Ce soir, ça sera un peu retour vers le futur à la maison.
Ou plutôt « La Boum ».
Comme quand j’avais 16 ans, et que j’attendais désespérément
l’appel d’un garçon, je ferai le pied de grue devant le combiné en hurlant
« Que personne ne touche à ce téléphone !».
Car ce soir mon fils appellera depuis sa colonie.
Je précise que je ne l’ai pas laissé partir vraiment de
gaieté de cœur (doux euphémisme).
Mais à force de répéter qu’il faut donner à ses enfants des
racines et des ailes, je me suis dit qu’il fallait de temps mettre en
application ces beaux principes.
Au départ, c’était une idée de Nadine, ma voisine :
« Et s’il partait avec mon fils ? Ca fait 3 ans qu’il part en colo,
il adore ». Nadine, c’est la voisine la plus cool du monde, le genre de
personne qui mettrait Julien Courbet au chômage direct ou qui pourrait être
sans problème la mascotte officielle de la fête des voisins. Nadine, c’est le
retour de karma après avoir eu au-dessus de ma tête un fou insomniaque qui
terrorisait les gosses.
Du coup, je n’ai pas
voulu paraître trop abrupte et ai répondu d’un sourire franc, histoire de
maintenir nos bonnes relations de voisinage : « Ah oui c’est gentil
de proposer mais c’est pas son genre en fait les colos, il ne voudra pas. Mais
merci hein ».
De retour à la maison je raconte cette anecdote à mon mari
en ricanant « Ah ah, partir en colo » quand mon fils s’immisce alors
dans la conversation en lançant un : « Hein mais pourquoi t’as dit
non ? Je veux aller en colonie moi ». Coup de massue.
Je l’ai laissé réfléchir une semaine. Puis 2. Puis un mois.
Plusieurs fois quand il me demandait quelque chose («Où est mon
cahier ? » « Tu peux me couper ma viande ? » « Je
sais pas quoi choisir comme vêtement ») je lui répondais du tac au tac, sarcastique
« Et tu ferais comment en colo hein ? ». Tout cela ne l’a pas
dissuadé. Nous l’avons donc inscrit. Enfin, plutôt son père car moi je refusais
de m’intéresser à tout ce qui tournait autour de cette colo tant cette
perspective m’angoissait.
J’ai bien été amenée à m’y intéresser lors de la réunion de
préparation à laquelle nous avons été conviés. J’ai découvert que la colonie
n’était finalement pas si loin de Paris (ouf), que les animateurs étaient
plutôt responsables et que tous les enfants étaient des accros à leur
téléphones (première question posée par un gamin « On aura le droit
d’utiliser internet avec mon portable ? ». Soulagement, mon enfant
n’est donc pas un extra-terrestre).
Et puis l’angoisse est revenue crescendo quelques jours
avant le départ en découvrant la liste de ce qu’il fallait mettre dans la
valise. En comparaison, la liste des fournitures scolaires serait presque une
partie de rigolade, entre les affaires à marquer et les trucs improbables à
acheter. Du genre un appareil photo jetable. Je ne compte plus le nombre de
magasins parcourus pour trouver le Saint Graal. A chaque fois, le même regard
contrit du vendeur, comme si je demandais à acheter un gramophone ou un silex
pour faire du feu. Grand moment de solitude quand il a fallu ensuite expliquer à mon fils le
fonctionnement de l’appareil : « Alors, tu regardes dans le trou pour
faire la photo et tu ne rates pas hein, parce qu’on ne gâche pas la
pellicule » « Ouais, bon au pire, je regarde si ça va pas et je
recommence ». « Ben non justement, ce n’est pas un appareil
numérique, tu ne peux pas voir la photo avant, il faut faire développer la
pellicule ». Je ne m’étais jamais sentie aussi vieille que depuis que mon
fils m’avait demandé si j’avais connu les dinosaures. « J’ai
tellement galéré à trouver ce fichu appareil que tu as intérêt à prendre des
photos avec » ai-je dit pour faire diversion.
Puis le jour du départ est arrivé. Toute la journée, j’ai
essayé de faire bonne figure en chantonnant et en répétant « Ah, ah quelle
chance tu as, ça va être top la colo ». Puis, dès que je pouvais, j’allais
me réfugier dans la cuisine en soufflant un grand coup et en respirant par le
ventre. Ironie du sort, la semaine d’avant, une psy que j’avais interviewée
pour un article m’expliquait qu’il ne servait à rien de mentir aux enfants,
qu’ils comprenaient tout. Comme quoi, entre la théorie et la pratique…
C’est alors que mon fils qui jouait avec mon téléphone
m’appelle précipitamment: « Maman, y a ta copine qui te dit par texto qu’il faut que tu
arrêtes de stresser, tout va bien se passer à la colonie ». Un bien beau
#fail.
