Quand on évoque le sexisme, vient immédiatement à l’esprit l’image d’un
macho, misogyne et ouvertement hostile à l’égard de la gent féminine. Il existe pourtant
autre forme de discrimination, bien plus subtile et qui cause insidieusement du tort aux
femmes, allant jusqu’à influer leurs performances cognitives. Il s’agit du
sexisme bienveillant.
Difficilement identifiable, il considère les femmes comme
des êtres faibles qu’il faut protéger, chérir et placer sur un piédestal. Dans
cette vision binaire du monde, chaque genre possède des caractéristiques
propres et complémentaires (les femmes sont sociables et chaleureuses, les
hommes compétents et affirmés). « Les
stéréotypes véhiculant l'idée d'une complémentarité entre hommes et femmes
auraient une fonction de maintien et de justification du système social, car
chaque groupe de genre serait vu comme détenteur d'une série de forces qui
compenseraient ses propres faiblesses et les rendraient acceptables »,
explique Marie Sarlet, doctorante ayant participé à une étude sur le sujet.
Difficilement identifiable, il peut être facilement confondu
avec de la galanterie.
Récemment, le président Obama, pourtant connu pour sa
politique progressiste envers les femmes, s’est illustré par une saillie
transpirant le sexisme bienveillant en décrivant ainsi Kamala Harris, le
procureur général (ministre de la justice de l’état fédéral) de
Californie : «Elle est brillante et investie et elle a de la poigne. Et il
se trouve aussi qu’elle est de loin la plus agréable à regarder de tous les
procureurs généraux du pays.» Aux rires de l’assemblée, il a ajouté
«allez ! C’est vrai!». Preuve, s’il en fallait une, que ce genre de
remarque ne provient pas forcément d’affreux misogynes décomplexés.
Alors qu’il pourrait paraître anecdotique, le sexisme
bienveillant est lourd de conséquences. Des chercheurs
liégeois ont ainsi démontré que des femmes, placées en situation de
recrutement, obtenaient de moins bons scores
à des tests de mémoire quand elles étaient confrontées à des discours
paternalistes (« Les hommes
doivent aider les femmes à s'adapter et les protéger » par
exemple). « Ce constat est en accord avec la thèse défendue
par différents auteurs, dont Mary Jackman, selon laquelle les groupes dominants
maintiennent plus efficacement les inégalités sociales à travers l'influence
persuasive de la bienveillance qu'à travers l'hostilité », commente Marie
Sarlet. Les chercheurs expliquent cette baisse de performance par les pensées
parasites que suscite le sexisme bienveillant « « Le recruteur veut-il
m'aider et pourquoi ? », «Peut-être ne suis-je pas assez compétente ? ».
Le sexisme bienveillant est bien moins facilement
identifiable que le sexisme ordinaire, pour autant il lui est corrélé et
participe à l’infériorisation des femmes comme les 2 faces d’une même médaille.
Des études ont ainsi montré que le niveau de sexisme bienveillant et de sexisme
hostile étaient corrélés positivement. « Autrement dit, dans les pays où le niveau moyen du sexisme hostile est
élevé, celui du sexisme bienveillant l'est aussi. Eu égard à la constitution de
l'échantillon, tout indique qu'il s'agit d'une caractéristique transculturelle»
explique Benoit Dardenne.
J’entends déjà des
voix s’élever « On n’a plus le droit de complimenter une femme
alors ? » « Il va falloir lui claquer la porte au visage pour ne
pas être sexiste ? ».
Je vous conseille à
ce sujet 2 lectures éclairantes : le
billet de Crêpe Georgette sur la galanterie et celui de Lindy West (en
anglais)
sur les femmes et les compliments (merci @kriss_dek).
Petite merveille sexiste passée par ma librairie cette semaine : http://www.canalbd.net/legend-bd_catalogue_detailbd_Les-Guides-en-BD-T41-Le-Guide-des-Ecolos-T41--9782749307084
RépondreSupprimerUne femme tenant un chiffon et un homme avec un stéthoscope, petite illustration quotidienne de ce qu'est ce sexisme de tous les jours qu'on dénonce comme on peut mais qui semble ne même plus choquer. Et qui entraine facilement des réponses du type "oh tu exagère" qui maintienne ce sexisme policé.
Oh punaise, c'est du lourd ce truc! J'ai vu que l'auteur a sorti dans la même série le guide du mariage, je n'ose pas imaginer ce qu'on doit y trouver!
RépondreSupprimerVotre article fait tout à fait écho à l'ouvrage du sociologue interactionniste Erving Goffman, « L'arrangement des sexes », paru en 1977 : « Par tel ou tel geste ritualisé, les hommes ne vont pas manquer de montrer, de temps à autre, qu'ils considèrent les femmes comme des êtres fragiles et précieux qu'il convient de protéger des dures réalités de la vie et auxquels on doit témoigner amour et respect. Les femmes peuvent bien être définies comme étant de moindre valeur que les hommes, mais c'est avec sérieux qu'elles sont idéalisées, mythologisées, au travers de valeurs telles que le maternage, l'innocence, la gentillesse, l'attrait sexuel, et ainsi de suite - un panthéon de moins valeur, peut-être, mais tout de même un panthéon. » (p. 60 dans l'édition la Dispute de 2002)
RépondreSupprimerGoffman a notamment travaillé sur deux systèmes : celui de la cour et celui de la galanterie (souvent confondue avec la politesse, comme vous l'évoquez dans votre article par la réplique emblématique « Il va falloir lui claquer la porte au visage pour ne pas être sexiste ? »).
Concernant la galanterie, il évoque par exemple : « Du point de vue véhiculé par les rituels interpersonnels, la croyance (dans les sociétés occidentales) veut que les femmes soient précieuses, ornementales et fragiles, inexpertes et inadaptées à tout ce qui exige l'emploi de la force musculaire ou à l'apprentissage de la mécanique ou de l'électricité, ou à tout ce qui comporte un risque physique ; plus encore, qu'elles soient facilement sujettes à la souillure et à la flétrissure, qu'elles pâlissent lorsqu'elles sont confrontées à des paroles blessantes et à de cruelles réalités, parce qu'elles sont instables autant que délicates. Il s'ensuit, dès lors, que les hommes auront l'obligation de s'interposer et de les aider (ou de les protéger) partout où il apparaîtra qu'une femme est de quelque façon menacée ou prise à partie, la sauvegardant de spectacles sanglants, macabres, de choses dégoûtantes comme les araignées et les vers, du bruit et de la pluie, du vent, du froid et autres intempéries. » (pp. 67-68)
Je vous encourage à lire ce livre magnifique !
Quel bonheur de lire un tel post ! Il faut bien avouer que c'est non seulement irritant de recevoir ces fausses marques de "respect"... et ce d'autant plus que lorsqu'on dénonce ce genre de comportements, on nous accuse d'être "comme toutes les femmes", c'est-à-dire "jamais contente"... Vive le mépris pour notre avis !
RépondreSupprimer@ Mona Zegai : ce livre a l'air très intéressant... et je trouve très amusant qu'il soit déjà si ancien !
On m'a souvent dit qu'en ayant moins de force physique qu'un homme, je ne pouvais et ne devais pas me défendre. Pourtant, je suis moins forte que la plupart des gens et je me suis déjà défendue et ai déjà posé mes limites contre toute une classe. Un exemple frappant de sexisme bienveillant, avec le racisme, utilisé pour "défendre les femmes" : http://hommelibre.blog.tdg.ch/archive/2016/01/12/cologne-cherchez-l-homme-273265.html
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