Mon meilleur moment au théâtre c’est juste après le noir.
Quand la lumière se fait et que l’on entre par effraction autorisée au sein
d’un huis-clos dont on détaille avec avidité les moindres recoins. Ce petit
moment savoureux situé dans l’entre-deux.
J’ai eu l’occasion de voir ces derniers jours 2 pièces très
différentes. La première « Rendez-vous au grand café », grâce à mon
amie Clotilde, élève du cours Jean-Laurent Cochet, qui m’a gentiment fait
profiter d’une de ses invitations.
Cette comédie romantique adaptée du roman de Daniel Glattauer "Quand souffle le vent du
nord" raconte la rencontre virtuelle entre Emmi et Léo. Alors
qu’elle tente désespérément de résilier son abonnement à une revue, la jeune
femme se trompe d’adresse mail et rentre ainsi en contact avec Léo. Ce dernier
lui signale son erreur et ce sera le début d’une longue conversation entre la
conceptrice de site internet, mariée et le psychologue du langage, tout juste
remis d’une rupture.
J’ai beaucoup aimé cette adaptation : les acteurs, mari
et femme à la ville, sont très complices, merveilleusement justes et
complémentaires. Emmi, la malicieuse, piquante et prolixe forme un très joli
duo avec Léo, bougon, cynique et à l’humour froid.
Alors que toute la pièce ne se déroule que par écrans
interposés, on aurait pu craindre un manque de dynamisme ou de chaleur mais il
n’en est rien. La mise en scène rend au contraire le rythme des échanges tour à
tour trépidant, drôle ou intime. On se prend au jeu palpitant du virtuel, on
vibre avec les personnages à l’unisson, on partage leur fébrilité et leurs
questionnements. La pièce retranscrit à merveille ce moment délicieux où le
cœur et l’esprit fabriquent à partir de bribes de mots cet être idéal que l’on
n’attendait plus. Comme eux, on a envie d’y croire !
Changement de registre avec « Le Père » au théâtre
Hebertot . Dans cette pièce de Florian Zeller créée sur mesure pour Robert
Hirsch, ce monstre sacré incarne un vieil homme, autrefois brillant, qui perd
progressivement la mémoire et la raison. Isabelle Gelinas, solaire et toute en
sensibilité, incarne sa fille Anne dont on devine l’histoire familiale en
filigrane. Tiraillée entre culpabilité et instinct de survie, elle lui propose
de s’installer chez elle sans se douter des bouleversements qu’entrainera
l’arrivée de cet homme en fin de vie.
La performance de Robert Hirsch est éblouissante : il
incarne à merveille ce vieillard tantôt capricieux et détestable, tantôt
attachant et enfantin, qui sent, malgré lui, sa raison lui échapper. A tel point
que l’on est parfois mal à l’aise, ne sachant si son allure souffreteuse et son
essoufflement perceptible sont crées de toutes pièces ou trahissent son grand
âge.
Mais ce qui rend la pièce extrêmement troublante c’est la
sensation d’être littéralement dans la tête du vieillard grâce à une
scénographie très étudiée. L’appartement se vide peu à peu, nous laissant dans
un état de confusion assez déstabilisante, sans aucun repère de lieu. Les
personnages changent tour à tour d’identité et sont successivement joués par
des acteurs différents. Dans cette valse troublante, on ne sait plus si l’on a
en face de soi la fille ou l’infirmière. La chronologie sans queue ni tête
finit de parfaire la confusion.
Petit bémol sur les textes que j’ai trouvé un peu superficiels
et pas vraiment à la hauteur de la performance scénique. Nous ne saisissons
ainsi que des bribes de cette relation père/fille très vaguement esquissée et
qui aurait mérité plus de profondeur.
Cette réserve mise à part, « Le père » reste un
grand moment de théâtre dont on ressort chamboulé et admiratif. Une farce
tragique que l’on n’oublie pas de sitôt.
Preuve en est l’accueil tonitruant du public, debout et
conquis, à la fin de la pièce.
Pour en savoir
plus :
« Rendez-vous au grand café », Théâtre des
bouffes parisiens, jusqu’au 16 décembre 2012
« Le père », Théâtre
Hebertot, à partir du 20 septembre 2012
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