« Je ne suis pas féministe mais… » : je ne
compte plus le nombre de fois où j’ai entendu cette phrase, comme si vouloir
l’égalité entre les sexes était un gros mot ou un crime de lèse-majesté.
L’ex première dame Carla Bruni est allée encore plus loin en
affirmant dans une interview à
Vogue Paris : « Je ne suis pas une féministe active. Au
contraire, je suis bourgeoise. J'aime la vie de famille, j'aime faire la même
chose chaque jour ». Et d'ajouter : « Ma génération n'a pas
besoin du féminisme ».
Après les clichés sur la féministe poilue, mal baisée et
hystérique, voici une nouveauté : on ne peut être féministe et être
bourgeoise, on ne peut être féministe et avoir une vie de famille.
Récemment, le site « La
Parisienne » posait cette question fondamentale : Beauvoir
était-elle une femme soumise ? Cette interrogation pour le moins
iconoclaste surgit alors que sort le livre d’Irène Frain décrivant la passion
unissant la philosophe féministe à un écrivain américain. On y apprend, ô
sacrilège, qu’elle promettait à son amant « Je serai sage, je ferai la
vaisselle, je balaierai… » . Façon indirecte de jeter le discrédit sur ses idées en mettant le projecteur sur sa
vie personnelle. Et de rabaisser une militante, une intellectuelle engagée en
la ravalant au rang de vulgaire « people » (cet article le
décrypte très bien).
Si je résume donc mes lectures des derniers jours, on n’a
pas le droit d’être féministe si on est mariée.
On n’a pas le droit d’être féministe si on est bourgeoise. On n’a pas le
droit d’être féministe si on balaie, fait la vaisselle (ou si on le promet à
son amant, dans un jeu de soumission consentie).
En bref, des brevets de féministes en veux-tu en voilà
délivrés par des personnes qui n’ont rien à voir avec un quelconque
militantisme en la matière.
En tant que féministe auto-proclamée, j’ai très souvent été
confrontée à ce genre de réactions qui tentent de me placer devant
d’éventuelles contradictions.
Très régulièrement, j’explique donc « Je suis féministe
mais… » et assume pleinement ce qui peut apparaître comme des
incohérences :
-
Je dépends financièrement de mon mari : en
quittant mon activité salariée pour me lancer dans l’auto-entreprenariat j’ai
pris un risque financier. Mes rentrées d’argent très irrégulières pour
l’instant sont compensées par le salaire fixe de mon conjoint. Je n’aurai pas
pu effectuer ce changement de vie si j’avais été mère célibataire. Evidemment,
cette situation ne durera pas éternellement. Je me laisse le temps de mes droits
Assedics (soit un an). Si d’ici là je n’arrive pas à dégager un salaire qui me
permette d’en vivre, je retournerai vers le salariat.
-
Je suis mariée, j’ai 2 enfants : en dépit
des clichés en vigueur, les féministes ne sont pas toutes des célibataires
incasables et aigries et la situation maritale n’a rien à voir avec
l’engagement. Le fait d’avoir des enfants m’a d’autant plus ouvert les yeux sur
le conditionnement inconscient qui se met en place à leur égard, souvent à mon
corps défendant. Et a mis en évidence le gouffre qui existe entre la théorie et
la pratique.
-
Je m’épile : pourtant bien consciente de
l’injonction sociale liée à ce geste, je m’y conforme.
-
Je ne suis pas arrivée à l’égalité dans la
répartition des tâches ménagères au sein de mon foyer : le repas c’est
moi, les courses aussi, les devoirs, les lessives et le bain également. Mon
mari prend le relais quand il rentre à 20h et le week-end également mais le
ratio reste très déséquilibré. Et même s’il est tout sauf un affreux macho, je
ne vois pas de solution réaliste pour y remédier.
-
J’aime cuisiner, j’aime les chaussures, je lis
des blogs mode : l’année
dernière, une élue se revendiquant comme féministe m’avait interpellée sur
Twitter. Pour elle, je trahissais la cause car je postais de temps en temps des
photos de chaussures ou de mes recettes de cuisine. Etrange pour quelqu’un qui
se dit du côté des femmes…
-
J’ai travaillé 11 ans dans la cosmétique et
aujourd’hui encore la plupart de mes clients sont dans ce secteur : je
trouve le monde dans la cosmétique passionnant autant pour ses produits que
pour ce qu’ils disent sur les femmes et leur conditionnement. Cette expérience
me permet d’avoir aujourd’hui un regard décillé sur les injonctions de beauté
et les normes implicites qui en découlent. Et enrichissent au quotidien mon
travail d’analyse. Quand on reprochait à F. Beigbeder de cracher dans la soupe
à la sortie de 99 francs, celui-ci répondait « on ne peut détourner un
avion qu’en montant dedans ». C’est aussi ce que je ressens : mon
expérience dans la cosmétique ne délégitime pas mon engagement féministe, bien
au contraire. Il me permet de le nourrir car connaissant les coulisses de cette
industrie, je suis plus à même de mettre en évidence les mécanismes qui la
sous-tendent.
-
Je lis régulièrement la presse féminine :
j’enrage souvent, j’éructe régulièrement mais je trouve l’exercice nécessaire
pour ne pas perdre pied avec la réalité de beaucoup de femmes. Je m’entraîne à
lire au-delà des lignes, à décoder les messages sous-jacents avec mes lunettes
féministes. Sans oublier que ce type de presse constitue une matière de premier
choix pour mes articles et billets !
Malgré tout cela, je me revendique féministe. Pour moi être féministe, c'est vouloir le libre choix des femmes dans tout ce qu'elles entreprennent : qu'elles décident d'être femme au foyer ou de travailler, d'allaiter ou de donner le biberon. Sans aucun jugement de valeur.
Plus que jamais, nous avons besoin de ce mouvement d’égalité entre les sexes, en dépit de ce que peut penser Carla Bruni. Tant que 80% des tâches ménagères seront effectuées par les femmes nous aurons besoin des féministes. Tant que les femmes gagneront 27% de moins que les hommes nous aurons besoin des féministes. Tant qu’il y aura des femmes pour sortir de tels clichés éculés, nous aurons besoin des féministes.
Plus que jamais, nous avons besoin de ce mouvement d’égalité entre les sexes, en dépit de ce que peut penser Carla Bruni. Tant que 80% des tâches ménagères seront effectuées par les femmes nous aurons besoin des féministes. Tant que les femmes gagneront 27% de moins que les hommes nous aurons besoin des féministes. Tant qu’il y aura des femmes pour sortir de tels clichés éculés, nous aurons besoin des féministes.
Mais chère Carla, les féministes n’auront pas besoin de toi.