NB : Cette interview fait suite à mon avant-dernier billet sur les brevets de féminisme.
Suite à ce post, j'ai essuyé de nombreuses accusations de lesbophobie pour avoir relayé la bande dessinée de Muriel Douru, même si j'avais pris soin d'en pointer les maladresses.
J'ai donc pris l'initiative de contacter Muriel pour qu'elle puisse nous donner son éclairage et que vous puissiez éventuellement lui transmettre vos commentaires.
Tout commentaire insultant ou diffamatoire sera bien évidemment supprimé.
Bonjour Muriel, qui es-tu?
Peux-tu nous parler de ton parcours?
Bonjour
Sophie et tout d’abord, mille mercis de me donner la possibilité de répondre au
sujet d’un post dont le succès m’a complètement dépassé (échappé ?).
Je
suis dessinatrice freelance depuis des années pour la mode, la papeterie, la
décoration et l’édition. Par ailleurs, j’écris des livres (dont la plupart pour
enfants) qui parlent tous d’homoparentalité et/ou d’homosexualité. J’ai été la
première à le faire avec la sortie en 2003 de « Dis mamanS », un
livre tout simple qui raconte les réactions des camarades de classe d’un petit
garçon qui a deux mamans à la maison. Ce livre est resté dans un cadre
confidentiel puisqu’il a été édité pas « Les Editions Gaies et
Lesbiennes » (aucune maison d’édition jeunesse généraliste n’avait voulu
de mon projet à l’époque) mais comme il fait partie des rares qui s’adressent
directement aux familles homoparentales, je suis heureuse qu’il continue d’être
diffusé de la même quantité chaque année, depuis plus de dix ans.
Ont
suivi « Un mariage vraiment gai » (le livre qui a le plus
« vieilli », tant au niveau du graphisme que du contenu puisque le
mariage pour tous a été voté depuis), « Deux mamans et un bébé » (un
récit autobiographique racontant l’éprouvant parcours vers bébé quand on est
homo) et « Cristelle et Crioline » chez KTM (dans ce conte pour
enfants une petite grenouille délaisse le crapaud qu’on veut lui imposer parce
qu’elle est amoureuse… d’une autre grenouille).
Et
enfin « L’arc en ciel des familles » qui sort dans quelques jours et
dans lequel je décris tous les types de familles : de la famille nucléaire
à homoparentale, en passant par les familles recomposées, mixtes, composées de
deux mamans, deux papas ou plusieurs parents. Je suis très fière de ce nouveau
projet- réalisé en collaboration avec Jérémy Patinier mon éditeur Des Ailes sur
Un tracteur- car je crois qu’on n’est jamais allez aussi loin dans la
description de la diversité des familles, en utilisant les « mots vrais »
(GPA, PMA, coparentalité, etc…).
Comment en es-tu venue à
écrire cette BD qui a eu énormément de succès sur le net?
J’avais
été très choquée de découvrir ce Tumblr consacré à des femmes qui se déclarent
hostiles au féminisme. A mes yeux c’est incompréhensible d’être une femme et de
s’opposer à ce point à celles qui ont fait que nous sommes une génération libre
et indépendante.
J’ai
toujours été d’une nature « expressive », on pourrait dire une
« grande gueule » ! Longtemps blogueuse (d’abord à l’écrit et de
façon anonyme avant que mon blog ne devienne le livre autobiographique après
avoir été repéré par un éditeur) puis à travers mes livres pour enfants, ma
participation aux manifs (surtout pendant les débats liés au mariage pour tous)
mais également sur les réseaux sociaux. C’est mon tempérament et j’ai décidé de
l’utiliser à travers mon nouveau blog illustré, très inspiré du style de
Pénélope Bagieu, Diglee ou Margaux Mottin (pour ne citer que les plus célèbres)
dont j’admire le coup de crayon drôle et pertinent.
Comme
souvent quand j’écris un post sur mon blog, j’ai commencé à noter des idées,
faire des croquis de ce que j’avais envie de dire en réaction à ce sujet et
puis- comme pour le post sur le végétarisme qui a eu beaucoup de succès aussi-,
j’ai passé une nuit blanche à le rédiger. A chaque fois, c’est un vrai
soulagement d’exprimer et de mettre en images ce genre de pensées, comme si
j’avais besoin de les partager pour qu’elles me libèrent un peu.
