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mercredi 16 juillet 2014

Concours d'écriture : "La chimio et ses thérapies" par Gwen Proc



Aujourd'hui j'accueille sur le blog Gwen Proc, une des participantes au concours d'écriture.
Voici sa nouvelle : "La chimio et ses thérapies".


Le 22 mai 3012

Je me sens enfin adulte ! Ma maturité engrange une réflexion pure, limpide et pertinente mais mon physique est tout bonnement arrivé à son apogée : juste ce qui est souhaité ! J’ai 25 ans, je suis mince, je suis blonde, je suis diplômée en communication, j’ai signé mon premier contrat à durée indéterminée, je suis amoureuse, je viens de signer mon premier bail ! De plus, je suis une croqueuse d’épicurisme. Cette vie, je la mords à pleines dents et ne la modifierai pour rien au monde.

Aujourd’hui

j’ai 27 ans, et tout a changé ….

Je maudis cette ligne fixe.
Depuis son installation quelques mois plus tôt, les opérateurs de call center s’en donnent à coeur joie… Mes amis aussi. Alors, lorsque j’entends cette sonnerie, je cours tant bien que mal, clopin-clopant après cette cicatrisation abdominale rapide suite à l’ablation d’un kyste sur l’ovaire démesuré, mais pas suffisamment à mon goût, réjouie par l’idée qu’il s’agisse d’un long échange de potins et débats existentiels (ou non) en tout genre.
Ce n’était pas le cas. “Mademoiselle? Je suis désolé de vous l’apprendre ainsi mais vos résutats d’analyse sont arrivés et …”.Ces quelques mots échangés ont bouleversé le cours de mon existence. Ce chirurgien mal à l’aise et compatissant a mis à mal mes perspectives d’avenir à jamais. Ces mots qu’il a prononcé ont été d’une telle dureté que j’en frissonne encore en vous l’écrivant: foyer invasif de cellules cancéreuses agressives. Le couperet etait tombé. Six semaines d’attente qui m’ont rendues si confiante car le problème semblait bénin. Un simple accident de parcours… 
La solution chirurgicale semblait toute trouvée, une ovariectomie (ablation du second ovaire) ainsi qu’une ablation des ganglions lymphatiques (ganglions porteurs, dans un cas extrême, de cellules cancéreuses dans le corps), un curage aortique et une ablation de l’épiplon (si vous désirez vous renseigner, comme je l’ai dit dans un article précédent, âmes sensibles s’abstenir). Et une chimiothérapie…
Groggy et croulant sous le poids de ces nouvelles presque insupportables, ma réaction première fut  conduite par mon instinct animal, celui qui régit tout espèce naturelle de l’univers: la procréation. “Pourrai-je avoir un bébé?” “Non, je suis désolé”, me répondit-il*. Et là, après avoir convenu d’un rendez-vous en extrême urgence, j’ai raccroché et j’ai pleuré. J’ai sangloté en appelant mon fiancé et ma maman à l’aide. Ces êtres si chers à mon coeur qui ont bravé le temps, couru dans la neige, conduit à toute vitesse sur des routes verglassées en oubliant toute prudence. Tout cela pour me réconforter.
Et là, j’ai décidé de relever la tête, de ne pas laisser mes épaules s’affaiser sous le poids croulant de ces néfastes nouvelles, puis tout s’est enchaîné. 
 
