte poitrine et à chaussures rouges : c’est tout moi ça !