Il y a quelques jours, j’ai vu passer ce tweet émanant d’une conseillère principale d’éducation:
Bonjour j'ai une question pour vous : les rouge à lèvre liquide mat sur les élèves ça vous pose problème ou pas?— Mme La CPE (@Mme_la_CPE) 24 septembre 2018
Gros gros débat avec l'infirmière qui part en guerre contre ça. Alors que moi je trouve ça très joli et cela ne me dérange pas.
Votre avis?
Forcément, ça m’a fait réagir :
Le problème c'est les "gros gros débats" qui portent sur le corps des filles et des jeunes femmes au sein de l'école. Vous débattez aussi pendant des heures de la longueur des bermudas pour les garçons ? https://t.co/eIr1XkbpPJ— Sophie Gourion (@Sophie_Gourion) 25 septembre 2018
Ces « gros gros débats » au sein de l’équipe
éducative pour savoir si un rouge à lèvre liquide mat pose problème sont loin d’être
anecdotiques.
Ce tweet n’est qu’un exemple parmi tant d’autres tant les injonctions et les jugements à l’encontre de leur physique et de leur tenue semblent être devenus monnaie courante de manière totalement décomplexée.
Dernier exemple en date, celui de cette collégienne partie à l'école en short et qui s'est vue reprocher par la CPE
sa tenue "incorrecte". Elle lui a alors fait enfiler un jean sale. Il y a quelques jours, la nouvelle
proviseure d’un lycée du sud de la France a décidé d’interdire purement et
simplement le port du short aux filles. "Selon la proviseure, les filles doivent s’habiller de façon
"décente", c’est-à-dire avec des pantalons, afin que les garçons ne soient pas dérangés dans leur apprentissage
scolaire. Nous devons donc, pour le bien des garçons, nous couvrir afin
qu’ils puissent étudier tranquillement. ". Grâce à la mobilisation des
élèves, la proviseure est finalement revenue sur sa décision.
Cette police du vêtement ne se limite pas au collège ou au
lycée malheureusement.En 2016, un centre de loisirs a
demandé à des parents de mettre "un short sous la jupe" de leur
fille de 4 ans pour éviter "des situations complexes à gérer" et
"des comportements déplacés".
L’année dernière, ma fille, à l’époque en CM1, m’avait fait état de discussions
entre maîtresses de l’école pour savoir s’il fallait interdire short et
débardeurs aux petites filles au motif qu’"elles auraient bien le temps
de s’habiller plus tard comme elles le veulent".
Paradoxalement, alors que la parole des femmes s’est
récemment libérée et qu’elles sont enfin écoutées, la liberté d’action des
filles et des jeunes filles, elle, semble se réduire. Dans une indifférence
quasi-générale, leurs tenues sont contrôlées, leurs jupes et leurs shorts
mesurés au nom de la décence et de la tranquillité des garçons.
Mais ce contrôle sur leurs corps ne s’arrête pas là.
Ce seraient les parents eux-mêmes qui exercerait une
pression plus ou moins inconsciente sur le corps de leurs filles comme l’explique
cet article d’Arièle Bonte sur le site "RTL
Girls".
La journaliste évoque ainsi l’ouvrage du scientifique Seth Stephens-Davidowitz "Tout le monde ment... (et vous aussi !) Internet et le Big Data : ce que nos recherches Google disent vraiment de nous", paru en mai 2018 : "peu de parents iraient affirmer qu'ils ou elles sont conscientes d'élever leurs garçons et leurs filles de façon inégale. Pourtant, selon les données collectées par Seth Stephens-Davidowitz et publiées en 2014 dans un essai dans le New York Times, la question "mon fils est-il surdoué" est posée à Google deux fois plus que son pendant féminin (aux États-Unis). Au contraire, "ma fille est-elle en surpoids" obtient deux fois plus de recherche que "mon fils est-il en surpoids".
Dans la vraie vie pourtant, peut-on lire dans le livre, les garçons sont majoritairement en surpoids, aux États-Unis, par rapport aux filles tandis que les filles ont majoritairement plus de chance d'intégrer un programme spécialisé pour enfants surdoués. Un bel exemple des rôles que l'on assigne aux hommes et aux femmes dès le plus jeune et qui n'appartiennent pas qu'aux États-Unis. ".
Cette pression sur les corps des petites filles n’est pas
passée inaperçue auprès des marques d’hygiène qui ont su flairer la manne financière
qui pourrait en découler. Le site France Info cite ainsi un numéro de Causette épinglant un nouveau
produit de la marque Lactacyd, commercialisé sous le nom de "Maman et
moi" : "Le groupe, spécialisé dans les soins d’hygiène intime pour femmes, propose un pack
contenant deux lotions lavantes pour la vulve : l’une pour la mère,
l’autre pour la fille, pour "un usage quotidien
dès 3 ans". Lactacyd n’est
d’ailleurs pas la seule marque à exploiter ce filon : Hydralin, Saforelle
ou Saugella proposent des produits similaires, avec le même type de packaging
rose bonbon. Pourtant, chez les petites filles, les indications pour utiliser
des soins d’hygiène intime spécifique sont rares, indique la Dre Phryné
Coutant-Foulc, dermatologue spécialisée dans les pathologies de la vulve.
"Ce sont des produits purement marketing :
on cible une zone qui n’a pas lieu d’être ciblée",
explique-t-elle. ".
Un "marketing de la honte" appliquée aux plus
jeunes (j’en parlais déjà en 2012 sur Slate) :
« Pendant qu’elles perdent un temps et une énergie folle à s’occuper de
leurs corps, les femmes ne s’occupent pas du reste. Comme l’explique Mona
Chollet dans son brillant essai Beauté fatale:
"La
dévalorisation systématique de leur physique que l’on encourage chez les
femmes, l’anxiété et l’insatisfaction permanente au sujet de leur corps, leur
soumission à des normes toujours plus strictes et donc inatteignables sont
typiques de ce que l’essayiste américaine Susan Faludi a identifié en 1991
comme le backlash: le "retour
de bâton", qui, dans les
années 1980 a suivi l’ébranlement provoqué à la fin de l’année 1960 par la "deuxième vague de féminisme". Le corps, a permis de rattraper par les
bretelles celles qui, autrement, ayant conquis –du moins en théorie– la
maîtrise de leur fécondité et l’indépendance économique, auraient pu se croire
tout permis. "
Aujourd’hui, ce sont nos filles qui sont victimes de ce
retour de bâton. Ne les laissons pas seules.