Le meurtre d’Alexia Daval est emblématique, à plus d’un titre, du traitement journalistique des violences faites aux femmes. Euphémisation, absence de contextualisation, victim-blaming : autant de procédés qui contribuent ainsi à banaliser ou à excuser les féminicides.
Un constat que j’ai, à de nombreuses reprises, dressé dans mon Tumblr « Les mots tuent ». Cet outil, qui contient plus de 300 articles à ce jour, est la preuve que ce phénomène est global et récurrent.
Retour sur 4 expressions
qu’il aurait fallu bannir ou contextualiser (en précisant qu'il s'agissait des propos de l'avocat du meurtrier) pour traiter correctement du
meurtre d’Alexia Laval.
1°) Drame
conjugal/crime passionnel : ces
expressions sont problématiques car elles mettent sur le même plan le coupable
et la victime dans une symétrie supposée de la violence. Elles laissent
entendre que la cellule familiale, la conjointe ou la compagne, ont une part de
responsabilité dans ces violences. Il
n’y aurait alors que des meurtriers malgré eux, les femmes étant considérées
comme les éléments perturbateurs du couple.
Par ailleurs, le mot « drame »
est issu du champ lexical
du théâtre : ce terme n'est pas une expression neutre, il fait appel à l'affect
et à l'émotion. Il a pour but de romantiser l'horreur du crime pour attirer la
compassion. Le meurtrier n'est plus un homme violent mais presque un héros de
roman, pris dans les turpitudes de la passion ou de la jalousie. Il tue malgré
lui.
Pourtant la
réalité est plus prosaïque et les études prouvent que le refus de la séparation
est le principal mobile du passage à l’acte : le meurtrier tue car il ne
veut pas que sa compagne/conjointe lui échappe. Un crime possessionnel plutôt
que passionnel donc.
2°)
Accident : ce mot
a été repris partout, même par l’AFP en dépit de la charte signée en début d’année
l’engageant à mieux traiter des violences faites aux femmes. Or, une contextualisation
aurait été nécessaire, sous forme de guillemets par exemple, pour préciser que
ces mots étaient ceux de l’avocat du meurtrier et non pas une conclusion des
résultats de l’enquête. Quelques heures après, la procureure de la République
de Besançon, Edwige Roux-Morizot, s’est pourtant exprimée publiquement pour
affirmer « que la mort a été
donnée volontairement et non pas accidentellement ». Trop tard, l’expression
s’était déjà imprimée dans les esprits de chacun, à grand renfort de titres
outranciers et de bandeaux en continu sur les chaînes d’information. Pour
rappel, les violences sont rarement accidentelles comme nous l’apprend cet article (source @valerieCG) : en 2010, 64,1% des hommes violents l'avaient
déjà été avec une précédente partenaire, 20,3% avec des enfants, et 30,9%
avaient commis d'autres violences.
3°)
Une crise de couple/une dispute ayant mal tourné : là encore, cette expression, basée sur
les dires de l’avocat du meurtrier, laisse entendre que les responsabilités
sont partagées. Elle circonscrit à la sphère intime des phénomènes de société
qui les dépassent largement. Comme si ces féminicides étaient des faits isolés
plutôt que des phénomènes systémiques. Or, les chiffres sont accablants : ¾
des victimes d’homicides conjugaux sont des femmes. Plutôt que d’interroger l’histoire
du meurtrier, on lui trouve déjà des excuses. Au début de l’enquête, alors que
la piste de la mauvaise rencontre lors du jogging était évoquée, des articles louaient la personnalité de la
victime « cet immense sourire transperçant. Le reflet d’une personnalité.
Alexia souriait à la vie. Une battante qui construisait son bonheur, mais qui
prenait le temps d’être gentille et attentionnée », l’avocat du meurtrier affirmant même « je n’ai pas connaissance
de difficultés familiales, de difficultés de couple ». Depuis que la piste
du meurtre conjugal est confirmée, changement de registre, on apprend alors que
la victime « avait une personnalité écrasante », que le meurtrier se
sentait complètement écrasé, rabaissé » « Alexia, en période de
crise, pouvait avoir des accès de violence extrêmement importants à l'encontre
de son compagnon ». Pire, la reprise des arguments de l’avocat du
meurtrier affirmant qu’il « y avait 2 victimes dans cette affaire »
met sur le même plan de manière totalement indécente la victime et son
meurtrier. Le choix de l’iconographie est également éloquent : c’est le
visage larmoyant du meurtrier qui s’affiche partout alors que celui de la
victime apparait beaucoup plus rarement.
4°) Gendre idéal, pas la tête de quelqu’un
qui veut tuer sa femme :
grand classique des meurtres sur conjoint, interroger les voisins, les
collègues qui déclareront tous que le meurtrier était quelqu’un de très aimable
qui disait toujours bonjour et qui n’avait pas le physique de l’emploi.
Pourtant, plutôt que d’enchaîner ces témoignages sans grande valeur
informationnelle, il aurait été plus pertinent d’interroger des expert.e.s de
la question des violences conjugales. L’occasion de découvrir qu’il n’existe
pas de portrait-type du meurtrier conjugal, de par la diversité des âges et des
milieux professionnels représentés. Et que contrairement
à une idée reçue, "l’absorption d’alcool ou de drogue n’est pas un
facteur déterminant des violences. Dans 60 % des cas (83 faits), on ne
constate la présence d’aucune substance susceptible d’altérer le discernement
de l’auteur et de la victime au moment des faits, ni aucune autre addiction,
note l’étude du ministère de l’Intérieur. De la même façon, les troubles
psychologiques ne jouent pas un rôle essentiel, puisqu’ils apparaissent chez
seulement 20 auteurs de violences, hommes et femmes confondus".