Aujourd'hui j'accueille sur
le blog Gwen Proc, une des participantes au concours d'écriture.
Voici sa nouvelle : "La
chimio et ses thérapies".
Le 22 mai 3012
Je me sens enfin adulte !
Ma maturité engrange une réflexion pure, limpide et pertinente mais mon
physique est tout bonnement arrivé à son apogée : juste ce qui est
souhaité ! J’ai 25 ans, je suis mince, je suis blonde, je suis diplômée en
communication, j’ai signé mon premier contrat à durée indéterminée, je suis
amoureuse, je viens de signer mon premier bail ! De plus, je suis une
croqueuse d’épicurisme. Cette vie, je la mords à pleines dents et ne la
modifierai pour rien au monde.
Aujourd’hui
j’ai 27 ans, et tout a
changé ….
Je maudis cette ligne fixe.
Depuis son installation quelques mois plus tôt, les opérateurs de call
center s’en donnent à coeur joie… Mes amis aussi. Alors, lorsque j’entends
cette sonnerie, je cours tant bien que mal, clopin-clopant après cette cicatrisation
abdominale rapide suite à l’ablation d’un kyste sur l’ovaire démesuré, mais pas
suffisamment à mon goût, réjouie par l’idée qu’il s’agisse d’un long échange de
potins et débats existentiels (ou non) en tout genre.
Ce n’était pas le cas. “Mademoiselle? Je suis désolé de vous l’apprendre
ainsi mais vos résutats d’analyse sont arrivés et …”.Ces quelques mots échangés
ont bouleversé le cours de mon existence. Ce chirurgien mal à l’aise et
compatissant a mis à mal mes perspectives d’avenir à jamais. Ces mots qu’il a
prononcé ont été d’une telle dureté que j’en frissonne encore en vous
l’écrivant: foyer invasif de cellules cancéreuses agressives. Le couperet etait
tombé. Six semaines d’attente qui m’ont rendues si confiante car le problème
semblait bénin. Un simple accident de parcours…
La solution chirurgicale semblait toute trouvée, une ovariectomie
(ablation du second ovaire) ainsi qu’une ablation des ganglions lymphatiques
(ganglions porteurs, dans un cas extrême, de cellules cancéreuses dans le
corps), un curage aortique et une ablation de l’épiplon (si vous désirez vous
renseigner, comme je l’ai dit dans un article précédent, âmes sensibles
s’abstenir). Et une chimiothérapie…
Groggy et croulant sous le poids de ces nouvelles presque
insupportables, ma réaction première fut conduite par mon instinct
animal, celui qui régit tout espèce naturelle de l’univers: la procréation.
“Pourrai-je avoir un bébé?” “Non, je suis désolé”, me répondit-il*. Et là,
après avoir convenu d’un rendez-vous en extrême urgence, j’ai raccroché et j’ai
pleuré. J’ai sangloté en appelant mon fiancé et ma maman à l’aide. Ces êtres si
chers à mon coeur qui ont bravé le temps, couru dans la neige, conduit à toute
vitesse sur des routes verglassées en oubliant toute prudence. Tout cela pour
me réconforter.
Et là, j’ai décidé de relever la tête, de ne pas laisser mes épaules
s’affaiser sous le poids croulant de ces néfastes nouvelles, puis tout s’est
enchaîné.
“La beauté du ciel est dans les étoiles, la beauté des femmes
est dans leur chevelure”... Ou pas!
Ce qui est extraordinairement génial quand vous vivez une expérience de
vie comme la mienne, c’est que vous sautez le cap de grandes étapes avec
parcimonie de sentiments désagréables. Affronter sa destinée donne le sentiment
de relativiser énormément. Comme pour la ménopause à 25 ans. C’est presque un
élément qui est passé entre les mailles du filet et pourtant, il est dit, par
Simone de Beauvoir, que “la crise de la ménopause coupe en deux, avec
brutalité, la vie féminine”. C’est une étape péniblement importante! Pas
pour moi. Les effets secondaires arrivaient, mais dans quelle mesure en
comparaison des traitements qui allaient suivre.
La sélection de ressentis, sensations, impressions opérée par mon
cerveau est parfois un mystère pour moi! Je tire souvent des leçons de mes
propres expériences pour laisser constamment évoluer mes pensées et je tente
d’acquérir une certaine “sagesse” (je place des guillemets car le mot est
fort!) et mon instinct protecteur m’indique que j’ai acquis une préférence pour
la protection des sentiments des autres en étouffant quelque peu les miens.
