« Maman, tu sais le soir, une fois dans mon lit, j’aime
bien entendre le bruit de tes bracelets quand tu es dans la salle de bains. Ca
m’aide à m’endormir ».
Devant ma boîte à bijoux, j’ai repensé à cette phrase de ma
fille et je n’ai pas rangé mon jonc en argent, mon bracelet de perles avec sa
petite main de fatma ainsi que ma manchette ciselée. J’ai aimé que ma fille me
reconnaisse à mon bruit, comme un petit chat malicieux trahi par son grelot.
Savoir que les tintements de mes bijoux l’apaisent, ça veut
dire beaucoup, que je suis encore celle qui rassure, malgré mes propres doutes. Qu'elle apprécie de me savoir à côté, pas encore oppressante, juste bienfaisante.
Je me dis que, plus tard, ce bruit a priori anodin restera
une trace de moi audible parmi le fatras de ses souvenirs. Alors, je le cultive
patiemment pour pouvoir exister quand je ne serai plus à ses côtés
quotidiennement.
Car, quand on y pense, que garde-t-on de ses parents ?
Quels souvenirs d’eux nous habitent, une fois adulte ?
De ma mère, je me souviens du bruit de ses belles bottes cavalières à talons, si typiques des années 70, quand elle venait me réveiller le matin.
De sa façon de chantonner « ti la la la » dans la
cuisine quand elle ne connaissait pas les paroles.
Du goût si inimitable de sa vinaigrette. Elle a beau me
répéter encore aujourd’hui « Mais c’est facile, 2 cuillères d’huile, une
de vinaigre », je n’arrive jamais au même résultat.
De la douceur de son manteau en lapin, dont j’arrachais
discrètement les poils quand elle l’avait sur le dos, jolie et apprêtée, pour
lui montrer que je ne voulais pas qu’elle sorte le soir avec mon père.
De la sensation des draps frais quand elle changeait mon lit
lorsque j’étais malade et qui me faisait supporter même jusqu’à la douleur des
piqures.
Je sais que mes enfants ne retiendront de moi que des
sensations diffuses, des souvenirs de pas grand-chose. Ils ne se souviendront
pas des nuits hachées par les biberons, des jours posés pour rester auprès
d’eux quand ils étaient malades. Ils oublieront les plats mijotés pendant des
heures mais garderont le souvenir des coquillettes au beurre.
Alors, ces souvenirs, je le sème discrètement. Je me parfume
de fleur d’oranger. Je peaufine mes petits plats en espérant qu’un d’entre eux
figurera plus tard à leur panthéon culinaire. Je n’essaye pas de traquer mes
tics de langage, qui les feront sans doute sourire un jour.
Et je fais tinter mes bracelets.
Très émouvant, continue encore longtemps à semer dans leurs têtes et leurs coeurs des souvenirs de toi.
RépondreSupprimerC'est magnifique... ton texte a eu un fort écho dans ma tête. Aujourd'hui je n'ai plus de contact avec mon père et ce qu'il me reste de lui ne sont que des odeurs, des sensations, le poulet rôti du dimanche et le babybel des pique-niques. Et si ça peut te rassurer, en dépit du fait que nous ne nous connaissons plus lui et moi, quand je repense à tout ça, ça m'apaise instantanément.
RépondreSupprimerTon commentaire m'a donné les larmes aux yeux. Les souvenirs, à la fois si anodins et puissants, sont des baumes pour le coeur.
SupprimerQue tu écris joliment Sophie, merci pour ce beau billet émouvant
RépondreSupprimerLa quiche lorraine, le goût des gâteaux ratés pour mes anniversaires, le parfum eau vitale, puis trésor de Lancôme, de belles bottes bleues, un pull tricoté avec des losanges multicolores qu'elle portait en hiver, son bel alto. Les rapports changent, plus ou moins sereins et proches au fur et à mesure que sa fille devient femme, que la maman reste mère, mais femme avant tout, avec un parcours, une vie et des idées différentes, mais le lien tissé par les souvenirs d'enfance demeure. Merci Sophie de me le rappeler.
RépondreSupprimerBon, ben voilà, je pleure... et je pense à mon grand-père.
RépondreSupprimerAh non mince, ce n'était pas le but!
Supprimernon mais c'est des larmes qui font du bien, t'inquiètes! :)
SupprimerC'est un très joli billet !
RépondreSupprimerEn effet, je crois vraiment que ce sont les petites choses du quotidien qui reste encore plus gravés que d'autres.
Il n'y a pas longtemps, j'ai eu une très peur de perdre mon Grand Père... j'ai alors pris ma plume pour leur dire quelques mots à tous deux... Ce fut un échange postal très émouvant.
Tout ça pour dire que tu as aussi une petite fille géniale de t'avoir dit ces quelques mots qui peuvent paraître anodins, mais qui ont tellement d'importance...
je trouve ton article très beau, très touchant... il me parle beaucoup, je suis actuellement enceinte et c'est le genre de truc auquel je pense beaucoup en ce moment. Dans un bouquin que l'hôpital m'a filé, il y avait cette citation: "your children will not remember what you said or what you did, they will remember how you made them feel". Et quand je pense à ma propre enfance, c'est exactement ça. :)
RépondreSupprimerElle est très juste cette phrase, c'est exactement ça!
SupprimerBonjour,
Supprimerje me rends compte que je suis votre blog depuis plusieurs années mais ne laisse jamais de commentaires...
Je les larmes aux yeux en lisant ce que vous venez d'écrire...
Nous avons le même âge mais je suis maman depuis juste 6 mois et ça m'a beaucoup touchée.
Je me retrouve dans beaucoup de vos articles, merci et ...continuez!
Merci de me lire depuis des années et d'avoir sauté le pas en me laissant ce premier commentaire! J'espère qu'il y en aura d'autres :-)
Supprimeroui c'est bien joli article, tendre et nostalgique. et c'est au combien vrai les bruits et les voix de notre enfance sont encore présents dans nos souvenirs ...
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