En novembre
dernier, j’ai lancé sur Twitter le hashtag #Balancetonforum, sans vraiment réaliser
l’ampleur qu’aurait par la suite cette campagne. Après des années d’inertie
face au cyber-harcèlement des femmes sur jeuxvideo.com, il me paraissait urgent
de faire réagir Webedia, propriétaire de jeuxvideo.com.
La
méthode : taper au portefeuille du groupe en interpellant ses
annonceurs, comme cela avait été fait avec succès pour l’émission « Touche pas à mon poste ».
3 jours après avoir été en trending topic sur Twitter, l’opération a porté ses
fruits puisque 8 annonceurs ont retiré leur publicité du site. Et contraint
Webedia à s’expliquer et à trouver des solutions.
Aujourd’hui, le succès de la
campagne se confirme par cet article du magazine Stratégies qui reprend l’étude menée par Nicolas
Vanderbiest en collaboration avec Visibrain : #balancetonforum et le
laxisme de Webedia face au cyber-harcèlement figurent en 4ème
position dans le top 5 des plus graves crises de 2017.
Un bad
buzz qui nous en apprend beaucoup sur les erreurs de communication auxquelles
sont souvent confrontées les marques en pleine crise.
Erreur
N°1 : communiquer tardivement, réagir plutôt qu’agir
Le
harcèlement des femmes sur le site jeuxvideo.com est loin d’être une nouveauté
puisque que « depuis 2013 des militantes féministes, des victimes et des
médias alertent sur la culture haineuse du 18-25. En vain » nous apprend cet article de Buzzfeed. Les propos racistes,
antisémites, sexistes, homophobes, transphobes émaillent ainsi régulièrement le
forum depuis des années sans susciter de réactions franches de la part de
Webedia. Jules Darmanin, le journaliste en charge de cet article, explique que
« Cédric Page (responsable entre autres du site) n'a cependant pas répondu à notre demande d'interview, ni
aux 5 autres entre janvier et novembre 2017. ». Lorsque ce dernier
s’exprime, ces propos sont extrêmement tièdes par rapport à la violences des
attaques subies par les victimes : en 2015 il parle ainsi de « laisser une
grande liberté aux utilisateurs » et d’ « autogestion ». Suite
au communiqué de presse d’Elliot Lepers dénonçant une cyber-attaque de grande
ampleur, Cédric Page prend enfin la parole pour condamner les agissements de
certains membres du forum...tout en les excusant : ces méfaits ne seraient
que « l’expression de la jeunesse ». Un communiqué de presse suivra
pour condamner les attaques et évoquera un « effort particulier de
modération » sans plus de détails. Il faudra une nouvelle crise, à savoir
le lancement de #balancetonforum et le retrait de plusieurs annonceurs pour que
Webedia s’exprime de nouveau à travers la voix de Véronique
Morali pour annoncer, non pas une feuille de route précise mais l’association
du groupe à la plainte de Nadia Daam.
Erreur N°2 : manquer d’empathie à l’égard des
victimes
Alors que le
cyber-harcèlement dure depuis des années, jamais Webedia n’a émis un signe à
l’égard des victimes, pas plus qu'il n'a formulé officiellement d'excuses. Cet article de LCI le confirme « Les trois victimes de cyberharcèlement que nous
avons contactées, pourtant, sont formelles : malgré leurs nombreuses
interpellations des modérateurs de jeuxvideo.com, elles disent n’avoir jamais
reçu de prise de position officielle. "Il est vrai que certains topics (sujets
de discussion, ndlr) sont supprimés" précise Eve. "Mais beaucoup
restent en ligne… et leurs insultes avec.". Pire encore, ce tweet de Cédric
Page adressé à Caroline de Haas alors même que cette dernière avait été
victime de menaces de viol émanant de membres du forum. Pour l’empathie, on repassera.
Erreur N°3 : mal choisir son/sa porte-parole
Jusqu’au
lancement de #balancetonforum, seul Cédric Page prenait la parole publiquement
(toujours sous la pression des événements
on l’a vu précédemment). Après le retrait des annonceurs, c’est
désormais Véronique Morali, présidente du directoire de Webedia, qui a été
choisie visiblement précipitamment pour s’exprimer dans les médias et via un
communiqué de presse. A la lecture de celui-ci, on comprend très vite pourquoi
: « En tant que fondatrice de l’Association Force Femmes, co-fondatrice du
Women Corporate Directors Paris, fondatrice du site Terrafemina, et par le
passé présidente et co-fondatrice du Women’s Forum, j’ai consacré ma carrière à
la lutte pour la représentation des femmes dans la société et dans le monde
professionnel ». On peut se demander où était passée cette farouche
défenseure des droits des femmes durant toutes ces années de
cyber-harcèlement…Vous avez dit « femme-alibi » ?
