Depuis la naissance de mes enfants, j’ai l’impression que mon immunité s’est renforcée.
A force de patauger dans les miasmes, d’aspirer dans le mouche-bébé (si tu es nullipare, je te déconseille une recherche Google) et de nettoyer des fesses, mes défenses ont visiblement mangé du lion. Rétrospectivement, j’ai beaucoup soigné mais ai peu été malade.
Jusqu’à ce dimanche soir d'août dernier.
Tremblements, fièvre, délire (je me voyais réécrire compulsivement un billet de blog, preuve de mon état). Une bonne grippe pensais-je. J’ai laissé passer un jour, puis 2. Jusqu'à la fin de nos vacances à la montagne.
Après 6h de voiture et de retour à la maison, dans un piteux état, je me décide à prendre ma température. Verdict : 39.6°.
Le médecin appelé en urgence pense rapidement à une pyélonéphrite (une infection des reins que j’avais déjà eue enceinte). Il décide donc de faire venir un laboratoire à domicile pour effectuer une prise de sang. A 21h, coup de fil du médecin-conseil alors que j’étais endormie: “Madame, je vous rassure ce n’est pas une pyélonéphrite. En revanche, il y a autre chose qui m’inquiète. Etiez-vous en bonne santé avant?”
Immédiatement, je sens le sol vaciller sous mes pieds et mes penchants hypocondriaques reprendre le dessus. Je réponds d’une voix peu assurée “Oui pourquoi?”
“Parce que vos analyses révèlent une thrombopénie et une leucopénie. Une baisse anormale des globules blancs et des plaquettes. Cela peut être dû à plein de choses. Consultez votre médecin traitant” “D’accord mais est-ce que cela nécessite d’aller aux urgences?” “Madame, vous avez compris ce que je,viens de vous dire?”.
Ensuquée et comprenant qu’il n’y aurait rien à attendre de ce médecin question empathie, je m’assois dans mon lit, écarquille les yeux et déchiffre ces 2 mots que j’avais eus le temps de griffonner à la va-vite sur un bout de papier : leucopénie et thrombopénie.
Une recherche Google me fait immédiatement envisager le pire. Leucémie, cancer, maladie de la moelle osseuse. Je suis dévastée. Et épuisée.
Le lendemain, mon état s’aggrave : impossible de me lever ou de manger. Les simples effluves en provenance de la cuisine me donnent des hauts le cœur. La nourriture que j’essaye d’avaler n’a aucun goût. Je repense à mon père, parti en un mois d’un cancer du côlon et qui me disait la même chose. Je suis terrifiée.
J’ai enfin rdv chez mon médecin généraliste. Je demande à mon mari de m’accompagner car je sens l’angoisse me dépasser. Je pleure devant lui, tiens des propos qui traduisent mes peurs donc pas forcément très rationnels.Je lui dis que j’ai des enfants, que je ne peux pas les laisser, qu'ils sont trop jeunes. Je sens que je ne suis pas prise au sérieux. Ma mine bronzée de vacancière ne plaide pas en ma faveur non plus. La fatigue? Ca va passer, il faut se reposer. L’appétit? Ca reviendra. Je repars avec une ordonnance sous le bras pour de nouvelles analyses.
Le lendemain, j’arrive tout juste à me rendre au laboratoire. Arrivée devant l’infirmière, je manque de faire un malaise, je ne tiens plus debout. Je lui dis que je suis fatiguée, que je n’y arrive plus. Devant mon état, elle me conseille d’aller aux urgences. 1 heure après, me voici dans la salle d’attente de Georges Pompidou, l’hôpital dans lequel mon père a été soigné puis est décédé. Mon mari repart pour ne pas laisser les enfants seuls. Mon seul contact avec l’extérieur est mon frère que je spamme de SMS en continu. L’angoisse ne me quitte pas.
Dans la salle d’attente, une femme pliée en 2 avec une perfusion dans le bras. Une, plus âgée avec un masque sur la bouche. Une troisième, la soixantaine et les cheveux gris, le nez dans son portable. Un homme, avec une perfusion, pull noué sur les épaules et mocassins pieds nus, archétype du type qui a voté Fillon. Une femme d’une cinquantaine d’année endormie contre le mur.