“La beauté du ciel est dans les étoiles, la beauté des femmes est dans leur chevelure”... Ou pas!
Ce qui est extraordinairement génial quand vous vivez une expérience de vie comme la mienne, c’est que vous sautez le cap de grandes étapes avec parcimonie de sentiments désagréables. Affronter sa destinée donne le sentiment de relativiser énormément. Comme pour la ménopause à 25 ans. C’est presque un élément qui est passé entre les mailles du filet et pourtant, il est dit, par Simone de Beauvoir, que “la crise de la ménopause coupe en deux, avec brutalité, la vie féminine”. C’est une étape péniblement importante! Pas pour moi. Les effets secondaires arrivaient, mais dans quelle mesure en comparaison des traitements qui allaient suivre.
 La sélection de ressentis, sensations, impressions opérée par mon cerveau est parfois un mystère pour moi! Je tire souvent des leçons de mes propres expériences pour laisser constamment évoluer mes pensées et je tente d’acquérir une certaine “sagesse” (je place des guillemets car le mot est fort!) et mon instinct protecteur m’indique que j’ai acquis une préférence pour la protection des sentiments des autres en étouffant quelque peu les miens.
 Alors, je me suis mise à avoir peur. Peur de ce qu’il allait ressentir en découvrant l’effet secondaire le plus définitif de ce traitement: la perte de mes cheveux...
 La douleur, c’est supportable! La perte de féminité visible, ça l’est moins! Cette rupture s’est établie lorsque j’ai découvert, pour la première fois dans la glace, ce boîtier au-dessus de ma poitrine, porte-à-cathéter dont la visibilité apparente signifiant que j’étais comme marquée au fer, portant la mention “j’ai un cancer!”
 Je n’ai jamais eu autant de dégoût pour l’affirmation de ce qui était en train de m’arriver, de cette perte de féminité en puissance qui allait gagner du terrain et de la vitesse, qu’en ce moment-là. J’avais littéralement  le coeur au bord des lèvres.
 Mais un des mes atouts principaux est la facilité à assimiler un fait indésirable. Je comparerai mon propre système limbique à un ordinateur dont le classement de dossiers en cours s’effectue inéxorablement de manière rapide  pour passer ensuite au suivant. Cela peut vous sembler sévère, impitoyablement froid et dur, mais cette auto-gestion est une bénédiction pour survivre à la bataille frontale que je devais faire à la maladie, c’est l’art de ma propre guerre....

 Bref, je m’égare des sentiers battus de l’histoire trouble de mon alopécie dont je vais vous raconter quelque anecdote. Cela vous inspirera peut être un sentiment drôle et touchant.
 Je l’ai choisie, cette perruque blonde en matière synthétique qui me donnait des faux-airs de Barbie... Et, tant mieux! Si vous devez porter de faux cheveux, autant jouer une carte à fond! La mienne, celle du symbole ultra féminisé d’une poupée figée qui contrebalançait cette perte de féminité occasionnée par la chute inévitable de ma pilosité. Et, avez-vous déjà vu une perruque qui n’y ressemble pas? Savez-vous quel est le coût d’un assemblage de cheveux naturels? Pour être gravement atteint d’une maladie, soyez dans l’opulence! Cela me rend cynique, mais le débat est tout autre...
 Mes cheveux, que j’avais eu tant de mal à renforcer, abîmés par cette vanité de vouloir toujours être parfaite et par la chaleur du fer à lisser allaient disparaître presque une année.
 Alors, j’ai joué avec les coiffures, le carré plongeant, la crête en pagaille puis la vérité m’explosa en plein visage. Enfin, sur le visage lorsque j’ouvris les yeux et découvrit ce coussin recouvert d’une pelade annoncée, ingérée, digérée, mais tout de même surprenante...
 Je pris le taureau par les cornes et fis moi-même ce que les professionnels de coiffure et perruquiers m’avaient proposé de faire à ma place. Je voulais exécuter le geste fort et symbolique qui signifiait au plus profond de moi-même que j’étais la seule à prendre mon corps et mes émotions en charge durant la maladie. Je voulais que mon propre moi intérieur dise juste une fois qu’il y a peu de femmes dont “le mérite dure plus que la beauté”. Et en tenant le rasoir, en déracineant cet amas de cellules mortes que sont les cheveux pour ces mois interminables, j’ai senti que je faisais partie,un court instant, de cette catégorie de femmes.
 Une fois ce geste exécuté, je savais que l’autre combat, celui contre moi-même, était commencé...
 La meilleure arme contre le malaise des personnes qui vous entoure, c’est l’humour. Vous évitez ainsi qu’on vous prenne en pitié et qu’on se dérobe de vous regarder dans les yeux. C’est un mécanisme de protection et de défense si bienfaiteur! Alors cette carte, je l‘ai utilisée.
 Je suis allée fureter dans notre dressing commun, j’ai déniché son équipement de foot, je l’ai enfilé et je me suis présentée à lui, sous ce nouveau jour. Je lui ai dit, tout sourire que j’étais son “ Fabien Barthez”. J’ai lu de la panique un quart de seconde dans ses yeux car il ne savait comment réagir, quels mots utiliser pour ne pas heurter ma sensibilité en employant un terme maladroit. Puis j’y ai lu de l’amour, un véritable amour. Un de ceux qu’on qualifie d’indéfectible. Et il m’a souri.
 Puis, enfin, nous avons ri. La pilule était avalée, nous pouvions passer à l’obstacle suivant et nous savions déjà qu’ensemble, nous serions invincibles car, à ce moment-là, “la beauté a séduit la chair pour obtenir la permission de passer à l’âme”...
Et j'allais me battre comme une lionne! 
(Chimio) thérapie(s) d’acceptation en tout genre !

