Parmi les
questions qui me sont régulièrement posées en interview reviennent souvent le
fonctionnement d'une rédaction, les raisons expliquant le nombre de titres
problématiques au sein de mon Tumblr "Les mots tuent" (350 articles répértoriés à ce jour).
N'ayant été que journaliste web pigiste et n'ayant donc jamais connu le travail
au sein d'une rédaction, il m'a semblé intéressant d'interviewer une rédactrice
en chef afin qu'elle nous éclaire sur toutes ces questions.
Merci à Nils
Wilcke de m'avoir mise en relation avec Armelle Le Goff,
rédactrice en chef à 20 Minutes!
Bonjour, un grand merci d’avoir accepté cette interview ! Pouvez-vous
vous présenter à nos lecteurs?
Je m'appelle Armelle Le Goff, je suis
rédactrice en chef à 20 Minutes depuis 2015, après plusieurs années en tant que
rédactrice en chef adjointe et cheffe du service Monde.
Pouvez-vous nous expliquer le
fonctionnement de votre rédaction ? Est-elle sensibilisée à la question du
traitement journalistique des violences faites aux femmes ?
Notre rédaction compte
100 journalistes à Paris et en régions (nous avons onze bureaux à Bordeaux,
Nantes, Toulouse, Strasbourg, Lille, Lyon, Nice, Marseille, Montpellier,
Nantes, Rennes où travaillent 3 à 4 journalistes). Tous les journalistes
travaillent sur 3 temporalités: chaud (pour toutes les infos à traiter
rapidement), tiède (pour traiter les infos du jour), froid (pour les sujets
ayant moins d’enjeux en termes de temporalité et/ou demandant plus de temps).
Concernant les violences faites aux femmes, on a évidemment des recommandations
de traitement dans une charte qui est à disposition de tous les journalistes et
que l’on remet à jour régulièrement.
Comment se concrétise cet engagement ?
L’engagement contre les violences faites
aux femmes fait partie de l’ADN de 20 Minutes. Si 20 Minutes est un
média non partisan, il est toutefois très engagé. Le respect de la personne
humaine est l'un des points fondamentaux de notre charte éditoriale. Cela
signifie de considérer avec une grande attention certains sujets comme la lutte
contre le racisme, l'homophobie, le combat pour l'égalité des sexes et les
violences faites aux femmes, entre autres. Du coup, c'est une question qu’on aborde
depuis longtemps et sous pleins d’angles. Par exemple, en 2013, on fait une Une
avec un dessin de Pénélope Bagieu (des femmes le bras levé) dont le titre est
“Continuons le combat” sur l’actualité du combat féministe en France. http://fr.1001mags.com/parution/20-minutes-france/numero-2561-21-nov-2013
fr.1001mags.com
20 Minutes France
n°2561 21 nov 2013 - Page 2-3 - pour 3 Françaises sur 4, le combat féministe
a toujours du sens. - premier quotidien national.
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Tout récemment, le vendredi 5 octobre
2018, on a organisé une journée-événement pour le premier anniversaire du
mouvement #Metoo avec une enquête sur le harcèlement sexuel dans le sport ; une
autre sur les objets connectés comme outils de harcèlement au sein du couple,
etc.
Selon votre expérience, pourquoi autant de rédactions ont recours à des
expressions type « drame conjugal » ou des titres
attrape-clics ? (dernier exemple en date : "Ivre, il poignarde
son amie croyant ouvrir un carton à pizza"). J’ai noté qu’une grande
majorité des titres épinglés par #LesMotsTuent proviennent de la PQR :
comment expliquez-vous ce phénomène ? Comment, selon vous, changer les
choses ?
Comment travaillez-vous avec vos homologues de 20minutes en région ?
Je pense que, aussi paradoxal que cela
puisse paraître, il y a, dans la presse, une grande méconnaissance du système
judiciaire. Ces titres et ces erreurs sont en grande partie dus à l’ignorance.
Après il ne faut pas négliger le fait que la presse et notamment la presse
quotidienne régionale sont toujours en grande partie aux mains d’hommes qui ne
sont parfois pas très attentifs à ces sujets. Mais cela change, la preuve à 20
Minutes où la rédaction en chef est parfaitement paritaire. Par ailleurs, à 20
Minutes, on fait régulièrement des formations à destination des chefs de
service et des rédacteurs sur le système juridique et le vocabulaire judiciaire
pour leur faire gagner en rigueur et en précision dans leurs articles.
Récemment, un titre problématique a été
publié par 20minutes (« Lorraine: jaloux, un conducteur de 18 ans fonce
sur sa copine et un de ses amis et les blesse »). Il a été rapidement
corrigé, ce qui est loin d’être le cas systématiquement. Que s’est-il
passé ?
Le grand nombre d’article publiés sur
toutes les plateformes de 20 Minutes implique que les rédacteurs publient leurs
articles et les mettent en même temps en relecture. Il y a donc une relecture a
posteriori d’un grand nombre de papiers. C’est ce qui s’est passé pour
celui-ci. Mais dès qu’il a été relu par la rédaction en chef, le titre en a été
corrigé.
Selon vous, la question du traitement journalistique des violences faites
aux femmes est-elle importante ? Quels conseils donneriez-vous aux
rédactions ?
Bien sûr, cette question est extrêmement
importante. La précision et la rigueur sur ce sujet sont extrêmement tout à
fait nécessaires. Mais le respect de la personne humaine l’est tout autant et
lorsque cela recouvre des faits de justice, la presse a une grande responsabilité
qu’elle peine parfois à assumer.
Trop de sujets ont par ailleurs été passés sous silence dans la presse
pendant trop longtemps. Notamment parce que les rédactions n’étaient pas à
l’image de nos sociétés. C’est important pour les femmes, mais c’est important
pour l’ensemble de la société que cela soit le cas et que les médias
réussissent à aborder la variété de sujets qu’attendent leurs lecteurs. Je
crois que c’est plus qu’ailleurs le cas à 20 Minutes et que c’est ce qui fait
notamment la clé de notre succès et la raison pour laquelle plus de 5 millions
de lecteurs nous lisent chaque jour.
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