Tout au long de ma vie, l'écriture a été mon fil rouge et m'a sauvée de biens des situations : dernière en maths? Pas grave, première en français, sauvée du redoublement. Un petit ami qui se carapate? Une lettre écrite avec les tripes et le retour est assuré, plus efficace qu'un marabout. Une dispute qui signe la mort d'une amitié? Un mail sincère, comme une bouteille à la mer et l'on renoue le contact.
Jusqu'à il y a peu, l'écriture était un loisir en dilettante, une bouffée d'oxygène dans une vie professionnelle pas toujours palpitante. Le fait d'en vivre m'apparaissait comme une chimère, un rêve inaccessible et je me trouvais toutes les excuses possibles pour me soustraire à cette éventualité : trop de gens sur le marché, pas la formation adéquate, aucun réseau et puis surtout je travaillais dans LA World Company, cocon douillet ou prison dorée selon les jours, dont personne n'aurait envie de s'échapper. De plus, après 10 ans passés au sein d'un groupe de cette taille, le monde du travail nous paraît étranger et anxyogène tant on perd la réalité du monde extérieur. Envoyer une lettre de motivation ou passer un entretien demandait un courage et des ressources dont je pensais ne pas disposer.
Professionnellement, j'ai fait un chemin honorable : rentrée comme secrétaire dactylo, j'ai gravi (péniblement) les échelons pour accéder à des postes très variés : acheteuse, coordinatrice marketing, chef de projet internet. Cependant, je sentais bien qu'il manquait la petite étincelle qui fait la différence et qu'on ne manquait pas de me faire remarquer à chaque entretien de fin d'année : pas assez charismatique, pas assez politique, trop effacée, pas assez d'envergure. Je "faisais le job" mais sans briller ou me démarquer. Preuve en est, j'ai quitté la caste des "employés de maîtrise" pour rejoindre celle des "assimilés cadres" mais sans jamais atteindre celle tant convoitée des "cadres". Mon statut d'assimilé était un entre-deux théoriquement temporaire mais je suis restée empêtrée dans ce no man's land sans vraiment arriver à en sortir. De mon côté, je n'ai jamais vraiment pris beaucoup de plaisir à ce que je faisais, c'est d'ailleurs pour cela que mon CV peut paraître chaotique à un oeil extérieur. Dans ma vie professionnelle, j'ai essayé beaucoup de choses, suis repartie très régulièrement à zéro, espérant retrouver la même fougue qui m'habitait quand je prenais la plume. Sans succès.
J'aurais pu continuer ainsi toute ma vie professionnelle, mettant dans un coin de ma tête mes envies et baillonnant mes rêves si un événement n'était pas venu bouleverser cette routine confortable. A mon retour de congé maternité, j'ai vécu une année professionnelle très éprouvante, conjugaison désastreuse de suppression de postes, management tyrannique et pression grandissante sur les équipes. Petit à petit j'ai senti ma vie m'échapper : les choses quotidiennes les plus anodines comme m'habiller ou m'occuper des enfants devenaient des fardeaux, je fuyais les déjs à la cantine ou les pauses café avec les collègues, je me réveillais la nuit pour calculer et recalculer les formules rentrées dans mes tableaux Excel la veille. Fatalement, un jour, le corps affamé, épuisé, maltraité, ignoré craque. Et le diagnostic tombe : Syndrome d'épuisement professionnel.
Les jours qui ont suivi se ressemblaient tous : cloitrée à la maison, je les voyais défiler comme une vache verrait passer les voitures, mollement et sans émotion. L'estime de soi n'était qu'un souvenir lointain et je devenais une énigme pour mon entourage qui me conseillait "de me secouer, de voir du monde".
L' aiguillon qui m'a fait revenir à la vie dans ce long tunnel a été, une de fois de plus, l'écriture. Au début engourdie, ma plume s'est dérouillée et j'ai vu avec plaisir les mots affluer sur le clavier. L'estime de soi, pauvre pantin désarticulé, a repris corps progressivement et mes émotions ont reinvesti, à pas de loup, mon coeur anesthésié. LE PLAISIR, un mot que j'avais mis de côté dans ma vie professionnelle depuis si longtemps, revenait en fanfare au moment où je m'y attendais le moins! Elle était là ma voie, comment avais-je pu me cacher les choses si longtemps?
Voilà pourquoi à bientôt 40 ans, je recommence une fois de plus à zéro, partagée entre excitation et questionnement, guidée par mon envie et ma plume. Vais-je pouvoir en vivre? Vais-je arriver à travailler seule de la maison, moi qui ai toujours apprécié le travail d'équipe? Comment me faire connaître?
Les questions affluent, j'ai la peur au ventre mais au moins j'aurais été au bout de l'aventure. Je n'aurais jamais pensé dire ça un jour mais le burn-out m'a sauvé la vie.
Fonce ma Sophie et montre leur à la world company qu'on connait si bien qu'ils exploitent bien mal leurs ressources !
RépondreSupprimery'a comme quelque chose de l'ordre de l'espoir dans cet article, parce que j'ai toujours envie de réveiller ma plume et la mettre au service de ma vie mais je n'ai pas encore trouver le bon bout, le bon courage, la bonne forme, ni le bon coup de pied au cul pour m'y coller mieux. Il me faudrait peut être un brun out, il me faudrait donc un travail ...
RépondreSupprimerComme on se retrouve dans tes mots, Sophie...c'est dingue...Encore bravo pour cet article !
RépondreSupprimerMerci les filles, vos mots me touchent beaucoup!
RépondreSupprimerRemy : allez, courage, faut se lancer. Commence par un blog déjà, tu verras que c'est une bonne gymnastique!
Bonjour Sophie, ton texte m'a fait pleurer ! Tu es un exemple de persévérance. Tu sais j'ai lu tes articles ces derniers mois et je croyais que tu étais journaliste de formation et que tu écrivais depuis toujours ! Oui c'est ta voie et ne lâche pas.
RépondreSupprimer(C'est Isabelle du Canada sur Twitter)
Merci Isabelle pour ce message qui me va droit au cœur!je le relirai les jours de doute! (et ils sont nombreux!)
RépondreSupprimerA travers tes mots je retrouve des doutes et des rêves que je ressens quoique plus flous, n'ayant pas encore expérimenté cette professionnalisation morne que je redoute. L'écriture, un doux songe que je caresse et que je ne sais comment atteindre. Je procrastine en lisant ton blog, mais me régale, alors la procrastination continue. Bravo pour ton courage et j'adore ton éclectisme, ce refus de catégorisation que j'ai renâclé à assumer et qui m'a aussi posé problème lorsque mes proches m'incitaient sans cesse à avoir un blog.
RépondreSupprimerTu me rassures sur le fait que l'écriture est encore envisageable. Merci.
Merci à toi pour ce commentaire qui m'a permis de découvrir ton blog et une très jolie plume! C'est vrai que l'éclectisme me pose question en ce moment, j'ai l'impression que ce blog part un peu dans tous les sens...mais l'essentiel est de se faire plaisir alors ne nous posons pas trop de questions!
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