Le téléphone de la dame au masque sonne très fort, dans le genre sonnerie ridicule qui casse les oreilles. Habituellement, j’aurais été agacée, comme l’homme au pull noué sur les épaules, mais là j’ai un fou-rire. Ca sonne. Puis ça re-sonne. Comique de répétition. La dame aux cheveux gris lui propose de l’aider mais n’y arrive pas “Ah, c’est un vieux téléphone, c’est pour ça”.
J’essaye de deviner le degré de gravité des maladies des personnes présentes, on s’occupe comme on peut. La dame au masque a l’air mal en point, ça doit être grave. La dame aux cheveux gris me devance en lançant: “Je n’ai pas fait pipi depuis 2 jours, je viens pour qu’on me débloque”. Assommée de fatigue, je regarde mes pieds en espérant être rapidement prise en charge.
Alors que je somnole, la dame au masque m’interpelle “Madame, je suis cardiaque. Si je fais un malaise, j’ai une feuille dans mon sac. Surtout dites aux infirmiers que je prends l’antibiotique XXXX”. A moitié réveillée, je n’entends pas la fin de la phrase. Quelle responsabilité! Pourquoi ce genre de mésaventure ne tombe que sur moi?! L’interne arrive enfin pour la prendre en charge. Alors qu’ils partent dans une salle adjacente, je guette d’une oreille le verdict, m’attendant au pire. Cardiaque, un masque sur la bouche : autant de détails qui ne trompent pas. “Madame, pour les gencives qui saignent, il faudra voir votre dentiste. Nous n’avons pas de service dentaire aux urgences”. Tout ça pour ça.
Un interne vient enfin me chercher. Je lui ré-explique mes symptômes, lui dis que je suis fatiguée, que je n’ai pas faim, lui donne mes analyses. Je pleure de nouveau. Il m’examine tout en me posant des questions “Vous habitez dans une maison ou un appartement?” “Vous habitez à quel étage?” “Il y a un ascenseur?” Je me demande quel est le but de ces questions saugrenues. Me changer les idées? Tester mes capacités cognitives? J'essaye de rassembler mes souvenirs de la série "Dr House".
Je sens à sa moue lorsque je lui explique ma détresse qu’il ne me prend pas au sérieux. “Bon, je pense que vous pouvez rentrer chez vous. Je vais quand même demander l’avis d’un médecin senior”. Il revient 5 minutes après pour me dire que le médecin souhaite quand même que je fasse une prise de sang. Il me renvoie dans la salle d’attente.
Il est 14h et je n’ai rien mangé depuis la veille. Je demande à la cantonade “Savez-vous où est-ce que je peux trouver un distributeur de boissons?”. La dame aux cheveux gris réparatrice de portable et qui n’avait pas fait pipi depuis 2 jours me répond qu’elle a soif aussi et qu’elle va m’accompagner. Je ne sais pas pourquoi mais je n’ai pas un bon pressentiment.
Nous croisons une malade sur un brancard encadrée par 2 infirmiers visiblement pressés.Typiquement la scène que l’on imagine aux urgences. La dame aux cheveux gris leur lance alors, sans-gêne: “S’il vous plait, j’ai soif. Où est ce que je peux trouver un distributeur?”. “Voyons madame, vous ne voyez pas qu’on est occupés?”. Ils me lancent également un regard noir et là tout de suite je rêve de porter un t-shirt “I’m not with this idiot”. Nous croisons une infirmière qui nous indique le chemin : il faut suivre les points rouges sur le sol. Rien à faire, la dame aux cheveux gris n’en fait qu’à sa tête et m’assure que c’est la porte à droite. J’insiste pour suivre les points rouges. Nous arrivons enfin au distributeur. Je l’entends taper la discussion avec un médecin qui me regarde d’un air compatissant, pensant sans doute que c’est ma mère.