Excellente nouvelle! Le cancer ne s’est pas propagé!
 Mais la chimiothérapie est un passage obligatoire sur la voie de la guérison totale. Et dans mon cas, il s’agissait d’une chimiothérapie agressive... Ma jeunesse engendrait une décision médicale radicale et intensive pour éviter une rechute dans les années à suivre. Alors ca y est! Après une nouvelle nuit passée à l’hôpital pour vérifier que mon corps réagit positivement à ce corps étranger*, posé sous la clavicule pour y introduire les perfusions de ce remède miracle, je suis emmenée vers le service le plus effroyable par lequel je sois passée: le service oncologie.
 J’étais craintive, avant de partager la chambre de cette pauvre femme mal en point qui se raccrochait à la vie avec cette conviction qui forçait mon respect. Elle était si abîmée par la maladie, sa maigreur, son crâne nu, ses traitements de chimio et et ses dialyses journalières.... Un de ses membre supérieurs était paralysé, sans que la médecine ne décèle la moindre possibilité d’explication scientifique et elle se préparait à passer quarante jours en chambre stérile, sa dernière chance... Cette femme si douce, si seule, a déclenché en moi une telle réaction qu’elle me surprend encore aujourd’hui. Je ne me disais plus “pourquoi moi?” mais bien “pourquoi elle?”.
 J’ai décidé de ne pas être plaintive et accepté sans broncher cette décharge électrique produite cette aiguille qui perce la chair et diffuse le liquide médicamenteux toxique dans mes veines. Et c’était parti pour cinq longues heures d’attente, renouvelables pour une durée déterminée de 6 mois et une durée indéterminée d’effets secondaires...
Le premier, si anodin et si surprenant à la fois, a été d’habituer mon palais à ce dérangeant goût métallique... Et je suis rentrée à la maison, anxieuse, trac au ventre car l’inconnue est, à mon sens, la pire des données dans l’équation de ma propre vie. Comment mon corps allait-il réagir? Je n’allais pas tarder à le découvrir...
 La première étape est si euphorisante! Puis, on s’écroule. Le moindre mouvement semblait une punition à mon corps et la léthargie engourdissait tout mon être. Je me révélais semblable à une statue de cire dont le crâne reluisait. Mon coeur était si dérangé par ces odeurs pourtant habituellement agréables et familières et mon système digestif ne pouvait ingérer de fortes doses de nourriture sans ressentir les effets désagréables et nauséeux que l’on décrit dans les manuels de cancérologie. Ces maux, différemment diffus selon la période de traitement, duraient généralement deux semaines. Chouette! Cela me laissait une semaine sur trois pour croquer la vie à pleine dents!
 Ce qui est propre à l’être humain, c’est de construire un sentiment attrayant sur base d’un souvenir désagréable, lorsque les faits engendrés sont proportionnels à la taille des émotions dévastatrices. Le meilleur exemple est celui de la nourriture, qui m’inspirait un dégoût totalement radicalisé durant une quinzaine puis devenait jouissance. Même l'odeur du café, ce délicieux et puissant nectar auquel j’avais pris goût depuis mes longues nuits d’étude, était insoutenable!
  Pourtant, lorsque mon corps se rétablissait de manière échelonnée, je savourais avec un tel plaisir les joies épicuriennes que procurent les sensations de la bonne chère à mes papilles gustatives. Un élément comestible, devenu insupportable périodiquement, se faisait redécouvrir à mon palais. Le vin, savouré avec délectation, devenait breuvage des Dieux. La malbouffe et les quantités ingérées étaient scandaleusement délicieuses et la viande rouge me rendait presque exclusivement carnivore...  J’attendais, chaque jour, l’heure de l’exquisité des ces plaisirs savoureux.