Alors,
je me suis mise à avoir peur. Peur de ce qu’il allait ressentir en découvrant
l’effet secondaire le plus définitif de ce traitement: la perte de mes cheveux...
La douleur, c’est supportable! La perte de féminité visible, ça
l’est moins! Cette rupture s’est établie lorsque j’ai découvert, pour la
première fois dans la glace, ce boîtier au-dessus de ma poitrine,
porte-à-cathéter dont la visibilité apparente signifiant que j’étais comme
marquée au fer, portant la mention “j’ai un cancer!”
Je n’ai jamais eu autant de dégoût pour l’affirmation de ce qui
était en train de m’arriver, de cette perte de féminité en puissance qui allait
gagner du terrain et de la vitesse, qu’en ce moment-là. J’avais
littéralement le coeur au bord des lèvres.
Mais un des mes atouts principaux est la facilité à assimiler un
fait indésirable. Je comparerai mon propre système limbique à un ordinateur
dont le classement de dossiers en cours s’effectue inéxorablement de manière
rapide pour passer ensuite au suivant. Cela peut vous sembler sévère,
impitoyablement froid et dur, mais cette auto-gestion est une bénédiction pour
survivre à la bataille frontale que je devais faire à la maladie, c’est l’art
de ma propre guerre....
Bref, je m’égare des sentiers battus de l’histoire trouble de mon
alopécie dont je vais vous raconter quelque anecdote. Cela vous inspirera peut
être un sentiment drôle et touchant.
Je l’ai choisie, cette perruque blonde en matière synthétique qui
me donnait des faux-airs de Barbie... Et, tant mieux! Si vous devez porter de
faux cheveux, autant jouer une carte à fond! La mienne, celle du symbole ultra
féminisé d’une poupée figée qui contrebalançait cette perte de féminité
occasionnée par la chute inévitable de ma pilosité. Et, avez-vous déjà vu une
perruque qui n’y ressemble pas? Savez-vous quel est le coût d’un assemblage de
cheveux naturels? Pour être gravement atteint d’une maladie, soyez dans
l’opulence! Cela me rend cynique, mais le débat est tout autre...
Mes cheveux, que j’avais eu tant de mal à renforcer, abîmés par
cette vanité de vouloir toujours être parfaite et par la chaleur du fer à
lisser allaient disparaître presque une année.
Alors, j’ai joué avec les coiffures, le carré plongeant, la crête
en pagaille puis la vérité m’explosa en plein visage. Enfin, sur le visage
lorsque j’ouvris les yeux et découvrit ce coussin recouvert d’une pelade
annoncée, ingérée, digérée, mais tout de même surprenante...
Je pris le taureau par les cornes et fis moi-même ce que les
professionnels de coiffure et perruquiers m’avaient proposé de faire à ma
place. Je voulais exécuter le geste fort et symbolique qui signifiait au plus
profond de moi-même que j’étais la seule à prendre mon corps et mes émotions en
charge durant la maladie. Je voulais que mon propre moi intérieur dise juste
une fois qu’il y a peu de femmes dont “le mérite dure plus que la beauté”. Et
en tenant le rasoir, en déracineant cet amas de cellules mortes que sont les
cheveux pour ces mois interminables, j’ai senti que je faisais partie,un court
instant, de cette catégorie de femmes.
Une fois ce geste exécuté, je savais que l’autre combat, celui
contre moi-même, était commencé...
La meilleure arme contre le malaise des personnes qui vous
entoure, c’est l’humour. Vous évitez ainsi qu’on vous prenne en pitié et qu’on
se dérobe de vous regarder dans les yeux. C’est un mécanisme de protection et
de défense si bienfaiteur! Alors cette carte, je l‘ai utilisée.
Je suis allée fureter dans notre dressing commun, j’ai déniché son
équipement de foot, je l’ai enfilé et je me suis présentée à lui, sous ce
nouveau jour. Je lui ai dit, tout sourire que j’étais son “ Fabien Barthez”.
J’ai lu de la panique un quart de seconde dans ses yeux car il ne savait
comment réagir, quels mots utiliser pour ne pas heurter ma sensibilité en
employant un terme maladroit. Puis j’y ai lu de l’amour, un véritable amour. Un
de ceux qu’on qualifie d’indéfectible. Et il m’a souri.
