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dimanche 1 avril 2012

L'enfant en nous...

Une très jolie photo de moi enfant prise par mon talentueux oncle Guy

On ne sort jamais vraiment de l’enfance. La petite fille que j’étais vient souvent m’habiter, à mon corps défendant, dans des moments incongrus. Quand mon fils est rentré à l’école, j’avais, par exemple, la gorge serrée à chaque réunion de parent d’élèves. Ce n’était pas la mère mais l’ancienne écolière qui était assise derrière ce bureau, anxieuse et tourmentée par la peur de mal faire. L’odeur de la craie et des cahiers neufs, le crissement des chaises en bois contre le sol, la danse des talons de la maitresse sur l’estrade: tout cela me ramenait inexorablement à mon enfance. Au travail, c’était souvent la petite fille en quête perpétuelle de reconnaissance qui parlait à ma place. Pour plaire à ce père symbolique, j’ai souvent bâillonné mes envies, couru après les encouragements, espéré les bons points…Ma psy m’avait confirmé à l’époque que le monde professionnel ressemblait souvent à une scène familiale : on y rejouait fréquemment les émotions vécues, le patron incarnant le père ou la mère et les collègues les frères et sœurs. Eternel recommencement du théâtre de l’inconscient…

Même si la petite fille en moi vient généralement m’habiter dans des moments de tension ou de tourment, je la chéris tendrement. Je parle doucement à son oreille et essaye patiemment de calmer ses angoisses. Même si je n’y arrive pas toujours.

Cette proximité avec cet autre moi a crée chez moi un attrait tout particulier pour le monde de l’enfance. Par un hasard heureux, j’ai lu récemment et à quelques jours d’intervalles 2 ouvrages à ce sujet qui m’ont particulièrement touchée.

Le premier, « Enfances » est un livre bouleversant dans lequel Sempé se confie à Marc Lecarpentier. Celui que j’imaginais avoir une jeunesse aussi sereine et joyeuse que le petit Nicolas revient sur une enfance « lugubre et un peu tragique ». Sans pathos ni rancœur il raconte ce beau-père qui abusait de la bouteille, les terribles scènes de ménages, les torgnoles et les crises de nerfs. Il revient avec beaucoup de pudeur sur sa pauvreté, les déménagements incessants, son bégaiement et ses tics nerveux. Pour fuir cette réalité sordide, il s’instruit grâce à la radio et aux journaux et se met à dessiner « des gens heureux ». Et le miracle se produit…

Ce qui est saisissant, c’est le contraste entre la noirceur de l’enfance racontée par son auteur et l’insouciance de ses dessins. Ces nuées d’enfants aux vêtements colorés ou cette jeune fille pensive face à la mer nous émeuvent car à la fois mélancoliques et drôles, nostalgiquement doux-amers. La résilience, concept abstrait présenté par Boris Cyrulnik comme « l’art de naviguer dans les torrents » prend ici tout son sens. Et redonne furieusement espoir.

Le second ouvrage, « Lucie de l’amère mort », est le livre d’une amie chère, Caroline Valbrun. J’ai connu Caroline il y a un an et demi grâce au site sur lequel nous écrivions toutes les 2. J’ai été instantanément touchée par sa plume et sa facilité à manier tous les sujets. Guide-interprète de formation, son thème de prédilection est le tourisme mais elle possède l’incroyable capacité de pouvoir écrire avec une grande virtuosité sur tous les sujets. Je n’ai découvert ses talents de romancière que récemment (sa grande humilité n’en faisant cas qu’à de rares occasions) et ai littéralement dévoré son dernier ouvrage.

Il faut dire que « Lucie de l’amère mort » a fait écho en moi à plus d’un titre. Tout d’abord car elle raconte la vie de sa grand-mère en mêlant habilement petite et grande histoire : à travers le portrait de cette femme d’exception se dessine aussi en filigrane l’histoire du siècle dernier et la situation des femmes à cette époque.

La description des relations étroites qu’elle entretenait avec sa grand-mère m’a également extrêmement touchée et rappelé les liens intimes que j’entretenais avec la mienne. Sa subtile évocation du travail de deuil m’a ramenée à la perte de cet être cher : comment survivre à cela sans oublier ? Que faire de l’enfant éploré en nous ? J’ai aimé suivre l’histoire de cette famille à la fois si originale et si commune : chacun y retrouvera un peu de la sienne, avec ses trahisons et ses joies, ses non-dits que l’on tait et ses valises que l’on traîne, d’une génération à l’autre.