 Je croquais littéralement, comme écrit plus tôt, la vie à pleine dents, pour mon plus grand plaisir! Je dessinais ces sourcils fardés, collais ces faux-cils sur mes paupières, me maquillais, plaçais des bandes adhésives sur ma perruque et partais danser fièrement devant salle comble de 3.000 personnes, sans me soucier du regard que me portait le public.  Même si je revenais plus épuisée encore, et surtout éprouvée par ces regards de pitié qui m’irritaient, j’étais grisée de bonheur!
 Les souvenirs que je garde de cette période sont psychologiquement si forts. Je me souviens avoir réalisé une de mes premières apparitions publiques devant ces 500 personnes, derrière un micro, à présenter un gala de danse! Cette auto-thérapie me permettait d’affronter d’une seule traite les mécanismes de défense activés par la phobie du regard des autres.
 Moments de détente entre amis, en famille renforçaient les liens déjà préétablis auparavant. J’étais si bien accompagnée, je n’étais jamais seule. Même lorsque le besoin de m’éloigner du regard des autres pour ne pas exposer mes souffrances, j’avais toujours droit à du réconfort. Ce chiot qui s’imprégnait de mes ressentis, mettait son débordement d’énergie entre parenthèses et restait des heures allongé à mes côtés...
 J’affectionnais toujours autant le shopping et adorais adopter un choix de tenue savamment étudié à l’avance, j’avais tout mon temps! J’acquis d’ailleurs une collection éclectique de vernis à ongles à la parapharmacie de l’hôpital dans laquelle j’avais droit à une réduction sur les produits de beauté en rapport avec le mal qui me rongeait. Après chaque chimio, je me récompensai de plusieurs mini-vernis, comme un enfant à qui on donne une sucette après un bobo.  Je contrebalançais les moments difficiles par des rituels composés de petites réjouissances, qui me procuraient des petits moments de bonheur...
  Et puis, le glas sonnait, l’heure fatidique de la souffrance d’une nouvelle cure arrivait à nouveau, sombre éternel recommencement de fluctuations de sensations.
 Mais ce que je retiendrai par-dessus tout de cette expérience de vie, c’est d’avoir véritablement défini le sens de ce mot si formidablement simple: l’amour. L’amour maternel, l’amour familial, l’amour amical,... L’affection sensationnelle de ces proches est imprégnée en moi. Alors, même si j’y ai laissé des plumes, même si je ne suis pas encore guérie et même si mon insouciance s’est égarée à jamais sur le chemin de mon destin, je suis aujourd’hui enrichie de cet apport... Si le coeur avait un fond, le mien déborderait pour eux!
 Et, je n’allais pas tarder à voir le bout du tunnel même si le chemin était encore escarpé...
Ode à la vie…
Six mois ont passé. Succession en demi-teinte de fatigue grandissante et de béatitudes acquises qui fluctuaient sans cesse, cet ascenseur émotionnel serait d’ailleurs parfaitement représenté sur un graphique à courbes.
 Mais le traitement est terminé! Et je suis plus que décidée à clôturer ce déplorable chapitre du livre ouvert de ma vie en accomplissant une petite chose...
 Aujourd’hui, je vais chez l’oncologue. Aujourd’hui, j’ai décidé d’enlever mon boîtier! Ce petit assemblage, diffuseur médicamenteux sous-cutané que les spécialistes préconisent de conserver une année entière après la fin du traitement car la guérison n’est pas fait établi... Moi, je ne veux pas! J’ai décidé que, si j’en avais de nouveau besoin, je repasserai sur le billard, point.
 Vous vous demandez certainement pourquoi. L’explication est plus que rudimentaire. Même si j’arbore toujours fièrement ces cicatrices, simple mémorial d’un combat physique presque grandiose reflété chaque jour par le psyché, le combat mental se devait d’être également mis en exergue. Je pouvais supporter le caractère succint de ma perruque, mais mon cerveau me soufflait que je devais cloîtrer à jamais cette minuscule épée de Damoclès qui laissait planer un doute, une rémission uniquement provisoire.
