Pour beaucoup de femmes, l’égalité a été atteinte et il n’existe plus foncièrement de raison de se battre en 2012. Le droit de vote, l’IVG, les soutiens-gorge brûlés constituent autant de preuves tangibles de la libération de la femme. Mais 44 ans après Mai 68, qu’en est-il vraiment ? Dans un formidable essai « Beauté fatale », Mona Chollet, journaliste au Monde Diplomatique revient sur une nouvelle forme d’aliénation féminine : la tyrannie du look.
Il suffit de feuilleter n’importe quel magazine féminin pour saisir le nombre d’injonctions paradoxales auxquelles sont soumises les femmes : être une battante sans être une killeuse, une mère modèle et une amante hors pair, un cordon bleu avec un corps de mannequin… Faisant de la frustration leur fond de commerce, ces magazines entretiennent le mythe d’un idéal inatteignable voué à l’échec. Relayée par la publicité, la télévision et les industries « complexe mode-beauté », cette vision de la féminité se réduit progressivement à une somme de clichés ultra-stéréotypés et mièvres.
Pour l’auteure, qui cite l’essayiste américaine Susan Faludi, la dévalorisation systématique du physique des femmes, l’anxiété et l’insatisfaction permanente au sujet de leurs corps sont typiques du « backlash » (retour de bâton) ayant eu lieu en 1980 après la « 2ème vague du féminisme ». Une manière détournée de remettre à leur place celles qui ont conquis la maîtrise de leur fécondité et leur indépendance économique. En focalisant sur leur physique, on les contrôle, en jouant sur la dévalorisation du corps, on crée une prison symbolique autour de celles qui ont réussi à échapper à l’enfermement domestique et à la maternité subie.
Un matraquage qui commence très tôt (soutiens-gorge rembourrés taille 6 ans, concours de mini-miss, salons de beauté pour petite fille) et qui installe à l’âge adulte une haine de soi et de son corps aux conséquences lourdes : banalisation de la chirurgie esthétique, culte de la minceur et de la blancheur, anorexie…
Un terreau propice à l’industrie du « complexe mode-beauté » qui ne s’est jamais aussi bien portée en dépit de la crise et qui peut compter sur le soutien des blogueurs mode pour son évangélisation. A travers une « fashion démocratisation » trompeuse, ceux-ci créent une proximité artificielle avec leur lectorat tout en distillant des contenus de marque plus évasifs que les publicités classiques.
La question du corps n’a que très peu été traitée par les essayistes françaises, preuve en est la sur représentativité d’auteures américaines au sein du livre. Pourtant, cette aliénation d’une incroyable brutalité mériterait de figurer au même plan que la lutte contre les violences ou contre les inégalités professionnelles.
Jean Baudrillard, dans une phrase désormais célèbre et reprise dans le livre de Mona Chollet, qualifiait le corps de « plus bel objet de consommation ». Une sentence qui prend tout son sens aujourd’hui…
Bravo Sophie pour cette analyse très pertinente comme toujours sur le féminisme. Je vous vois bien dans quelques temps faire des conférences sur le thème! cet essai sera un prochain achat pour ma part. merci et bon dimanche.
RépondreSupprimerBonjour, merci pour cet adorable commentaire! J'espère que cet essai vous plaire autant qu'il m'a plu!Bonne lecture!
SupprimerC'est sincère, je vous admire beaucoup! je ne doute pas de cette future lecture qui viendra enrichir mon fonds! Amandine
SupprimerMais, chère Madame, l'injonction d'être beau existe aussi. Et la phrase de Baudrillard - qu'il faudrait replacer - ne s'adresse-elle pas aux deux sexes ?
RépondreSupprimer@BicycleRepairMan
Elle existe aussi mais est beaucoup moins forte et discriminante que chez les femmes, il suffit de voir la différence de traitement entre un homme qui a pris du poids et une femme,
Supprimerou la taille des rayons cosmétiques qu'occupe chaque sexe dans les supermarchés. Les stages de relooking proposés aux demandeuses d'emploi par Pole Emploi sont aussi significatifs!
