J’ai remarqué en lisant des articles sur le sujet ou en assistant
à des conférences sur les freins limitant la carrière des femmes que l’accent était
souvent porté sur la responsabilité individuelle. Ainsi, il est d’usage d’enjoindre
les femmes à oser, à invoquer un manque de courage ou d’ambition ou de déclarer
qu’elles sont de mauvaises négociatrices. Le même angle utilisé au sujet de la
charge mentale : systématiquement, la solution brandie par tous les
magazines serait que les femmes soient mieux organisées. C’est encore une fois
faire peser sur leurs épaules la responsabilité de ces inégalités : elles
seraient à la fois victimes et bourreaux.
Lorsqu’on traite du sujet des inégalités dans le monde du travail,
il est important de ne pas éluder l’aspect systémique ou de dépolitiser cette
question. Non, les femmes ne sont pas de petites choses fragiles qu’il faudrait
éduquer pour affronter la jungle du monde du travail. Le vrai frein ce n’est
pas leur comportement mais les stéréotypes de genre qui les jugent et les
évaluent différemment des hommes.
Pour corriger les inégalités, il faut donc passer d’une injonction
individuelle à un changement profond des mentalités au sein des organisations. Et
cela passe par un décryptage des idées reçues.
Démonstration en 5 exemples.
Idée reçue
N°1 - Les femmes osent moins postuler
Il n’y a pas de différence flagrante entre le nombre de
candidatures envoyées par les femmes et par les hommes (88% contre 90% pour
leurs homologues masculins). C'est un des enseignements tiré de l’étude menée
par Linkedin intitulée « Différence hommes-femmes dans la recherche
d'emploi : quelle influence sur le parcours des candidats ». Alors
qu’elles consultent plus d’offres qu’eux (41 annonces par an versus 37), leurs
candidatures sont moins consultées par les recruteurs que celles des hommes
(13% en plus pour ces derniers). Et une fois que leur profil est examiné, elles
reçoivent moins de mails de réponse (3% d’écart avec les hommes). On ne peut
donc pas reprocher aux femmes de ne pas oser. Si malgré tout elles réussissent
à passer tous ces obstacles, elles ont, en France, légèrement plus de chance
(+2%) d'être embauchées que les hommes après avoir postulé. Et même 6% de mieux
pour un poste à plus haute responsabilité.
Idée reçue
N°2 - Les femmes attendraient d’avoir 120% de compétences pour postuler
Qui n’a pas entendu cette phrase dans une conférence ?
« Les femmes attendent d’avoir 100% des compétences pour postuler alors
que les hommes se contentent de 50% ». Pourtant, comme l’explique Marie Donzel sur son blog, il s’agit d’une légende urbaine, aucune étude
scientifique ne venant valider cette affirmation.
Une enquête interne de
Hewlett Packard s’est bien penchée sur le sujet mais ce chiffre n’a rien de
scientifique puisqu’issu du simple avis d’un dirigeant interviewé .
Tara Mohr, du Harvard Business Review est repartie de cette affirmation pour enquêter en posant
cette question à une centaine d’hommes et de femmes : « Pourquoi n’avez-vous
pas postulé à un job pour lequel vous estimiez ne pas avoir les
compétences ? ».
Fait intéressant, ce n’est pas du tout le manque de
confiance qui a été invoqué en premier, la réponse « Parce que je ne
pensais pas pouvoir faire le job correctement » n’arrivant qu’en dernière
position. Les hommes et les femmes ont d’ailleurs des résultats quasiment
équivalents sur cet item (12% versus 10%)
La première raison avancée pour 41% des femmes et 46% des hommes était :
« Je ne pensais pas qu'ils m'engageraient car je ne possédais pas les compétences
requises et je ne voulais pas perdre mon temps et mon énergie ».
En
d’autres termes, les personnes qui ne postulaient pas pensaient avoir besoin
des compétences non pas pour bien faire leur travail, mais pour être
embauchées. Il s’agit donc davantage d’une méconnaissance du processus du
recrutement, au cours duquel les compétences ne sont pas les seuls facteurs
entrant en ligne de compte, que d’un manque de confiance en soi.
Idée reçue
N°3 - Les femmes ne savent pas négocier
Une étude publiée dans la revue "Harvard Business Review", contredit cette idée reçue : les femmes
demanderaient aussi souvent des augmentations que les hommes, mais elles les
obtiendraient plus rarement. Ainsi, alors que 20% des hommes demandant une
augmentation y parviennent, ce n’est le cas que pour 15% des femmes.