 Après avoir reçu l’obtention d’un avis positif, je dus subir une dernière petite bourde médicale. Endormie localement, je me souviendrai encore de ce scalpel qui a transpercé ma chair sur ce minuscule espace qui n’avait pas réagi à l’anesthésie... Pour une fois, j’ai hurlé! Un petit cri de souffrance efficace et bénéfique car, pour une fois, j’exprimais la douleur. Cela signifiait-il que je ne la contiendrai plus exclusivement à l’intérieur de mon être? Rien n’était moins sûr...
 Mais, cette fois-là, et pour la première fois depuis des lustres, à peine l’habillage stérile ôté, je quittai l’hôpital à toute vitesse et le coeur léger.
J’aurais dû rentrer me reposer. Et en lieu et place,  nous sommes allées faire du shopping avec mon double qui m’a engendré, joindre le futile au désagréable, et nous avons beaucoup plaisanté sur mes phrases presque incohérentes, étourdie par les substances administrées plus tôt, transformant ainsi la journée en un souvenir encore une fois presque agréable... J’étais tout de même assez soulagée de rentrer après cette escapade diurne chargée en émotions diverses et logistiquement compliquée... En effet, avez-vous déjà essayé de passer tops en tous genres sur une plaie fraîchement suturée? Il faut être un peu dingue, je le suis clairement. Dingue de joie de vivre car, ce jour-là, j’ai senti pour la première fois que quelque chose de néfaste était enfin derrière moi, même si le futur était encore incertain!
 Et, je suis enfin rentrée, à bout de forces après ces cures de chimio qui, accumulées,  ont dangereusement épuisé ces réserves d’énergie que contenaient mon corps,...pour me préparer! J’ai même osé  la barrette en forme de petit noeud fixé sur ma perruque, geste futile peut-être ridiculement optimiste... Mais nous célébrions la vie ce soir-là, avec ces amis proches qui avaient même passé l’après-midi à peindre une énorme banderole uniquement pour moi, alors qu’importait la fatigue, j’avais encore devant moi de longues années pour dormir, non?
Et maintenant ?
Trois mois ont passé. Douze semaines qui se sont écoulées avec une lenteur extrême où l'inquiétude atteignait son paroxysme tant la nouvelle attendue était d'une importance capitale. J'allais enfin savoir quels effets découleraient de ce traitement, quelle tournure allait prendre mon avenir...
J'ai décidé, ce jour-là, de porter le poids de cette nouvelle sur mes épaules devenues si frêles. Même si j'étais accompagnée de mon cher et tendre fiancé dans la salle d'attente de ce cabinet de cancérologie, je désirais assumer seule les retombées qu'allaient avoir cette information qui scellerait notre destin. Pourquoi? Si le traitement ne fonctionnait pas, je voulais me composer un visage pour le rassurer... Et, je suis entrée.
Lors de l'annonce de cette rémission occasionnée par les effets bénéfiques de ce traitement lourd de conséquences, je me sentis frissonner de plaisir extatique. La béatitude atteignait son apogée. J'étais (presque) guérie! J'allai tout de même devoir attendre cinq longues années avant de savoir si mon corps ne me jouerait pas des tours d'une atrocité sans nom mais là, je pouvais enfin expirer correctement. Une page se tournait.
Sans demander mon reste, j'ai franchi presque effrontément la porte, en annihilant quelque peu les règles de savoir-vivre et de politesse sans saluer les spécialistes présents, et j'ai couru dans ce couloir sombre, pour finalement tomber dans les bras de mon âme soeur. J'étais sauve, nous étions sauvés! Nous regorgions d'un bonheur sans nom que nous avions envie de vociférer si haut et si fort.
Nous voulions également le partager. J'ai pris mon Blackberry et ai appelé mes amis présents lors d'étapes importantes et tous ensemble, nous avons célébré cette spectaculaire nouvelle attablés à une immense surface qui n'en finissait pas sous le crépuscule de cette chaude soirée entre chien et loup. L'ambiance était calme et sereine, chacun sirotait un apéritif savoureux et leur présence me comblait au point que les mots me manquaient. Je soupirais d'aise, j'étais enfin heureuse...

