"Je déclare la guerre aux cheveux cassants
et aux pointes sèches" proclamait Kate Moss dans les années 90. Comme
moi, vous vous souvenez sans
doute de cette publicité pour la marque Elsève qui, depuis, a été de nombreuses
fois parodiée.
La métaphore guerrière pour vendre des shampooings prête à
sourire aujourd’hui, il s’agit pourtant d’une figure de style très fréquemment
utilisée dans le domaine de la beauté. Cet article de blog très
documenté de 2011 recense d’ailleurs les publicités qui y ont eu recours : il faut combattre les couleurs
fades, cibler la cellulite, faire la peau aux rides.
Après la métaphore guerrière, j’ai pu remarquer un autre
phénomène en début d’année : la
récupération commerciale du vocabulaire militant par les marques de beauté.
A la réclame des années 50 s’est substituée progressivement une propagande plus
masquée, visant à nous vendre la consommation comme un droit inaliénable. Le but : faire passer l’acte d’achat
comme un acte d’engagement et l’acte de vente comme un acte militant. Les
publicités récentes s’inspirent donc largement de cette imagerie, à la fois
dans le texte et l’illustration.
Séphora a ainsi lancé en fin d’année dernière le
« Manuel militant des coquettes » : ce manifeste "anti-prise
de tête " selon les termes de l'enseigne prône de "ne pas
souffrir pour être belle" et célèbre "les activistes de la
beauté " !
Sous ses dehors militants, le guide n’est en réalité
qu’une façon déguisée et éditorialisée de vendre ses produits. On trouvera
ainsi des conseils sur les basiques de la beauté (le vernis, l'anti ride etc.),
des techniques de maquillage ("comment avoir un teint de bébé quand on a
dansé toute la nuit ?"), des idées pour "twister sa salle de
bain".
Non seulement le guide n’a rien de militant mais en plus il est
parfois terriblement rétrograde à l’image de ces conseils pour "avoir
un homme à coup sûr". Pour Séphora, il faut
sourire, se percher sur des talons hauts et être glamour en toutes
circonstances. Et que dire de cette illustration où l’on peut voir un homme se
faire coiffer pendant que Madame part travailler ? De la science-fiction
pour Séphora pour qui il s’agit d’un "monde parallèle".
Dans le même ordre d’idée, l’enseigne Nocibé a revu récemment
sa signature de marque et nous vend désormais de la "beauté
libérée" "cassant les carcans et les règles pré-établies de la beauté, offrant
aux femmes la liberté d’être belles à leur manière. Parce que la beauté
ne suit pas un modèle unique, Nocibé offre aux femmes une infinité de
possibilités pour révéler la leur. ". Et pour se
"libérer de ces carcans", l’enseigne nous a elle aussi pondu un
manifeste : "Liberté N°17 : pouvoir s’offrir les dernières
nouveautés" "Liberté N°07 : penser à soi sans penser aux prix".
Consommer pour être libre, la publicité n’est plus à une incohérence près. Sans
compter le fait de mettre en scène des mannequins photoshopées taille 36 pour
nous vendre de la diversité.
En 2007, la marque Yves Rocher n’avait
pas hésité à transformer sa signature en "Liberté, égalité,
beauté", poing rageur levé sur les
affiches en 4X3.
« Le manifeste
"Liberté, Egalité, Beauté" met en scène ce que propose la marque Yves
Rocher : la beauté pour toutes les femmes. Il apparaît dans la presse
féminine en encart grand format, est décliné en affiches, déployé sur les
Champs Elysées, dans les gares parisiennes françaises, et sur une bâche géante
à la Porte Maillot. Il est bien sûr présent dans les vitrines des magasins.
Online, il reçoit plus de 9500 contributions. »
En 2007, la marque Danone avait, quant à elle, rédigé une « Déclaration
universelle des droits de ma peau » pour le lancement d’Essensis,
son yaourt "cosmétique".
"Considérant l’importance de
l’enjeu, l’Assemblée Générale présidée par Moi […] proclame la Déclaration
Universelle des droits de ma peau". Ce préambule était suivi de quinze
articles – de l’art. 1er, "Toutes
les peaux naissent et demeurent libres et égales en droit", à
l’art. 15, "Nous nous engageons
à favoriser la diffusion et la lecture de la déclaration universelle des droits
de ma peau", sans oublier, à l’art. 13, la création d’un" ministre des caresses" afin
de"guider les peaux amies vers un
avenir plus radieux".
En 2004, L’Oréal avait communiqué
online sous la forme d’un tract pour soutenir sa gamme Men
Expert .
"L'idée créative repose sur la simulation d'une
attaque/prise de contrôle du site internet (http.//www.lorealparis.
fr/minisites/menexpert/) par un collectif de femmes, le NLF,
revendiquant l'égalité devant le soin de la peau et militant contre le
laisser-aller de trop d'hommes avec leur peau. [...] Le dispositif
comprenait un e-mailing ciblé hommes (utilisateurs) avec une personnalisation
de l'offre selon l'âge et les problèmes de peau, un e-mailing ciblé femmes
(prescriptrices) reprenant le discours du NLF et une campagne de bannières
massive, mixant plusieurs formats, sur les sites à forte audience
masculine. [...]".
Voir le MLF parodié en NLF pour vendre
de la cosmétique aux hommes, comble du cynisme.
Mais les marques devraient néanmoins se méfier de la marge de tolérance des femmes….
A mon tour de citer un slogan féministe : "Les femmes c’est comme les pavés : à force de marcher dessus on se les prend sur la gueule". A méditer...
Le guide "militant" de Sephora fait vraiment peur ... c'est décourageant et attristant de voir à des idées digne de Christine Boutin liftées pour faire "jeune", pour rester dans les cosmétiques ;). Et ce "Liberté N°07 : penser à soi sans penser aux prix" : quelle indécence en période de crise !! Et le NLF ...Encore une preuve (s'il en fallait ...) que les publicitaires n'ont aucune décence, aucune morale, aucune culture...
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