Benjamin Smadja, le
co-auteur du livre dont je vais vous parler, est un ancien de L’Oréal comme
moi. Mais ce n’est pas par ce biais que nous nous sommes rencontrés.
Après
m’avoir interviewée pour le site Womenology au sujet
du gender marketing, nous avons échangé autour du livre qu’il était en train d’écrire
avec Marie-Laure Sauty de Chalon. Il m’a alors proposé de dresser au sein de
cet ouvrage un top 5 des pires produits « spécial femmes » ainsi
qu’un top 5 des meilleurs produits « spécial femmes ». Après
réflexion, j’ai décliné cette proposition : à mon sens, aucun produit
genré (en dehors des cosmétiques ou des médicaments, pour des raisons de
différence de peau ou de métabolisme) ne mérite réellement d’exister. Pour
autant, nous avons continué régulièrement à échanger (c’est d’ailleurs lui qui
m’avait transmis en avant-première les informations au sujet du Biscuit BN sexiste ou du Stabilo « spécial femme »)
et Benjamin ne m’en a pas tenu rigueur. Preuve en est, il m’a fait parvenir la
semaine dernière son livre « L’art du marketing to women » co-écrit
avec Marie-Laure Sauty de Chalon.
J’avoue qu’en
découvrant la couverture, ornée d’un énorme escarpin rouge, j’ai ressenti une
certaine appréhension au sujet du contenu. Puis je me suis souvenue que la chaussure
à talon était devenu un gimmick cher aux éditeurs dès lors que l’on parlait de
femmes aux marques, même s’il s’agissait de dénoncer les stéréotypes (quelques
illustrations de livres de marketing ici ici ou encore ici).
Car l’ouvrage
s’adresse ici avant tout aux marques et aux professionnels du marketing. Son
message central : comment cibler les femmes, en tant que consommatrices
finales mais aussi comme acheteuses et prescriptrices pour leur entourage, sans
tomber dans la caricature et les stéréotypes.
A ce sujet, les
auteurs rappellent aux marques quelques éléments clés que l’on espère voir
appliquer dans leurs futures campagnes : « le marketing au féminin,
ce n’est pas de faire des produits roses et d’inventer des usages
différents » (cf Bic). En citant Brigitte Grésy, ils expliquent
« combien nous avons intégré des constructions mentales et comportementales
qui conduisent à sous-légitimer les femmes et sur légitimer les hommes »
et pointent les dangers des stéréotypes sexistes. En s’appuyant sur les travaux
de Catherine Vidal, neurobiologiste, ils rappellent que « les théories
déterministes sont fausses. Il n’y a pas de différence de taille de cerveau
entre les hommes et les femmes. Ce ne serait pas les différences biologiques
qui expliqueraient les différences de comportement mais l’école, la société, le
poids des structures familiales qui rendraient les garçons et les filles
différents ».
Des concepts qui font
plaisir à lire dans un livre de marketing ! Mais puisque le but de
l’ouvrage est avant tout de vendre plus et mieux, les auteurs se sont également
intéressés à une nouvelle segmentation de la cible féminine (exit la ménagère
de moins de 50 ans, remplacée par une segmentation par « étape de vie). A
travers de cas concrets de campagnes réussies, les auteurs se sont par ailleurs
attardés sur les attentes des femmes et les comportements des consommatrices.
Des conseils judicieux mais qui, à mon sens, ne se limitent pas à la cible
féminine. « Apporter couleur et peps » « Démontrer la qualité de
ses produits » « Proposer des prix accessibles » « Proposer
des produits innovants » sont autant de clés proposées pour s’adresser aux
femmes. Mais en quoi ces principes universels ne ne seraient-ils pas
également valables pour les hommes ? Par ailleurs, si l’ouvrage rappelle que 80% des
produits de consommation sont achetés par des femmes, il s’attarde peu sur
l’évolution des différences de comportement d’achat entre les sexes (à part
l’interview Danielle Rapoport, psychosociologue, qui affirme que « les
sens des femmes, plus développés que ceux des hommes, rencontrent dans l’offre,
les couleurs, les textures, les bruits, les odeurs, les mots, qui devraient les
faire « craquer » » (on se demande quelle est la source de cette
affirmation)). Pourtant, au-delà de cette dichotomie hommes/femmes, il aurait
été intéressant de montrer en quoi les usages et les comportements d’achat
entre les sexes se sont progressivement lissés au fil du temps.
Cette vidéo très intéressante de Franck
Lehuédé, chef de projet senior au Crédoc, démontre bien
qu’en ce qui concerne l’essentiel des motivations d’achat (le prix,
l’esthétique ou la marque) les attentes des hommes et des femmes sont
quasi-identiques. Il explique d’ailleurs que c’est davantage l’âge que le sexe
qui joue en matière d’intérêt pour la marque.
On le constate également au niveau des
usages des nouvelles technologies : il existe aujourd’hui plus de
différences de comportements entre 2 femmes d’une tranche d’âge différente
qu’entre une femme et homme d’âge équivalent. Est-ce que ce ne serait pas ça
finalement la segmentation de demain ? Penser davantage le marketing en
terme d’étapes de vie plutôt qu’en terme de genre ? Créer des produits
malins et accessibles qui s’adresseraient à tous plutôt qu’aux femmes en
priorité ?
C’est ce qu’évoque Matti Berletta,
auteure du livre « Marketing to women », citée en début de
l’ouvrage : « un meilleur marketing à destination des femmes entraîne
une plus grande satisfaction des clients masculins. Si vous designez des
produits plus utiles à destination des femmes, ne vous étonnez pas que tout le
monde les préfère. ».
Le design universel sera-t-il l’avenir
du marketing de demain ?
En attendant, le livre de Marie-Laure Sauty de
Chalon et Benjamin Smadja a le mérite d’offrir aux marques quelques pistes de
réflexion intéressantes au-delà des stéréotypes utilisés habituellement.
Je vais être lapidaire, mais j'aurais résumé ça en deux phrases personnellement :
RépondreSupprimer"Comment faire du marketting pour les femmes ? Ne pas faire du marketting pour les femmes."
Il n'y a pas de bonne façon de faire du marketting genré. Il faut juste cesser d'en faire... Et même si on parle des produits spécifiquement féminins du reste. On ne devrait pas se demander comment vendre une boîte de tampons à une femme, mais comment vendre une boîte de tampons tout court...