Lorsque l'homme enclenche son instinct protecteur de survie pour se quereller férocement contre un adversaire de taille, il ne visualise que l'instant présent, que ce déferlement d'actes propices pour contrer cette guérilla, dicté par son instinct primaire. J'étais cette guerrière, derrière ce masque protecteur de sentiments qu'était mon armure sensorielle.
Une fois le glaive et l'épée déposés, lorsque les hostilités sont levées, il ne reste plus que les blessures de guerre auxquelles l'homme doit faire face et le combat le plus laborieux est le plus long qu'il m'ait été donné de connaître... Le masque était tombé...
En effet, maintenant que tout a merveilleusement fonctionné, que reste-t-il hormis ces retombées psychologiques et physiques lourdes de conséquence, qu'advient-il de ce mot lourd de sens, choc post-traumatique, qu'on ose à peine murmurer? Entre cette masse musculaire fragilisée qui a si fortement fondu que les articulations morflent au point de se sentir névralgique, cette perte de poids considérable qui est géniale pour enfiler du crop top au skinny en passant par la mini robe taille 34 mais qui trahit également une dangereuse faiblesse lorsque la chute libre de ces centaines de grammes est enclenchée par cette anxiété qui allait me suivre comme mon ombre... Et cette fatigue chronique, si forte, si puissante, causée par la toxicité de ces produits qui ont détruit le malin mais qui ont également enduit une couche de fragilité sur ma force de caractère...
 Ah, ces insomnies! La nuit est devenue ma pire ennemie... Lorsque le soleil se couche, lorsque j'aimerais me sentir apaisée sous ce ciel bleu nuit, repaire accueillant de ce Morphée devenu invisible et recherché avec une telle ardeur que l'excitation du coucher n'en devient que plus pénible lorsque les secondes s'écoulent et que mes yeux restent béants dans l'obscurité, je cogite sans cesse. Oh, je n'ai pas établi de théorie scientifique ou encore réfléchi à une invention utile ou intelligente. Je réfléchis à ce qui m'est arrivé, à ce qu'il adviendra de moi, à ce lever du jour qui annonce le renouvellement d'un cycle absurde et épuisant lorsque le couchant se montrera, telle Sisyphe avec ce lourd rocher qu'il pousse au sommet d'une montagne et roule en bas de la vallée, éternel recommencement mythologique à subir...
Si je poussais l'auto-psychanalyse à deux balles, je pourrais chercher à démontrer que le problème se situe à quelque endroit entre les dédales presque impraticables de mon cerveau où l'émotionnel est si fortement sollicité depuis peu... Je suis une fille, après tout. Nous surjouons toutes dans l'émotionnel, c'est un fait établi depuis des lustres! Alors pourquoi cette évidence ancestrale me pose tant de difficultés? Pourquoi ne redeviens-je pas maîtresse de mon psychisme?
Peut-être parce que j'ai peur, si peur de vivre avec ce corps et ces esprit déjà usés par la ménopause et les traitements?
Peut-être parce que je suis moins sollicitée puisque je ne suis plus malade, je me dois forcément d'aller bien, suite logique de ce long fleuve tranquille où la normalité de la vie se doit de suivre de nouveau son cours ?
Peut-être parce que cette idée d'être mère sans le pouvoir me taraude au point de me ronger?
Cruel collectif de sombres pensées, lourd épuisement, choc post-traumatique... Mais cette fois, la vie allait me jouer un tour merveilleusement fabuleux... Pour une fois!!