A la mort d’une grand-mère, chacun se sent rentrer de plain-pied dans le monde des adultes. C’est une partie de notre enfance qui part avec elle. La vie continue certes, mais différemment.

«L'homme est un animal inconsolable et gai » : cette phrase d’Anouilh citée par Sempé dans « Enfances » prend alors tout son sens…

11 commentaires:

  1. Mince, c'est la seconde fois ce soir que j'ai l'impression (égocentrée) qu'un post n'a été écrit rien que pour moi...
    Tu décris si justement, et avec tellement de tendresse, l'enfant en toi et ses "réapparitions" à des moments particuliers. Merci
    Quand au livre, tu m'as donné envie de le lire.

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    1. C'est normal j'ai aussi ce sentiment quand je lis ton blog si juste!! on doit être sur la même longueur d'ondes! :-) Merci pour ce commentaire!

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  2. Très belle "confession" Sophie...Nous élevons nos enfants comme pour "guérir" en eux nos propres peines enfantines, celles que nous savons préssentir chez eux et comme nous sommes TOUJOURS des enfants, nous savons où et comment caresser pour soulager "là où ça fait mal"...L'enfant qui co-habite avec cet "adulte" que nous sommes devenus, n'est-il pas, lui, le seul témoin secret de nos profonds émois, de nos peines et de nos souffrances que nos parents ont éssayé de panser avec plus ou moins de succès? Et nous, y-sommes nous parvenus avec nos propres enfants?... Cette portion d'adulte qui nait un jour en nous et qui grandit avec le temps et les épreuves " à côté" de l'enfant n'entame en rien ce domaine reservé, entretenu et révigoré par le souvenir, et davantage encore par la perte de nos parents et de nos mères "antérieures" ou "intérieures" : nos grand-mères.
    Tonton Guinod

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  3. Merci pour ces belles lignes si douces et amères à la fois qui réveillent tant de souvenirs... L'enfance perdue... C'est assez bouleversant car en ce moment je me re-plonge dans mes souvenirs d'enfance, c'est peut être le fait de voir grandir ma fille et dc de devenir tous les jours un peu plus adulte. Je relis avec un immense plaisir Les souvenirs d'enfance de Pagnol... L'insouciance mêlée à la nostalgie. Et merci de ns faire découvrir ce roman, je file l'acheter!

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    1. Merci pour cet adorable commentaire! L'année prochaine, je fêterai mes quarante ans, cette période est aussi propice pour moi à l'introspection et à la nostalgie!

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    2. Merci à toi d'exprimer si bien ce que beaucoup ressentent! J'imagine bien pour le cap des 40 ans! Je viens d'avoir 28 ans et une amie m'a dit que c'était le debut du cap des 30 ans propice au questionnement aux rétrospectives de l'enfance notemment! Je suis en plein dedans! Encore bravo! Et merci pour la référence de ce roman que j'ai hâte de lire mtnt!

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  4. Le "colocataire" (l'enfant que nous avons été)ne nous lâchera jamais je pense. Il est garant de notre devenir. Impossible de le nier ou de l'abandonner quelque part... Il se rappelle à nous à certains moments pour nous dire : ne m'oublie pas. C'est ainsi que l'on grandit et que l'on avance. Précieux paquetage de notre enfance, que nous ouvrons parfois lorsque, à notre tour, nous devenons parents. On prend alors le meilleur et enfouissons le reste au fond du sac. La perte d'un être proche et précieux nous plonge brutalement dans la réalité de l'adulte que nous sommes devenus. Et à ce moment là, le petit enfant revient en nous et nous console. J'ai aimé votre article où chacun peut se reconnaître. Merci de votre témoignage et de votre si belle écriture. Ticop...

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  5. Je me retrouve pas mal tout au long de cet article, tendre et touchant à la fois...

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    1. Merci! (pour info, j'ai été enfant unique jusqu'à mes 9 ans, petit clin d'oeil à ton article sur la question! ;-))

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  6. Je découvre votre blog aujourd'hui (via une polémique sur twitter)
    Quand je repense à l'enfant que j'ai été, la tendresse et la colère se mêlent. On ne guérit pas de son enfance sans doute, ça peut être une grande force.

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