Puis, enfin, nous avons ri. La pilule était avalée, nous pouvions
passer à l’obstacle suivant et nous savions déjà qu’ensemble, nous serions
invincibles car, à ce moment-là, “la beauté a séduit la chair pour obtenir
la permission de passer à l’âme”...
Et j'allais me battre comme une lionne!
(Chimio) thérapie(s) d’acceptation en
tout genre !
Excellente nouvelle! Le cancer ne s’est pas propagé!
Mais
la chimiothérapie est un passage obligatoire sur la voie de la guérison totale.
Et dans mon cas, il s’agissait d’une chimiothérapie agressive... Ma jeunesse
engendrait une décision médicale radicale et intensive pour éviter une rechute
dans les années à suivre. Alors ca y est! Après une nouvelle nuit passée à
l’hôpital pour vérifier que mon corps réagit positivement à ce corps étranger*,
posé sous la clavicule pour y introduire les perfusions de ce remède miracle,
je suis emmenée vers le service le plus effroyable par lequel je sois passée:
le service oncologie.
J’étais
craintive, avant de partager la chambre de cette pauvre femme mal en point qui
se raccrochait à la vie avec cette conviction qui forçait mon respect. Elle
était si abîmée par la maladie, sa maigreur, son crâne nu, ses traitements de
chimio et et ses dialyses journalières.... Un de ses membre supérieurs était
paralysé, sans que la médecine ne décèle la moindre possibilité d’explication
scientifique et elle se préparait à passer quarante jours en chambre stérile,
sa dernière chance... Cette femme si douce, si seule, a déclenché en moi une
telle réaction qu’elle me surprend encore aujourd’hui. Je ne me disais plus
“pourquoi moi?” mais bien “pourquoi elle?”.
J’ai
décidé de ne pas être plaintive et accepté sans broncher cette décharge
électrique produite cette aiguille qui perce la chair et diffuse le liquide
médicamenteux toxique dans mes veines. Et c’était parti pour cinq longues
heures d’attente, renouvelables pour une durée déterminée de 6 mois et une
durée indéterminée d’effets secondaires...
Le premier, si anodin et si surprenant à la fois, a été d’habituer mon
palais à ce dérangeant goût métallique... Et je suis rentrée à la maison,
anxieuse, trac au ventre car l’inconnue est, à mon sens, la pire des données
dans l’équation de ma propre vie. Comment mon corps allait-il réagir? Je
n’allais pas tarder à le découvrir...
La
première étape est si euphorisante! Puis, on s’écroule. Le moindre mouvement
semblait une punition à mon corps et la léthargie engourdissait tout mon être.
Je me révélais semblable à une statue de cire dont le crâne reluisait. Mon coeur
était si dérangé par ces odeurs pourtant habituellement agréables et familières
et mon système digestif ne pouvait ingérer de fortes doses de nourriture sans
ressentir les effets désagréables et nauséeux que l’on décrit dans les manuels
de cancérologie. Ces maux, différemment diffus selon la période de traitement,
duraient généralement deux semaines. Chouette! Cela me laissait une semaine sur
trois pour croquer la vie à pleine dents!
Ce
qui est propre à l’être humain, c’est de construire un sentiment attrayant sur
base d’un souvenir désagréable, lorsque les faits engendrés sont proportionnels
à la taille des émotions dévastatrices. Le meilleur exemple est celui de la
nourriture, qui m’inspirait un dégoût totalement radicalisé durant une
quinzaine puis devenait jouissance. Même l'odeur du café, ce délicieux et
puissant nectar auquel j’avais pris goût depuis mes longues nuits d’étude,
était insoutenable!
Pourtant,
lorsque mon corps se rétablissait de manière échelonnée, je savourais avec un
tel plaisir les joies épicuriennes que procurent les sensations de la bonne
chère à mes papilles gustatives. Un élément comestible, devenu insupportable
périodiquement, se faisait redécouvrir à mon palais. Le vin, savouré avec
délectation, devenait breuvage des Dieux. La malbouffe et les quantités
ingérées étaient scandaleusement délicieuses et la viande rouge me rendait
presque exclusivement carnivore... J’attendais, chaque jour, l’heure
de l’exquisité des ces plaisirs savoureux.