Encore un livre à ajouter à ma liste des "must read"... Ton analyse est très pertinente et,en effet, cette question est assez peu évoquée en France. Comme si être un pays de mode et de chic faisait qu'il ne faut pas parler trop haut de certaines questions...Je ne sais pas.
RépondreSupprimerJe me rappelle d'un prof d'histoire qui nous disait que les vêtements en disent beaucoup sur le statut des femmes et que, par exemple, à la Renaissance (époque supposée être éclairée) les femmes étaient prises dans des vêtements, engoncées, exposées et que cela limitait leur capacité de mouvements. J'avais trouvé ça passionnant!
J'aime bien quand tu écris des articles comme celui-ci. Je trouve qu'au fur et à mesure de tes textes, tu gagnes en densité et tu te poses sacrément, tout en restant indignée quand besoin est...oui, ça me plait bien :-)Bravo!
Oui j'ai bien l'impression que tout ce qui a trait à l'apparence est parfois associé à tort à la futilité, comme si les intellectuelles préféraient se concentrer sur l'intellect quitte à oublier parfois l'importance du corps. En effet, les corsets, les crinolines puis les jupes, les talons hauts ont pour but de limiter les mouvements et d'entraver les femmes! Idem pour les sacs à mains jugés très féminins contrairement aux sacs à dos qui libéreraient pourtant la faculté de mouvement des femmes. Mona Chollet parle également de cela dans cet essai passionnant. Merci pour tes compliments qui me touchent énormément! j'essaye en effet d'alterner les coups de gueule avec les coups de coeur, tout en alternant les billets plus persos histoire de ne pas passer pour une enragée! :-) Je suis très touchée que tu l'aies remarqué!
SupprimerEt que dire du corset!! Qui servait à affiner la taille des femmes... jusqu'à l'évanouissement pour certaines, quel objet de torture.
RépondreSupprimerJe me permet de réagir également, car j'aime beaucoup l'histoire du costume et des couleurs (reste de ma formation universitaire). Effectivement, les vêtements ont longtemps servis (et servent encore?) à distinguer les différentes catégories sociales (les riches étoffes aux coloris vifs, cousues d'or pour l'aristocratie, coûtant extrêmement cher), par exemple les prostituées au Moyen Age devaient être reconnues au premier coups d'oeil (selon les décrets), elles devaient porter de la couleur jaune, des étoffes rayées, et bien souvent les cheveux détachés. En Italie, elles portaient même des chaussures à plate forme vraiment très hautes pour ne pas salir leurs robes (elles officient dans la rue, qui est à cette époque très sale, il n'y a pas de tout à l'égout par exemple), des robes ouvertes sur le devant pour faciliter leurs pratiques. Amandine
Vous avez bien raison de réagir, je trouve le sujet passionnant! il y a d'ailleurs plusieurs livres que je compte acheter sur le sujet: "ce que soulève la jupe" et "l'histoire politique du pantalon"
Supprimerje trouve aussi le sujet passionnant aussi, j'ai également acheter pas mal de documentaires sur le sujet! mais étant en vacances je ne les ai pas sous la main, si vous voulez je vous transmettre ma biblio, merci pour les références que je ne connaissais pas! Amandine
Supprimerj'ai dévoré aussi ce livre passionnant. Je compte bien l'offrir aux jeunes filles de ma connaissance et inciter ma fille à le lire, lorsqu'elle aura l'âge. Les magazines féminins ont commis quelques dégâts sur moi lorsque j'étais plus jeune et si j'avais su plus tôt que ma peau était normale (alors que je ne comprenais pas pourquoi elle n'était pas parfaite, comme sur les photos des magazines dont j'ignorais qu'elles étaient retouchées), cela m'aurai évité bien des complexes.
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