C’est
également elle qui fera le tour des plateaux les jours qui ont suivi
#balancetonforum pour affirmer qu’il fallait « donner sa chance à la liberté d’expression »
ou que la publicité n’existait pas sur le forum jeuxvidéo.com (argument vite démonté par la rubrique
« Désintox » de Libération). D’où l’importance de choisir bien en
amont la personne qui sera amenée à s’exprimer dans les médias en cas de crise.
Erreur 4 : mépriser ses détracteurs
Alors même
que le lancement de #balancetonforum aurait pu être le début d’une discussion
entre militant.e.s et Webedia, le groupe n’a pas donné suite à nos
sollicitations de rencontre initiées sur Twitter. Pire encore, les mots du
communiqué de presse à l’égard des internautes mobilisés (des ignorant ou des malveillants) sont empreints d’un
profond mépris : « Je ne peux accepter les amalgames qui sont faits
aujourd’hui par certains observateurs, qui, par ignorance ou malveillance, portent atteinte à la dignité et aux
valeurs qui sont les miennes et celles de Webedia ». Dans le communiqué de
presse, 6 lignes condamnent le cyber-harcèlement et annoncent le doublement de
la modération tandis que 7 lignes dénoncent la création et l’utilisation du
hashtag #balancetonforum : « Le Groupe dénonce les hashtags apparus
en cette fin de semaine à l’initiative de certains internautes sur Twitter, qui
interpellent les annonceurs du site jeuxvideo.com, ainsi que la pression
exercée par certains pour obtenir une réaction de leur part. Ces messages,
dénigrant pour certains, diffamatoires et injurieux pour d’autres, créent une
confusion inacceptable et impliquent injustement les valeurs du Groupe. ». Pourtant, une communication efficace et moins agressive de la part de Webedia aurait permis des échanges fructueux entre les 2 parties. N'oublions pas que les détracteurs d'hier peuvent devenir les ambassadeurs de demain. A condition de les traiter sans mépris ou condescendance.
Erreur N°5 : Ne pas être transparent au sujet de ses
actions
« Je n’avais jamais vu l’administration à ce point secouée et
réactive à une affaire. Il était temps, à vrai dire. » confiait un des modérateurs bénévoles du forum au
site du Monde. Pourtant, les mesures semblent avoir été prises dans la
précipitation et sans feuille de route, dans la réaction plutôt que dans la
réflexion. Blocages de mots-clés puis rétropédalage, embauche de CDD…jusqu’à la
fin 2017 : ces mesures ont vraisemblablement été efficaces dans l’instant
mais ne présagent en rien du futur. Sans feuille de route précise, sans
engagement lisibles et visibles, échelonnés dans la durée, rien ne garantit à
Webedia qu’ils pourront échapper à une nouvelle crise. Et pas question de
compter sur le compte Twitter de Véronique Morali, verrouillé, ou sur celui de
Webedia pour en savoir plus sur les suites de leurs actions. Le compte du
groupe s’est uniquement contenté de tweeter le communiqué de presse en novembre
dernier sans autre commentaire. Service minimum, transparence zéro.
Erreur N°6 : Ne pas avoir senti l’air du temps
La
libération de la parole des femmes est omniprésente. Celles-ci sont enfin
entendues et considérées. Les hashtags #metoo et #Balancetonporc ont eu des
répercussions planétaires. Comment, dans ce contexte, expliquer le manque de réaction
d’un groupe de la taille de Webedia ? Comment justifier son manque d’empathie envers les
victimes, sa condamnation tardive des agissements de certains membres du
forum ? Comment peut-on affirmer être au plus près de la jeunesse tout en
ne pressentant pas les changements à l’œuvre, en ne sachant pas capter l’air du temps ?
L’étude de
Nicolas Vanderbiest nous apprend, entre autres enseignements, que 23% des bad
buzz de 2017 ont éclaté pour des motifs de défense contre le sexisme. Une cause
que les communicants ne pourront définitivement plus ignorer en 2018.