Je
croquais littéralement, comme écrit plus tôt, la vie à pleine dents, pour mon
plus grand plaisir! Je dessinais ces sourcils fardés, collais ces faux-cils sur
mes paupières, me maquillais, plaçais des bandes adhésives sur ma perruque et
partais danser fièrement devant salle comble de 3.000 personnes, sans me
soucier du regard que me portait le public. Même si je revenais plus
épuisée encore, et surtout éprouvée par ces regards de pitié qui m’irritaient,
j’étais grisée de bonheur!
Les
souvenirs que je garde de cette période sont psychologiquement si forts. Je me
souviens avoir réalisé une de mes premières apparitions publiques devant ces
500 personnes, derrière un micro, à présenter un gala de danse! Cette
auto-thérapie me permettait d’affronter d’une seule traite les mécanismes de
défense activés par la phobie du regard des autres.
Moments
de détente entre amis, en famille renforçaient les liens déjà préétablis
auparavant. J’étais si bien accompagnée, je n’étais jamais seule. Même lorsque
le besoin de m’éloigner du regard des autres pour ne pas exposer mes
souffrances, j’avais toujours droit à du réconfort. Ce chiot qui s’imprégnait
de mes ressentis, mettait son débordement d’énergie entre parenthèses et
restait des heures allongé à mes côtés...
J’affectionnais
toujours autant le shopping et adorais adopter un choix de tenue savamment
étudié à l’avance, j’avais tout mon temps! J’acquis d’ailleurs une collection
éclectique de vernis à ongles à la parapharmacie de l’hôpital dans laquelle
j’avais droit à une réduction sur les produits de beauté en rapport avec le mal
qui me rongeait. Après chaque chimio, je me récompensai de plusieurs
mini-vernis, comme un enfant à qui on donne une sucette après un
bobo. Je contrebalançais les moments difficiles par des rituels
composés de petites réjouissances, qui me procuraient des petits moments de
bonheur...
Et
puis, le glas sonnait, l’heure fatidique de la souffrance d’une nouvelle cure
arrivait à nouveau, sombre éternel recommencement de fluctuations de
sensations.
Mais
ce que je retiendrai par-dessus tout de cette expérience de vie, c’est d’avoir
véritablement défini le sens de ce mot si formidablement simple: l’amour.
L’amour maternel, l’amour familial, l’amour amical,... L’affection
sensationnelle de ces proches est imprégnée en moi. Alors, même si j’y ai
laissé des plumes, même si je ne suis pas encore guérie et même si mon
insouciance s’est égarée à jamais sur le chemin de mon destin, je suis
aujourd’hui enrichie de cet apport... Si le coeur avait un fond, le mien
déborderait pour eux!
Et,
je n’allais pas tarder à voir le bout du tunnel même si le chemin était encore
escarpé...
Ode
à la vie…
Six mois ont passé. Succession en demi-teinte de fatigue grandissante et
de béatitudes acquises qui fluctuaient sans cesse, cet ascenseur émotionnel
serait d’ailleurs parfaitement représenté sur un graphique à courbes.
Mais
le traitement est terminé! Et je suis plus que décidée à clôturer ce déplorable
chapitre du livre ouvert de ma vie en accomplissant une petite chose...
Aujourd’hui,
je vais chez l’oncologue. Aujourd’hui, j’ai décidé d’enlever mon boîtier! Ce
petit assemblage, diffuseur médicamenteux sous-cutané que les spécialistes
préconisent de conserver une année entière après la fin du traitement car la
guérison n’est pas fait établi... Moi, je ne veux pas! J’ai décidé que, si j’en
avais de nouveau besoin, je repasserai sur le billard, point.
Vous
vous demandez certainement pourquoi. L’explication est plus que rudimentaire.
Même si j’arbore toujours fièrement ces cicatrices, simple mémorial d’un combat
physique presque grandiose reflété chaque jour par le psyché, le combat mental
se devait d’être également mis en exergue. Je pouvais supporter le caractère
succint de ma perruque, mais mon cerveau me soufflait que je devais cloîtrer à
jamais cette minuscule épée de Damoclès qui laissait planer un doute, une
rémission uniquement provisoire.
