"Le spleen n’est plus à la mode, c’est pas compliqué d’être
heureux" chante Angèle.
Du chief hapiness officer à tous les gourous du
développement personnel en passant par les vendeurs de pelles (copyright Cyrille
Frank) : tout le monde a compris qu’il y avait un potentiel de business
fructueux derrière la promesse du bonheur.
Vous me direz, ce n’est pas nouveau :
depuis toujours, on a fait croire aux consommateurs que telle grosse voiture
allait faire tomber les filles ou que tel robot ménager allait changer leur
vie. Moulinex libère la femme, on connait tous cette rengaine.
Aujourd’hui, le glissement est furtif : la promesse ne réside
plus dans la possession de l’objet (même si la finalité est la même, à savoir vendre)
mais dans la seule quête dudit bonheur. Un bonheur accessible à chacun, pourvu
qu’il s'en donne la peine.
"Développement personnel", tout est dit.
Comme on parle d’"employabilité" pour faire croire aux gens
que leur carrière ne dépend que d’eux, qu’ils n’ont qu’à se former et se prendre
en main pour trouver du travail (tout en évitant soigneusement de mentionner qu’il
n’y en aura pas pour tout le monde) le bonheur n’est qu’une affaire de "développement
personnel". Comme on développe un chiffre d’affaire ou sa petite entreprise,
chacun est maître de faire grandir sa capacité à être heureux, comme un muscle,
tout cela n’est après tout qu’une affaire de volonté. Ce libéralisme forcené qui
s’attaque au plus profond de notre être, a, je trouve, quelque chose de
terrifiant.
A titre personnel, cette injonction à être heureux me
paralyse. Je sature de ces visuels dits « inspirationnels » qui
pullulent sur le net: sous fond de soleil couchant ou de femme en position du
lotus, s’écrivent en grosses lettres des phrases, souvent à l’impératif, nous
enjoignant à oser, à croire, à changer. Quelqu’un
sur Twitter m’a objecté que ces visuels étaient très utiles et que s’ils m’agaçaient,
je n’avais qu’à mieux paramétrer mes comptes. Le problème, c’est que, même avec
la meilleure volonté du monde, je ne pourrai y échapper tant ils sont omniprésents :
du vendeur d’aspirateur à celui qui me promet de gagner des milliers de clients
en un mois, tous utilisent ces images gnangnans bien moins anodines qu’elles n’en
ont l’air. Comme les 1200 publicités auxquelles nous sommes exposés par jour,
ces messages occupent notre temps de cerveau disponible de manière
quasi-subliminale.
Sois heureux et tais-toi. Sois l’artisan de ton bonheur.
Sors de ta zone de confort. Et si, comme son nom l’indique, ma zone de confort
me convenait?
Et si je n’avais pas envie de changer ?
Ou tout simplement pas les ressources morales ou financières
car souvent la prise de risque a un coût. Quant on traverse des périodes
difficiles, ces phrases peuvent aider certains. Mais aussi être également une double
peine pour la personne qui les lit : non seulement elle souffre mais elle
culpabilise en se disant qu’elle ne doit son malheur qu'à elle-même.
Quant à leur utilité, je serais curieuse de savoir qui a
changé de vie ou même le monde en lisant ces citations à l’eau de rose. Que
ceux qui sont devenus des mères Teresa ou des Steve Jobs à la lecture de ces
visuels inspirationnels lèvent le doigt.
Dans le monde du travail, c’est la même rengaine. Tous ces
baby-foots et ces jus de fruits bios ne compensent pas les horaires de dingue,
les organisations défaillantes ou l’absence de sens. Ils permettent juste de
faire rester les salariés plus longtemps au travail en brouillant la frontière
vie perso/vie privée. Et là encore, si tu es malheureux, tu ne peux t’en
prendre qu’à toi-même : tu n’avais qu’à aller voir le « Chief Hapiness
officer ».
Il aurait guéri ton mal-être à coup de chouquettes ou de
post-it en forme de cœur.
Elle est pas belle la vie ?