Quand j’ai entendu parler sur Twitter d’un nouveau magazine
féministe, j’étais à priori plutôt enthousiaste. Vive la pluralité de ton et de
traitement même si son titre, « Bridget », me laissait dubitative.
Bridget comme Bridget Jones ? Ou Bridget qui rime avec Causette, histoire
de créer la confusion ?
J’ai ensuite appris que le directeur de publication n’était
autre que Frédéric Truskolaski, patron de presse sans scrupule dont les titres
bidonnés avaient fait l’objet d’une
enquête dans un numéro de Causette.
Est-ce pour se venger de ce papier que Frédéric Truskolaski
a décidé de lancer un magazine concurrent ? Ou parce qu’il a senti que le
féminisme était devenu une niche rentable ? Quoi qu’il en soit, pour Grégory
Lassus-Debat, directeur de la publication de Causette, interviewé
par Rue89 il s’agit d’un plagiat flagrant de son magazine : « La
maquette et la direction artistique ont été repompées à 100%. Et Bridget a le
même positionnement éditorial, le même format, le même prix (4,90 €). Même
le papier est proche du nôtre, si ce n’est identique. Certaines rubriques ont
été clonées, seul le nom étant changé : “ On nous prend pour des quiches ”
devient ainsi “ Au secours ”. ». (Au fait, ça ne choque personne que les 2 patrons de magazines féministes soient des hommes?)
En lisant l’article de Rue89, je réalise que je suis sur
Twitter une des rédactrices de Bridget (la seule à ne pas écrire sous pseudo). Je décide donc d’en savoir plus sur ce
magazine en échangeant avec elle. Je lui fais part de mon étonnement au sujet
de la légitimité de l’équipe de rédaction : Un patron de presse people, 3
rédactrices sous pseudo et elle-même, pigiste pour la presse people. Ma
question passe pour du mépris alors que ça n’a rien à voir avec cela :
j’estime que quand on lance une revue spécialisée autour d’une thématique, on
se doit d’avoir dans l’équipe des spécialistes de la question. Et une équipe
plus étoffée que 4 rédactrices.
Je précise qu’il ne s’agit absolument pas de condescendance
envers la presse people : si un magazine de cuisine était un jour lancé
avec 4 journalistes politiques, je me serais posée la même question.
Elle m’apprend que les 3 autres rédactrices écrivent pour
des journaux très respectables mais qu’elles préfèrent garder l’anonymat pour
« éviter les trolls ». Drôle de conception du journalisme pour un
magazine qui se veut engagé. Il doit surement y avoir de sacrées révélations au
sein du journal pour envisager la nécessité d’avancer masqué. Soit.
Quand on lui parle de Frédéric Truskolaski, la rédactrice
répond « Je bosse avec ce mec depuis plusieurs années, jamais eu de
soucis. Il m'a proposé de faire un mag féministe, j'ai dit oui. Après, il nous
a laissé carte blanche. ».
Cette méthode de la « carte blanche » m’a
immédiatement fait penser à l’épisode du rachat du magazine « 20
ans » par Frédéric Truskolaski (encore lui). Cette fois-ci il avait réussi à lancer un
journal avec une vingtaine de rédactrices entre 18 et 20 ans, recrutées sur
internet. Des piges non déclarées, avec des articles payés entre 5 et 20€ et
des conférences de rédaction sur MSN. Du journalisme low-cost en quelque sorte,
comme l’explique très bien cet
article du journal « Métro ».
Piquée par la curiosité, je me décide enfin à acheter le
magazine « Bridget ». Après avoir parcouru quelques pages, le plagiat
me saute aux yeux tant au niveau de la forme (la maquette, le papier, la
titraille, l’iconographie vintage) que du fond (le ton « bonne
copine », les rubriques).
Non il ne s’agit pas d’un nouveau magazine féministe, comme
il existe actuellement une multitude de magazines féminins, il ne s’agit ici
que d’une pâle copie de Causette.
Très vite, le manque de moyens de l’équipe éditoriale se
fait très cruellement sentir à la lecture de « Bridget » :
aucune enquête, aucune interview, aucun dossier thématique. Le dossier sur le
sexisme dans le jeu vidéo n’est qu’une synthèse de l’excellent article de
Mar_Lard (heureusement citée à la fin). Les 4 pages sur le féminisme 2.0,
dossier qui aurait gagné à être creusé, est bâclé : il se limite à une
liste de blogs et d’associations
féministes, sans aucune explication ou critique. On se demande même si la
rédactrice a lu les blogs en question.
Quant à Twitter, au lieu de proposer une liste de comptes, elle invite
les lecteurs à taper « féministes » dans le moteur de
recherche ! L’article sur les cerveaux des hommes et des femmes, qui
aurait pu être passionnant, se limite, quant à lui, à une fiche de lecture très scolaire des
livres de Catherine Vidal.
Le reste n’est qu’une synthèse de ce qui peut se lire sur
les blogs féministes ou sur Twitter avec 6 mois de décalage.
Malgré tous ces bémols, le ton est assez efficace et
pédagogique et les sujets constituent une entrée en matière assez variée pour
quelqu’un qui ne connaît rien au féminisme (et qui n’a pas internet).
Si Bridget avait été un webmagazine, j’aurais sans doute été
plus enthousiaste. Mais 4,90€ pour du journalisme low-cost et du « sous
Causette », ça reste vraiment trop cher.
Et vous, l’avez-vous acheté ? Qu’en avez-vous pensé ?