Après
avoir reçu l’obtention d’un avis positif, je dus subir une dernière petite
bourde médicale. Endormie localement, je me souviendrai encore de ce scalpel
qui a transpercé ma chair sur ce minuscule espace qui n’avait pas réagi à
l’anesthésie... Pour une fois, j’ai hurlé! Un petit cri de souffrance efficace
et bénéfique car, pour une fois, j’exprimais la douleur. Cela signifiait-il que
je ne la contiendrai plus exclusivement à l’intérieur de mon être? Rien n’était
moins sûr...
Mais,
cette fois-là, et pour la première fois depuis des lustres, à peine l’habillage
stérile ôté, je quittai l’hôpital à toute vitesse et le coeur léger.
J’aurais dû rentrer me reposer. Et en lieu et place, nous
sommes allées faire du shopping avec mon double qui m’a engendré, joindre le
futile au désagréable, et nous avons beaucoup plaisanté sur mes phrases presque
incohérentes, étourdie par les substances administrées plus tôt, transformant
ainsi la journée en un souvenir encore une fois presque agréable... J’étais
tout de même assez soulagée de rentrer après cette escapade diurne chargée en
émotions diverses et logistiquement compliquée... En effet, avez-vous déjà
essayé de passer tops en tous genres sur une plaie fraîchement suturée? Il faut
être un peu dingue, je le suis clairement. Dingue de joie de vivre car, ce
jour-là, j’ai senti pour la première fois que quelque chose de néfaste était
enfin derrière moi, même si le futur était encore incertain!
Et,
je suis enfin rentrée, à bout de forces après ces cures de chimio qui,
accumulées, ont dangereusement épuisé ces réserves d’énergie que
contenaient mon corps,...pour me préparer! J’ai même osé la barrette
en forme de petit noeud fixé sur ma perruque, geste futile peut-être
ridiculement optimiste... Mais nous célébrions la vie ce soir-là, avec ces amis
proches qui avaient même passé l’après-midi à peindre une énorme banderole
uniquement pour moi, alors qu’importait la fatigue, j’avais encore devant moi
de longues années pour dormir, non?
Et
maintenant ?
Trois mois ont passé. Douze semaines qui se
sont écoulées avec une lenteur extrême où l'inquiétude atteignait son paroxysme
tant la nouvelle attendue était d'une importance capitale. J'allais enfin
savoir quels effets découleraient de ce traitement, quelle tournure allait
prendre mon avenir...
J'ai décidé, ce jour-là, de porter le poids de
cette nouvelle sur mes épaules devenues si frêles. Même si j'étais accompagnée
de mon cher et tendre fiancé dans la salle d'attente de ce cabinet de
cancérologie, je désirais assumer seule les retombées qu'allaient avoir cette
information qui scellerait notre destin. Pourquoi? Si le traitement ne
fonctionnait pas, je voulais me composer un visage pour le rassurer... Et, je
suis entrée.
Lors de l'annonce de cette rémission
occasionnée par les effets bénéfiques de ce traitement lourd de conséquences,
je me sentis frissonner de plaisir extatique. La béatitude atteignait son
apogée. J'étais (presque) guérie! J'allai tout de même devoir attendre cinq
longues années avant de savoir si mon corps ne me jouerait pas des tours d'une
atrocité sans nom mais là, je pouvais enfin expirer correctement. Une page se
tournait.
Sans demander mon reste, j'ai franchi presque effrontément
la porte, en annihilant quelque peu les règles de savoir-vivre et de politesse
sans saluer les spécialistes présents, et j'ai couru dans ce couloir sombre,
pour finalement tomber dans les bras de mon âme soeur. J'étais sauve, nous
étions sauvés! Nous regorgions d'un bonheur sans nom que nous avions envie de
vociférer si haut et si fort.
Nous voulions également le partager. J'ai pris
mon Blackberry et ai appelé mes amis présents lors d'étapes importantes et tous
ensemble, nous avons célébré cette spectaculaire nouvelle attablés à une
immense surface qui n'en finissait pas sous le crépuscule de cette chaude
soirée entre chien et loup. L'ambiance était calme et sereine, chacun sirotait
un apéritif savoureux et leur présence me comblait au point que les mots me
manquaient. Je soupirais d'aise, j'étais enfin heureuse...
Lorsque l'homme enclenche son instinct
protecteur de survie pour se quereller férocement contre un adversaire de
taille, il ne visualise que l'instant présent, que ce déferlement d'actes
propices pour contrer cette guérilla, dicté par son instinct primaire. J'étais
cette guerrière, derrière ce masque protecteur de sentiments qu'était mon
armure sensorielle.