Sur le retour vers la salle d’attente, c’est moi qui prends les rennes et nous ramène à bon port.
De nouvelles personnes sont depuis arrivées dans la salle d’attente. Une femme de mon âge prend un journal, voit qu’il s’agit de Closer et le repose en soupirant. Une autre lui donne le Nouvel Observateur avec Simone Veil en couverture “Ah oui, c’est mieux!”.
Mon téléphone sonne : c’est le laboratoire où j’ai fait mes analyses le matin même. Alors que nous sommes samedi et que le laboratoire est fermé, un médecin a pris le temps de m’appeler car mes résultats sont alarmants. “Vos transaminases sont très élevées. C’est sans doute une hépatite”“Mais, c’est grave??” “Je vous conseille de consulter rapidement un médecin”. Après le manque de globules blancs et de plaquettes, voilà maintenant que mes transaminases explosent. Mon corps est complètement chamboulé, mon sang est sens dessus dessous.
Je raccroche, abattue. La dame qui a reposé le magazine Closer me regarde d’un air compatissant, je dois faire peine à voir. Je m’empêche de consulter Google.
Nouvel appel, de mon mari cette fois. Ma fille qui s’est fait percer les oreilles il y a 2 mois a enlevé ses prothèses car ses trous s’étaient infectés. Après un passage à la pharmacie, on lui conseille de les remettre rapidement. Sauf que mon mari ne les retrouve plus. Je fais profiter de ma conversation à la salle d’attente “Ses prothèses? Mais je ne sais pas où elles sont, j’ai d’autres chats à fouetter là tout de suite. Son trou sera bouché, tant pis”. En raccrochant, je vise la mine interloquée de certaines personnes de l’assistance. Hors contexte, il est vrai que la conversation prête à confusion. Je me plonge dans le magazine Closer.
L’interne revient me voir, je suis pendue à ses lèvres. “Avez-vous pris beaucoup de Doliprane récemment?”. Mon cerveau tente de rassembler ses derniers neurones, mince, c’est quoi la bonne réponse? Si je dis oui, je suis sauvée? “Euh oui?” “C’est à dire?” “2 par jour”. Il repart.Je l’attrappe par le bras “C’est grave?” “Je reviens, ne vous inquiétez pas”. Consciente du pathétique de la situation, je jette un oeil discrètement aux autres patients. La dame qui n’a pas voulu lire Closer me lance un sourire attendri.
Un homme dans la salle d’attente s’énerve, brisant l’harmonie qui régnait depuis mon arrivée aux urgences. Il en a marre, il est là avec sa mère depuis le matin, on est en plein mois d’août, on ne peut pas dire que les médecins soient débordés. D’ailleurs, la salle d’attente n’est même pas pleine. La dame qui n’a pas voulu lire Closer essaye de tempérer la situation : il y a sans doute d’autres salles d’attente aussi remplies que la nôtre. Moi qui suis l’impatience incarnée n’ai même pas la force de m’énerver. Et puis, je trouve que la prise en charge a été globalement rapide et efficace.
L’interne revient, je vais enfin être fixée!
C’était sans compter l’intervention de l’homme impatient qui me passe devant et l’interpelle “Je suis là depuis ce matin avec ma mère c’est scandaleux, je veux voir un responsable”. Je m’étonne de ma patience, je dois vraiment être malade. Il arrive à le calmer et promet de revenir le voir.
“Voilà, j’ai les résultats de votre prise de sang. Il s’agit d’un virus du foie”. “Le foie, c’est grave?” “Grave, non mais très fatigant. Certains attrapent un virus dans les bronches. Vous, c’est au foie. Vous pouvez rentrer chez vous mais vous devrez revoir votre médecin pour suivre l’évolution” (après coup, j’ai appris qu’il s’agissait d’une hépatite mais il a dû se douter que j’allais frénétiquement Googler “hépatite”).
Soulagée, je souffle en regardant mes pieds. En levant les yeux, je croise le regard de la dame qui n’avait pas voulu lire Closer.
“Ben voilà, tout s’explique. Fallait pas se faire de mauvais sang”.