Petit pas par petit pas...
Une fois que vous avez appris à contenir, durant des mois, votre débordement d'émotions en cas de difficulté extrême, il faut apprendre à doucement vous reconstruire et vous tirer de cette constipation émotionnelle. Ca y est, j'avais affronté le cancer, je l'avais même terrassé, écrasé, atrophié, explosé, ce foutu cancer! Mais, il sévissait encore,  ombre spectrale sur mon mental diminué, car il m'avait ôté ce don de vie qu'est la fertilité. A jamais... Que je croyais!
Souvenez-vous de cette annonce, quelque mois plus tôt, de cette nouvelle qui m'avait achevée... Le corps médical m'avait certifié que l'impossibilité d'engendrer un petit être devait désormais faire partie de mon existence déjà fort perturbée par ces expériences de vie si caractérisées par la maladie.
En dépit de tout ce qui m'arrivait, cette vision projetée de l'avenir, je ne la digérais pas. Cela me préoccupait, me trottait dans la tête voire même, me rongeait... Cela a duré presque un an. Un an de torture mentale inavouée qui faisait de moi cette femme inaccomplie, non par choix mais par obligation. Je peux l'avouer aujourd'hui, je ne suis pas un "surhomme". Au fait, pourquoi ce mot s'emploie-t-il uniquement au masculin? Encore une déformation du langage peu subtile certainement entraînée par ce machisme qui sévissait déjà à l'origine du terme...
Oups, je m'écarte du sujet! Ah, ce flux d'idées qui traverse toujours si furtivement mon esprit et qui le rende si intellectuellement torturé... Peut-être est-ce pour cela que je n'arrive jamais correctement à m'assoupir? BREF, je ne suis pas cette "wonderwoman" nonobstant ce que chacun semble croire. Affronter un problème ponctuel, je peux le faire, aussi grave soit-il, mais accepter cette donnée enregistrée, je ne pouvais pas.
En effet, je ne comprenais pourquoi ils avaient écrit en toutes lettres, sur ce rapport médical du comité de concertation de spécialistes onco-gynécologiques en charge de maladies rares: "nous évitons une ablation de l'utérus, compte tenu du jeune âge de la patiente..." Pourquoi? Dans quel but, si la ménopause précoce est enclenchée, conserve-t-on cet organe de gestation par définition? Cela me trottait dans la tête et ne pouvait durer indéfiniment...
Alors, j'ai décidé de me documenter, de longues heures durant, parfois de manière inadéquate en surfant sur les vagues si approximatives du monde du web, et j'ai nourri l'once d'un espoir, si infime soit-il. Et, prenant le taureau par les cornes, j'ai décidé de m'en remettre à l'avis de ces spécialistes qui ne pouvaient que me donner une réponse précise.
 J'étais nerveuse. Je savais quel angle d'attaque aborder mais je ne connaissais que trop bien la déception d'une situation irréversible. Pourtant, au fond de moi, je savais que ce n'était pas le cas. Et, je n'ai jamais connu pareil bonheur qu'en cet instant-là. J'exultais, d'une excitation d'abord profondément contenue, assommée par l'ampleur de l'annonce. Et, lorsque je suis rentrée de cette consultation, j'ai tout déballé. J'avais encore une fois conservé pour moi ces démarches car l'appréhension de construire de faux-espoirs n'auraient eu pour but que de maximiser la déception de mon cher et tendre. Il me l'a souvent reproché, de toujours vouloir porter le poids de mon petit monde et celui qui m'entoure sur mes épaules, mais je n'y peux rien, je n'ai jamais connu que d'autre manière d'agir qu'avec cet instinct qui n'était que trop protecteur...
Nous n'avons pas réalisé, nous étions tellement sonnés, anesthésiés cérébralement. J'avais l'impression de n'avoir communiqué que cette information basique: " passe-moi le sel". Il nous a fallu plusieurs dizaines de minutes, voire un couple d'heures avant de se tourner l'un vers l'autre, animés presque simultanément de cette lueur d'optimisme. Nous avions le choix.
Nous n'aurons droit à aucune facilité, nous n'y arriverons peut-être jamais, mais nous avions reçu ces clés qui nous menait vers ces portes que nous pouvions peut-être entrouvrir, peut-être pas... Ces poignées qui,abaissées, symbolisaient la résolution de quelques interrogations et doutes qui m'avaient terriblement submergée. C"était déjà beaucoup.
J'y aurai droit, à ce don d'ovocytes, comme n'importe quelle autre femme, seulement après deux ans de rémission! D'ailleurs, je me sentais véritablement femme, de nouveau, enfin... Peut-être ridiculement femme, car je n'oserais jamais remettre en doute la féminité de toutes ces demoiselles ou dames stériles ou qui n'ont jamais enfanté. Mais, soyez empathiques et comprenez qu'avec ces organes internes et ces hormones triturés en tous sens, je me sente enfin en paix avec moi-même. J'avais signé un traité de paix, un accord tacite qui réglait provisoirement ce combat introspectif.

La voie serait longue, certes! Mais, qu'importent les embûches, la vie est si belle... Une splendeur! Vous ne trouvez pas?



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