Une fois le glaive et l'épée déposés, lorsque
les hostilités sont levées, il ne reste plus que les blessures de guerre
auxquelles l'homme doit faire face et le combat le plus laborieux est le plus
long qu'il m'ait été donné de connaître... Le masque était tombé...
En effet, maintenant que tout a
merveilleusement fonctionné, que reste-t-il hormis ces retombées psychologiques
et physiques lourdes de conséquence, qu'advient-il de ce mot lourd de sens,
choc post-traumatique, qu'on ose à peine murmurer? Entre cette masse musculaire
fragilisée qui a si fortement fondu que les articulations morflent au point de
se sentir névralgique, cette perte de poids considérable qui est géniale pour
enfiler du crop top au skinny en passant par la mini robe taille 34 mais qui
trahit également une dangereuse faiblesse lorsque la chute libre de ces centaines
de grammes est enclenchée par cette anxiété qui allait me suivre comme mon
ombre... Et cette fatigue chronique, si forte, si puissante, causée par la
toxicité de ces produits qui ont détruit le malin mais qui ont également enduit
une couche de fragilité sur ma force de caractère...
Ah, ces insomnies! La nuit est devenue
ma pire ennemie... Lorsque le soleil se couche, lorsque j'aimerais me sentir
apaisée sous ce ciel bleu nuit, repaire accueillant de ce Morphée devenu
invisible et recherché avec une telle ardeur que l'excitation du coucher n'en
devient que plus pénible lorsque les secondes s'écoulent et que mes yeux
restent béants dans l'obscurité, je cogite sans cesse. Oh, je n'ai pas établi
de théorie scientifique ou encore réfléchi à une invention utile ou
intelligente. Je réfléchis à ce qui m'est arrivé, à ce qu'il adviendra de moi,
à ce lever du jour qui annonce le renouvellement d'un cycle absurde et épuisant
lorsque le couchant se montrera, telle Sisyphe avec ce lourd rocher qu'il
pousse au sommet d'une montagne et roule en bas de la vallée, éternel
recommencement mythologique à subir...
Si je poussais l'auto-psychanalyse à deux
balles, je pourrais chercher à démontrer que le problème se situe à quelque
endroit entre les dédales presque impraticables de mon cerveau où l'émotionnel
est si fortement sollicité depuis peu... Je suis une fille, après tout. Nous
surjouons toutes dans l'émotionnel, c'est un fait établi depuis des lustres!
Alors pourquoi cette évidence ancestrale me pose tant de difficultés? Pourquoi
ne redeviens-je pas maîtresse de mon psychisme?
Peut-être parce que j'ai peur, si peur de
vivre avec ce corps et ces esprit déjà usés par la ménopause et les
traitements?
Peut-être parce que je suis moins sollicitée
puisque je ne suis plus malade, je me dois forcément d'aller bien, suite
logique de ce long fleuve tranquille où la normalité de la vie se doit de
suivre de nouveau son cours ?
Peut-être parce que cette idée d'être mère
sans le pouvoir me taraude au point de me ronger?
Cruel collectif de sombres pensées, lourd
épuisement, choc post-traumatique... Mais cette fois, la vie allait me jouer un
tour merveilleusement fabuleux... Pour une fois!!
Petit pas par petit pas...
Une fois que vous avez appris à contenir, durant
des mois, votre débordement d'émotions en cas de difficulté extrême, il faut
apprendre à doucement vous reconstruire et vous tirer de cette constipation
émotionnelle. Ca y est, j'avais affronté le cancer, je l'avais même terrassé,
écrasé, atrophié, explosé, ce foutu cancer! Mais, il sévissait encore,
ombre spectrale sur mon mental diminué, car il m'avait ôté ce don de vie
qu'est la fertilité. A jamais... Que je croyais!
Souvenez-vous de cette annonce, quelque mois
plus tôt, de cette nouvelle qui m'avait achevée... Le corps médical m'avait
certifié que l'impossibilité d'engendrer un petit être devait désormais faire
partie de mon existence déjà fort perturbée par ces expériences de vie si
caractérisées par la maladie.
