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jeudi 7 juin 2012

On ne nait pas féministe, on le devient


L’autre jour, quelqu’un m’a demandé depuis quand je m'intéressais au féminisme. J’ai eu du mal à dater la chose, je sais juste que c’est une prise de conscience assez récente.

Je pense que ma mère, en dépit d’une éducation plutôt sexiste (seuls ses frères ont pu faire des études par exemple) faisait, comme Mr Jourdain et sa prose, du féminisme sans le savoir. Venant d’une famille juive d’Afrique du Nord assez traditionnaliste, elle a souvent été en rupture avec ses codes. Quand sa mère la pressait de se marier, celle-ci répondait  ironiquement« Je me marierai en noir. Ca ira bien avec mes cheveux blancs », alors que pour les jeunes filles de son époque et de son milieu, le mariage était souvent considéré comme le saint graal. Elle a toujours travaillé et quand mon petit frère est né, c’est mon père qui est resté à la maison les premiers temps, sans que cela ne pose de problème à personne.

Je n’ai jamais vue ma mère acheter un magazine féminin ou un pot de crème, elle m’a toujours inculqué que la vraie beauté était naturelle. Même si elle prenait soin d’elle, elle ne courait pas les soldes, ne bavait pas devant les « it bags » ou les bijoux, m’a toujours appris qu’une tête bien faite était plus importante.

Plus tard, même si la question la tourmentait, elle ne m’a jamais mis la pression pour que je me marie, même à 30 ans.

De mon côté, cette prise de conscience féministe a été assez tardive. Je crois qu’elle a été la conjonction de 2 facteurs : un désir altruiste et un désinvestissement du corps comme objet.

Il y a 3 ans, alors que je ne trouvais plus de sens à mon travail, je décidai de me tourner vers les autres en me présentant aux élections des délégués du personnel de ma boîte. A cette occasion, j’ai été confrontée à l’âpre réalité du monde du travail, sous ses aspects les moins reluisants. Et j’ai découvert au quotidien que ce sont souvent les femmes qui en pâtissent le plus durement. C’est donc tout naturellement vers elles que s’est tourné mon engagement. Par ailleurs,  j’ai toujours été passionnée par la psychologie sociale, la façon dont le milieu social (et le sexe) façonnaient les individus (Bourdieu a d’ailleurs été la grande révélation de ma licence). Le poids de l’inné et l’acquis, le déterminisme sont autant de sujets passionnants que l’on retrouve dans les questions féministes: le genre, l’éducation, la réussite sociale…

Cet engagement a également coïncidé avec le désinvestissement de mon corps en tant qu’objet. De mon adolescence jusqu’à il y a quelques années, mon corps parlait souvent à ma place. Il ne se passait pas un jour où l’on ne m’arrêtait pas dans la rue pour m’inviter à dîner ou me demander mon téléphone. On me sifflait, m’insultait souvent quand je ne répondais pas, me suivait jusque chez moi. Au boulot, une collègue m’avait même lancé en me voyant « tiens, encore une recrue de la génération casting », sous-entendant que le DRH de l’époque ne recrutait que des femmes taille mannequin. Je ne compte plus les épisodes où mon corps a joué en ma défaveur : j’ai ainsi été virée sur le champ d’un stage pour avoir refusé de débarquer chez mon patron à 22H pour un dîner aux chandelles. Quelques années auparavant, le patron de l’entreprise dans laquelle je travaillais en job d ‘été m’avait imposé de ne plus utiliser l’entrée principale mais avait exigé que je passe par le local à poubelles pour cause de « jupe trop courte ». De telles histoires, j’en ai à la pelle. Et puis un jour, insidieusement, tout cela s’est arrêté. Je n’arrive pas à dater la chose, il me semble que cela a coïncidé avec la rencontre de mon mari. Je n’ai pourtant pas beaucoup changé, ni dans ma silhouette, ni dans ma façon de m’habiller. Peut-être ai-je perdu de ma fraîcheur ou de ma naïveté ?
Désormais, les seules fois où l’on m’arrête, c’est pour me demander l’adresse du commissariat ou de la boulangerie la plus proche.

Rien de cette ancienne vie ne me manque. : à force d’être ravalée à l’état d’objet, on finit par le devenir. On mise tout sur le corps car on pense que l’on n’a rien d’autre. A partir du moment où j’ai cessé d’être regardée comme une jolie plante verte, j’ai investi mon énergie ailleurs. Comme une marionnette libérée de ses fils, j’ai dévoré des livres, me suis mise à écrire et ai découvert que mes mots avaient un sens et un poids.

Débarrassée d’un corps trop bavard, j’ai enfin repris la parole, pour porter, à mon modeste niveau, la voix de celles que l’on n’entend pas assez.
Ma tête et mon corps, enfin réconciliés, vibrent à l’unisson, sans fausse note. Et si c’était ça la maturité ?





6 commentaires:

  1. Interessant comme article ! Je pense cependant que le physique ne fait pas tout dans le fait que l'on t'aborde ou non dans la rue... C'est plus une question de charisme que de beauté. Mais je te rejoins sur ta conclusion, c'est surement ça la maturité !

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  2. Merci pour tes mots. Ils me touchent incroyablement (je ne suis pas taille manequin ni tout ça hein!) car j'y retrouve tant de mon parcours. Et tu le pose si justement...

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    1. Merci ma belle, je sais que l'on a beaucoup de points communs, ce n'est pas pour rien que je me retrouve si souvent dans tes écrits!

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  3. Bel article ! De mon côté, avoir un maitre de stage un peu indélicat et évoluer dans un milieu trèèèèès masculin m'ont éveillée au féminisme, mais mon éducation allait aussi dans ce sens. Ca me donne envie de prendre quelques années tout ça :)

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  4. Tres bel article. Ado j'ai voulu tout investir sur mon apparence, car on me repetait que c'etait la facon pour une femme de gravir les echelons et trouver un bon mari, je voulais etre cette poupee de deco que tout le monde veut avoir dans sa maison, j'ai neglige mes etudes. Quand je me suis apercue qu'en misant sur mon apparence je me faisais du mal, il etait trop tard. Enfin trop tard... j'ai repris des etudes, me bat pour avoir une carriere digne de ce nom. Aujourd'hui je me heurte a d'autres barrages en plus d'etre une femme je suis noire et cela me donne encore moins de credibilite. Quand je suis arrivee dans ma nouvelle boite j'ai entendu une fille dire "Vous avez vu la nouvelle ? Elle est noire !?" ET ? Donc... je suis noire y en a plein en France. Je suis un etre humain comme toi. Bref pour dire que j'ai adore ton article sa pertinence, et que j'aimerais en lire plus des comme ca sur internet. MERCI. (Waaaw te faire virer pour avoir refuse un diner aux chandelles !) Ou va le monde ?

    Desolee j'ai pas les accents sur mon clavier

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    1. Merci pour ton commentaire! j'admire ta ténacité bravo! Comme quoi, il n'est jamais trop tard pour changer de vie! Noire et femme, il est vrai que tu cumules les difficultés mais je suis sûre que tu vas y arriver!:-)

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