L’article de la "Harvard Business Review" nous apprend
également que les différences s’estompent avec l’âge des salariés. En effet,
les jeunes femmes ne se distinguent pas des jeunes hommes – même quand il
s'agit du montant de l'augmentation. Preuve que la jeune génération peut être
pourvoyeuse de changement.
Idée reçue
N°4 - Les femmes réussissent moins que les hommes car elles agissent
différemment au sein de l’entreprise
Les différences de comportement entre les hommes et les femmes
sont une raison fréquemment invoquée pour justifier les inégalités dans le
monde du travail. Une étude de l’Harvard Business Review tord le cou à cette idée reçue. Pendant quatre mois, les
chercheu.r.seuse.s, ont passé au crible les données issues des échanges
d’e-mails et des agendas des réunions de centaines de salariés à tous les
niveaux hiérarchiques. Puis, 100 d’entre eux ont reçu des badges sociométriques
leur permettant de suivre leurs comportements individuels.
A l’analyse
des données, ils n’ont trouvé presque aucune différence perceptible dans les
comportements des femmes et des hommes. Les femmes avaient le même nombre de
contacts que les hommes, passaient autant de temps avec leurs supérieurs et, à
poste égal, allouaient leur temps de la même manière. Il n’y avait pas de
différence en ce qui concerne le temps passé en ligne, le travail effectif et
les conversations en face-à-face. Lors des évaluations de performance, les
femmes et les hommes obtenaient des résultats statistiquement identiques. Cela
valait pour les femmes à tous les niveaux hiérarchiques. Pourtant, les femmes
ne progressaient pas. Et les hommes, si.
Les chercheur.se.s sont donc arrivés à la conclusion suivante :
« Notre analyse suggère que l’écart entre les taux de promotion des femmes
et des hommes dans l’entreprise étudiée n’était
pas dû à leur comportement mais à la façon dont ils étaient traités. Cela
indique que les arguments destinés à faire évoluer le comportement des femmes –
à les inciter à « s’imposer » davantage, par exemple – passent
probablement à côté de la réalité : l’inégalité
femme-homme relève de préjugés et non de différences comportementales. (…) Il
est nécessaire que les entreprises considèrent l’inégalité femme-homme comme
n’importe quel autre problème économique : à l’aide de données chiffrées.
Idée reçue
N°5 - Les femmes ont moins d’ambition que les hommes
L’étude « Women and ambition » menée par le think tank « PWN » révèle que l’ambition
n’est pas réservée aux hommes. Ainsi, 88 % des femmes et 91 % des
hommes pensent qu’elle est un moteur important pour leur carrière.
En revanche, chacun des 2 sexes en a une perception différente, dans
laquelle les stéréotypes ne sont pas exempts, comme l’explique le think tank :
« L’ambition des femmes les pousse légèrement plus que les hommes vers
leur développement personnel : se réaliser, exercer un métier qu’elles aiment,
faire progresser leur carrière, chercher la reconnaissance. La maîtrise du
temps est aussi un peu plus marquante pour elles.
L’ambition des hommes les pousse légèrement plus que les femmes
vers le pouvoir et ses attributs concrets : occuper un poste stratégique et
influent, à « hautes responsabilités », visible ; pouvoir qui apporte
indépendance d’être son propre patron et argent. Peut-être les hommes
assument-ils ces facettes de l’ambition plus facilement que les femmes ?
Dans une moindre mesure, ils évoquent davantage que les femmes les
interactions managériales : manager et faire progresser ses équipes ».
En conclusion, même si l’ambition et le courage doivent bien sûr être
encouragés chez les femmes, ce levier doit s’inscrire pour les organisations
dans une volonté plus globale de lutter contre les stéréotypes.
Comme le
conseille l’Harvard Business Review : « Pour concevoir une solution
aux problèmes spécifiques d’une entreprise, vous devez chercher des données qui
vous permettront de répondre à des questions aussi fondamentales que « À
quel moment les femmes renoncent-elles ? » ou « Les femmes
agissent-elles différemment des hommes au bureau ? » ou encore
« Et si notre culture d’entreprise limitait l’évolution des
femmes ? ». Quand les entreprises mettent en œuvre une solution,
elles doivent mesurer les résultats en matière de comportements et de
promotions. Ce n’est que sur cette base qu’elles pourront passer du débat sur
les causes de l’inégalité femme-homme (préjugés versus comportement) à l’étape
nécessaire de la solution. »