Quelques heures après, nous nous retrouvons sur le quai de
la gare. Mon fils me lance alors en riant « Hé maman, tu te souviens dans
Ariol (un dessin animé qu’il aime bien), la maman se met à pleurer sur le quai
de la gare. C’est exagéré hein ». « Ah ah, oh oui, faut vraiment être
sensible hein » répondis-je en ravalant ma salive. IL NE FAUT PAS PLEURER
DEVANT LUI m’ont répété en boucle ma mère/ma belle-mère/mes copines, j’étais
donc bien décidée à ne pas craquer.
J’imaginais déjà les adieux, face au train,
digne et détachée, secouant ma main d’un air guilleret. Sauf que ce fichu
animateur a contrecarré tous mes plans de mère parfaite en annonçant, fourbe,
au dernier moment : « La SNCF interdit l’accès au train aux
parents, il va donc falloir dire au revoir aux enfants maintenant ».
Maintenant, là tout de suite, devant cet escalier mécanique
sans âme qui semble descendre dans les tréfonds de l’enfer. Je sens l’angoisse
qui monte et les larmes avec. J’essaye de faire diversion en scrutant la valise
Lancel de cette petite fille (« Ah ah une valise Lancel pour partir en
colo, faut le faire hein, c’est rigolo ») mais rien n’y fait, je me mets à
pleurer. « Non mais ça va aller, maman, te mets pas dans des états pareils »
me dit mon fils pour me rassurer. Faudra tenter autre chose que la poussière
dans l’œil donc.
Je regarde autour de moi en espérant qu’une autre mère se
mettre à craquer aussi. Que nenni. Elles me regardent toutes d’un air amusé ou
gêné. C’est donc mon mari qui se charge des adieux alors que je tente de sauver
le peu de dignité qu’il me reste en me planquant derrière un poteau.
Quelques minutes après, j’apprends que mon fils a déjà
appelé ma mère pour lui dire qu’il ne s’était pas fait de copain (j’étais
tellement ravagée qu’il n’a pas dû oser me téléphoner). Puis pour lui dire
qu’il voudrait que je lui envoie sa machine à rainbow loom (ce truc est pire
que la drogue). Je l’ai eu en fin de soirée puis jeudi dernier : il avait
l’air content, m’a dit qu’il n’a pas pleuré (j’ai appris qu’il avait dit à ma
mère qu’il s’était retenu) et qu’il avait pris plein de photos (je crois que je
lui ai LEGEREMENT mis la pression avec cet appareil jetable). Depuis silence
radio car il n’a droit au portable que les mardis, jeudis et dimanches.
Ce soir mon fils appellera depuis sa colonie.
Comme quand j’avais 16 ans, et que j’attendais désespérément
l’appel d’un garçon, je ferai le pied de grue devant le combiné en hurlant
« Que personne ne touche à ce téléphone !».
Enfin, j'espère qu'il fera mieux que le garçon en
question, qui, lui, n’a jamais rappelé.
Lol le coup de l'appareil photo jetable, est ce que je te préviens tout de suite ou pas que les photos vont etre exécrables ? ;) enfin presque toujours sans exception elles l'ont été quand mes enfants revenaient ;) ou toutes prises dans le bus, lol bravo je suis fière de toi ;) tu gères bien l'absence et le manque... ;) bises
RépondreSupprimerAh ah, je me demande si ça vaut le coup de les développer du coup! :-)
SupprimerAllez, courage! Quand tu vas le voir rentrer, grandi, bronzé, enthousiaste, et plein d'histoires à raconter, tu n'auras plus qu'une envie, lui donner tous les ans cette possibilité de vie sans parents pendant une semaine ou deux, qui nous permettent aussi de souffler, retrouver le soir un salon en ordre, manger n'importe quoi n'importe quand, et faire ce qu'on veut de ses soirééééées (même si ce qu'on veut c'est ne rien faire du tout). Si ça se passe mal, il saura où te trouver, si ça se passe bien, il appellera une fois et c'est tout, pour te rassurer uniquement. Et tu tu pourras te dire que tu as fait du bon boulot, parce que comme disait Dolto, une bonne mère c'est une mère qu'on peut quitter.
RépondreSupprimerMerci pour ce commentaire : ça fait chaud au coeur de lire ça!
RépondreSupprimerJe compatis même si j'ai eu la chance de vivre ça autrement et une semaine c'est passé tellement vite... sinon par contre j'ai aussi de la chance, le blog était mis à jour tous les jours :)
RépondreSupprimerOui je me souviens tout à fait quand ta fille était partie, je m'étais d'ailleurs dit "pour l'instant, on n'y pense même pas"! Comme quoi!
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