En dépit de tout ce qui m'arrivait, cette
vision projetée de l'avenir, je ne la digérais pas. Cela me préoccupait, me
trottait dans la tête voire même, me rongeait... Cela a duré presque un an. Un
an de torture mentale inavouée qui faisait de moi cette femme inaccomplie, non
par choix mais par obligation. Je peux l'avouer aujourd'hui, je ne suis pas un
"surhomme". Au fait, pourquoi ce mot s'emploie-t-il uniquement au
masculin? Encore une déformation du langage peu subtile certainement entraînée
par ce machisme qui sévissait déjà à l'origine du terme...
Oups, je m'écarte du sujet! Ah, ce flux
d'idées qui traverse toujours si furtivement mon esprit et qui le rende si
intellectuellement torturé... Peut-être est-ce pour cela que je n'arrive jamais
correctement à m'assoupir? BREF, je ne suis pas cette "wonderwoman"
nonobstant ce que chacun semble croire. Affronter un problème ponctuel, je peux
le faire, aussi grave soit-il, mais accepter cette donnée enregistrée, je ne
pouvais pas.
En effet, je ne comprenais pourquoi ils
avaient écrit en toutes lettres, sur ce rapport médical du comité de
concertation de spécialistes onco-gynécologiques en charge de maladies rares:
"nous évitons une ablation de l'utérus, compte tenu du jeune âge de la
patiente..." Pourquoi? Dans quel but, si la ménopause précoce est enclenchée,
conserve-t-on cet organe de gestation par définition? Cela me trottait dans la
tête et ne pouvait durer indéfiniment...
Alors, j'ai décidé de me documenter, de
longues heures durant, parfois de manière inadéquate en surfant sur les vagues
si approximatives du monde du web, et j'ai nourri l'once d'un espoir, si infime
soit-il. Et, prenant le taureau par les cornes, j'ai décidé de m'en remettre à
l'avis de ces spécialistes qui ne pouvaient que me donner une réponse précise.
J'étais nerveuse. Je savais quel angle
d'attaque aborder mais je ne connaissais que trop bien la déception d'une
situation irréversible. Pourtant, au fond de moi, je savais que ce n'était pas
le cas. Et, je n'ai jamais connu pareil bonheur qu'en cet instant-là.
J'exultais, d'une excitation d'abord profondément contenue, assommée par
l'ampleur de l'annonce. Et, lorsque je suis rentrée de cette consultation, j'ai
tout déballé. J'avais encore une fois conservé pour moi ces démarches car
l'appréhension de construire de faux-espoirs n'auraient eu pour but que de
maximiser la déception de mon cher et tendre. Il me l'a souvent reproché, de
toujours vouloir porter le poids de mon petit monde et celui qui m'entoure sur
mes épaules, mais je n'y peux rien, je n'ai jamais connu que d'autre manière
d'agir qu'avec cet instinct qui n'était que trop protecteur...
Nous n'avons pas réalisé, nous étions
tellement sonnés, anesthésiés cérébralement. J'avais l'impression de n'avoir
communiqué que cette information basique: " passe-moi le sel". Il
nous a fallu plusieurs dizaines de minutes, voire un couple d'heures avant de
se tourner l'un vers l'autre, animés presque simultanément de cette lueur
d'optimisme. Nous avions le choix.
Nous n'aurons droit à aucune facilité, nous
n'y arriverons peut-être jamais, mais nous avions reçu ces clés qui nous menait
vers ces portes que nous pouvions peut-être entrouvrir, peut-être pas... Ces
poignées qui,abaissées, symbolisaient la résolution de quelques interrogations
et doutes qui m'avaient terriblement submergée. C"était déjà beaucoup.
J'y aurai droit, à ce don d'ovocytes, comme
n'importe quelle autre femme, seulement après deux ans de rémission!
D'ailleurs, je me sentais véritablement femme, de nouveau, enfin... Peut-être
ridiculement femme, car je n'oserais jamais remettre en doute la féminité de
toutes ces demoiselles ou dames stériles ou qui n'ont jamais enfanté. Mais,
soyez empathiques et comprenez qu'avec ces organes internes et ces hormones
triturés en tous sens, je me sente enfin en paix avec moi-même. J'avais signé
un traité de paix, un accord tacite qui réglait provisoirement ce combat
introspectif.
La voie serait longue, certes! Mais,
qu'importent les embûches, la vie est si belle... Une splendeur! Vous ne
trouvez pas?
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