Comment as-tu géré cet
engouement?
En
réalité, ce qui m’a « sauvé » c’est que j’ai publié le post la veille
de mon départ en vacances et Le Huffington Post l’a relayé le jour-même.
J’étais dans l’avion quand j’ai commencé à découvrir que les messages
pleuvaient ! Ensuite, je me suis retrouvée à l’étranger sans quasiment
aucune connexion internet et je n’ai découvert qu’une semaine plus tard (grâce
à un texto de ma sœur) que mon post avait été liké jusqu’à 110 000 fois sur Le
Huffington ! C’est à ce moment que j’ai commencé à m’intéresser à ce qui
se passait et découvert les critiques qui m’étaient adressées et pour le coup,
heureusement que je n’étais pas connectée pour voir tout ça dans l’heure parce
que c’était parfois violent.
Comment gères-tu ces critiques?
Très
mal, du fait justement de mon engagement pour la cause homosexuelle et depuis
si longtemps. C’est un peu comme si on disait à Mélenchon qu’il fait le jeu de
Marine Le Pen !!! Je pense qu’il ne dormirait pas de la nuit et qu’il se
sentirait complètement incompris. Comme je l’ai déjà expliqué de ci, de là, je
reconnais tout à fait les maladresses de mon post. Jamais je n’aurais imaginé
qu’il aurait un tel succès ni qu’il serait autant partagé sinon, croyez-moi,
j’aurais fait en sorte qu’il soit le moins propice à de mauvaises
interprétations. Je l’aurais encore plus peaufiné bien que je suis certaine
qu’au final, il y a toujours des grincheux pour chercher la petite bête.
Car
entre nous, ce que je découvre aussi c’est que quoiqu’on fasse on est attaqué
et internet permet l’expression de haine, de jugement, sous couvert d’anonymat.
Sauf que ce qui est cocasse dans mon cas c’est que pendant des années j’ai reçu
des agressions parce que j’osais parler de l’homosexualité aux enfants et que
là, … on me reproche d’être homophobe !!! C’est le monde à l’envers.
Tu as également reçu des
critiques concernant des aspects jugés problématiques de cette BD, notamment
des accusations de lesbophobie et de racisme. Que souhaites-tu répondre?
Comme
je suis lesbienne et visible depuis longtemps, j’ai l’impression de pouvoir me
jouer des clichés liés aux homos, d’avoir le droit de les représenter d’autant
que je pars du principe qu’ils ont toujours un fondement, qu’ils ne viennent
pas « de rien ». Les lesbiennes très masculines existent, les très
féminines et les couples Butch/Fem aussi, pourquoi serait-ce un problème de les
dessiner ? Je trouve cette obsession du « non cliché » un peu
curieuse car tout autour de moi existent des gens qui correspondent à l’idée
qu’on se fait d’eux (le Gay maniéré par exemple) et d’autres qui sont… à
l’opposé !
Ce
n'est pas parce que je dessine une butch que j'ai un problème avec celles qui
le sont ! On me reproche le « simplisme » de mon post mais cette
interprétation l’est tout autant. Faudrait-il ne pas les dessiner parce
qu’elles nuiraient à l’image des lesbiennes ? Pour ma part, je me fiche
complètement que les gens soient comme ci ou comme ça, ce que je voulais dire à
travers ce personnage c’est que je suis certaine que ces femmes « against
feminism » ont ELLES un problème avec ça (elles sont toutes super
féminines sur leur Tumblr) et qu’ELLES ne veulent pas être associées à cette
image, ni à celle des Femen.
Et
quand je m'interroge sur le fait que cette mère pourrait imaginer que son fils
soit homo parce qu'il touche les paillettes de mon sac, il me semble évident
que l'homosexualité potentielle des enfants est encore considérée comme une
"angoisse" pour de nombreux parents, mais ce n'est pas parce que je
pense que la réaction de cette mère était liée à ça que MOI j’ai un problème
avec l’homosexualité !
L’homosexualité
est encore très mal vue pour un paquet de gens (on l’a bien vu au moment des
débats du mariage pour tous et je suis bien placée pour le savoir), ne faut-il
pas le reconnaître et lutter contre en disant, comme dans mon post (qui me
semblait clair du coup) : C’est quoi le problème ??? Lâchez la grappe
aux petits garçons et aux petites filles !
