Il y a quelques jours, je regardais le journal télévisé avec les
enfants (oui, je regarde souvent le journal avec eux, en zappant quand c’est trop
violent et en expliquant toujours) et ai constaté que les journalistes ont
parlé essentiellement de 1°) l’évasion du criminel Redoine Faïd 2°) de joueurs
payés des millions pour taper dans un ballon (et aussi un peu de Nordhal Lelandais).
Je me suis alors demandé quel modèle masculin véhiculaient ces
images répétées inlassablement, ces mots scandés à l’unisson, de façon
quasi-subliminale. On me reprochera sans doute de mettre sur le même plan des criminels
et des footballeurs, qui eux véhiculent par ailleurs des valeurs de réussite et
d’engagement sportif. En effet. Mais on ne peut pas nier que ce sport participe
à la construction d’une certaine forme d’identité virile et violente, en
témoignent les insultes sexistes, homophobes ou racistes régulièrement lancées
lors de matchs, l’hooliganisme, les violences conjugales (qui augmentent de 38 %
en Angleterre après une défaite d’après une étude récente et de 26% en cas de
victoire).
Quelques
heures après la diffusion du journal, je suis tombée sur une rediffusion de « C
dans l’air » intitulée « Un caïd en cavale ». Là encore, j’ai
été frappée par le culte à peine masqué d’une certaine forme de masculinité
toxique. Rien que le titre, « le caïd en cavale », n’est pas neutre :
on pense immédiatement aux films de genre, à Belmondo, on imagine l’affiche d’un
film, un homme sautant dans un hélicoptère…sauf que la réalité est toute autre.
Un titre tel que « Un criminel s’évade de prison pour échapper à sa condamnation »
aurait davantage correspondu aux faits, même si, je l’accorde, il aurait fait
moins rêver dans les chaumières.
On
retrouve la même glorification journalistique du meurtrier dans le traitement des
violences sexistes et sexuelles, j’en parle d’ailleurs régulièrement dans mon
Tumblr « Les mots tuent » :
le criminel est souvent décrit comme un homme dévoré par la passion (« j’ai
agi par excès d’amour »), les femmes ne jouant que le rôle d’élément
perturbateur.
Par ailleurs, l’expression « drame conjugal » fréquemment utilisée pour parler des homicides conjugaux n’est pas anodine car le mot « drame » est issu du champ lexical du théâtre. Il fait appel à l'affect et à l'émotion. Il a pour but de romantiser l'horreur du crime pour attirer la compassion. Le meurtrier n'est plus un homme violent mais presque un héros de roman, pris dans les turpitudes de la passion ou de la jalousie. Il tue malgré lui.
Par ailleurs, l’expression « drame conjugal » fréquemment utilisée pour parler des homicides conjugaux n’est pas anodine car le mot « drame » est issu du champ lexical du théâtre. Il fait appel à l'affect et à l'émotion. Il a pour but de romantiser l'horreur du crime pour attirer la compassion. Le meurtrier n'est plus un homme violent mais presque un héros de roman, pris dans les turpitudes de la passion ou de la jalousie. Il tue malgré lui.
J’ai été frappée de retrouver les mêmes ressorts, le même vocabulaire
tout au long de l’émission consacrée à Redoine Faïd : « il a une aura »
« il possède une dimension romanesque, atypique » « son moteur c’est
pas l’argent, c’est l’adrénaline » « il fascine ». Bernard
Petit, ancien directeur de la police judiciaire de Paris explique lors de l’émission
« Dans le temps, les voyous qui montaient au braquage obtenaient une aura
dans le milieu, une reconnaissance de la part des filles : « C’est un
mec, il monte au braquage » et ça le dédouanait du fait d’exploiter les
femmes. Ils allaient chercher ça. » « Ca pèse dans la démarche criminelle,
ce sont « de beaux mecs » ».
Les différents intervenants sur le plateau ont à plusieurs
reprises insisté sur le fait que la légende de Redoine Faïd s’est construite largement
grâce aux médias (tout en y participant paradoxalement à leur tour pendant près
d’une heure) et que lui-même avoue avoir été influencé par le cinéma (notamment
par le film « Heat »). Jérôme Pierrat a même cité une phrase de
Michel Ardouin, l’ex-bras droit de Jacques Mesrine à l’écoute de son verdict « 10
ans pour moi, 10 ans pour le producteur qui m’a intoxiqué ». Preuve que
les images et les mots sont loin d’être anodins dans cette construction valorisante
du crime comme forme de virilité. Il n’y a qu’à lire le tweet de Béatrice Dalle
pour s’en convaincre : « Que Dieu te protège. Bravo Redoine Faïd, toute la
France est avec toi, enfin moi en tout cas c’est sûr… Au revoir pénitentiaire,
au revoir… Bordel, je vais danser le Mia pendant des heures pour fêter ça. ».
Sur des adolescents en construction, cette glorification de la masculinité
toxique peut être ravageuse, surtout quand elle est mise en scène au cinéma ou
à la télévision, à l’image de « L’instinct de mort », le film en 2
parties retraçant la vie Jacques Mesrine. Un homme souvent glorifié et pourtant
dangereux et violent, notamment avec celles qui partageaient sa vie (dans une séquence du film, il tabasse et rentre le canon d’un pistolet dans la bouche de Maria de
Soledad, la femme avec laquelle il a eu trois enfants).
Quand on jette un œil au forum 18-25 du site jeuxvideo.com, on
peut constater que pour beaucoup, Mesrine reste un « modèle de virilité »
« un bonhomme » « une paire de couilles ».
Etre violent, tuer, braquer pour s’affirmer comme « un vrai
bonhomme ». Mais aussi rouler vite.
Les tweets de Julien Rochedy, ex-directeur national du Front National de la jeunesse, au sujet de son stage de récupération de points sont assez éloquents, : « Peu de fragilité, beaucoup de solides gaillards qui se font donner la leçon pendant 2 jours par des pédagogues à la voix mielleuse ».
Les tweets de Julien Rochedy, ex-directeur national du Front National de la jeunesse, au sujet de son stage de récupération de points sont assez éloquents, : « Peu de fragilité, beaucoup de solides gaillards qui se font donner la leçon pendant 2 jours par des pédagogues à la voix mielleuse ».
Oui, car être un vrai bonhomme, c’est rouler vite et se tuer sans
airbags (l’autocollant et les testicules en plastiques sont vraiment en vente,
merci @Charybenscylla pour l'information).
On peut trouver cette image de la virilité véhiculée par le cinéma,
les réseaux sociaux ou la télévision anecdotique, amusante ou anodine.
Elle est en réalité lourde de conséquence et toxique, pour les
hommes eux-mêmes mais aussi dangereuse pour les femmes (78% des victimes d'homicides conjugaux sont des femmes par exemple et 88% des victimes de violences entre partenaires)
« Dans "La fabrique des garçons" (MSHA), Sylvie Ayral et Yves
Raibaud dénonçaient déjà les effets délétères de l’éducation masculine, encore
centrée sur l’agressivité et la compétition, avec des conséquences dramatiques:
69% des morts sur la route, 80% des morts par overdose sont des hommes » explique cet article du journal « Le Temps ».
Aujourd’hui :
96% des personnes condamnées pour violences sur leurs partenaires ou ex-partenaires sont des hommes.
Avec « Me too» « Balance
ton porc » et « Time’s up » (littéralement « il est temps »),
la parole des femmes s’est libérée et a enfin été entendue.
Time’s up : il désormais temps que les hommes s’engagent et déconstruisent
enfin ce culte de la masculinité toxique.