De
plus, il s’agit d’une BD et non d’une thèse et je n’avais aucune prétention
d’être porte-parole de quoique ce soit, de parler du féminisme en profondeur. Au
départ, c’est une réaction à ces femmes "against feminism" et on ne
peut pas s'adresser à elles avec des phrases complexes et des subtilités alors
que je suis certaine que leur problème face au féminisme se situe- justement- à
un niveau très basique: féministe=pas féminine, féministe= mal baisée,
féministe= lesbienne, etc... des idées auxquelles elles ne souhaitent pas être
associées.
Enfin,
dernière chose, je suis quand même éberluée de voir que certaines
« féministes » me tombent dessus pour me reprocher mon
« homophobie » (suffit de taper mon nom sur Google pour rigoler de
cette insulte), mon « racisme » et au final, mon « anti
féminisme ». J’ai finalement l’impression de comprendre pourquoi tant de
gens en ont marre des féministes, parce qu’au final, j’ai la sensation que ce
n’est jamais assez « bien » pour elles, qu’il y en aura toujours pour
critiquer, disséquer la prise de parole des autres et dans mon cas, dénoncer un
post qui pourtant, au vu de son succès, aurait pu leur faire plaisir.
D'après ce que tu as pu
voir, ta BD a-t-elle eu un impact sur le changement de mentalités (des
personnes qui ne se sentaient pas forcément féministes le sont devenues par
ex?).
Encore
une fois, je n’avais aucune prétention avec ce post et surtout pas celle de
faire croire que je peux changer quoique ce soit. Je le pense encore plus
depuis que je lis des interprétations de mon propos aux antipodes de ce que
j’ai voulu dire !
J’ai
reçu de nombreux messages extrêmement positifs et souvent de jeunes femmes qui
m’ont dit avoir été touchées par mon post parce qu’elles avaient vécues les
agressions de rue ou démarraient dans la vie active.
Je
suis persuadée que la bienveillance est essentielle et qu’au lieu de se
chercher des noises il faut être heureux de tout ce qui fait avancer la cause
des femmes. L ‘idée principale de mon billet c’était de dire : ok,
nous on a la chance de vivre heureuses et libres (et dans mon cas de femme
mariée à sa compagne et mère d’une petite fille, je sais ce que ça veut
dire !) mais beaucoup de femmes vivent encore dans des conditions
dramatiques à travers le monde. D’ailleurs à ce sujet, je n’ai rien dit au
sujet du racisme parce que les mots me manquent. Je n’y peux rien si les
conditions de vie des femmes sont meilleures dans les pays développés que dans
les pays en voie de développement, c’est une réalité qu’on ne peut pas nier et
contre laquelle il faut se lever. Car si j’ai fait ce post c’est en pensant à
elles et pas à mes copines qui comme moi, vivent leur vie tout à fait librement.
Donc franchement, qu’on puisse me considérer raciste, ça me sidère.
Quels sont tes projets
futurs? As-tu eu des propositions suite au succès de la BD?
Je
suis en train d’en faire une version en anglais qui m’a été demandée par une
association de féministes polonaises (je n’en revenais pas que mon post soit
arrivé jusqu’à elles !) mais je me sens un peu « freinée » du
fait d’avoir découvert cette polémique à mon retour de vacances. Je me pose la
question de la pertinence d’une telle action si les réactions sont à l’opposé
de celles que j’attendais ! Je revois chaque image l’une après l’autre et
me pose des questions (dois-je virer l’image de la femme masculine ? mais
aussi celle à vélo (qui m’a été reprochée aussi !) ? ajouter des
explications archi-détaillées pour ne pas que les interprétations aillent dans
le mauvais sens ?). Mais en même temps, je ne peux pas complètement
« dénaturer » mon post qui a également plu/parlé à
beaucoup !
Et
sinon, j’attends avec impatience la sortie de « L’arc en ciel des
familles », les publications que je vais avoir aux éditions Fleurus et les
nouveaux projets professionnels pour la mode et la déco qui m’attendent. J’ai
la joie de faire un travail qui m’épanouit complètement et je reconnais ma
chance.
Pour
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