Lorsque je me connecte sur Linkedin, je navigue habituellement
entre des visuels aspirationnels dégoulinants (j’ai déjà parlé de mon aversion pour
la chose ici),
des témoignages de RH déclarant à longueur de posts leur amour pour les profils
atypiques et des promesses de vendeurs de bonheur.
En les lisant, on finit par croire tout est possible, que la
réussite n’est qu’une question de volonté individuelle. Dans ce monde
merveilleux du personal branding chacun.e est l’artisan de sa carrière, personne
ne restera sur le carreau.
Et puis un jour, je tombe sur cet article : « Si vous n’avez pas déjà un bon poste à 45 ans, la
plupart du temps c’est trop tard, plus personne ne misera sur vous ! ».
Ouch, voilà qui tranche avec le rose bonbon habituellement de mise sur
Linkedin. Et pourtant, en tant que femme de 46 ans, ma réalité est bien plus proche
de ce constat amer que des envolées lyriques des RH à mon endroit.
Il y a 2 ans, j’ai cherché du travail et, côté recruteurs, c’était
plutôt silence radio. Pourtant, j’ai fait ce que je conseille aujourd’hui à celles
que j’accompagne: j’ai identifié puis contacté sur Linkedin les personnes ayant
passé l’annonce avant de postuler, j’ai fait marcher mon réseau, j’ai adapté
mon CV et ma lettre de motivation. Mon parcours est certes atypique mais plutôt
riche : 11 ans chez L’Oréal, 3 ans de journalisme, 1 an et demi dans un
ministère Je n’avais jusqu’ici jamais connu de période sans emploi. De plus,
grâce à mes activités militantes et mon livre, je suis visible et identifiée
comme experte des questions d’égalité. Et pourtant.
Au début, j’ai lu, relu et fait relire par mes proches mon
CV et ma lettre : si ça se trouve, l’absence de réponse à mes candidatures
venait d’une énorme coquille rédhibitoire. Rien à signaler de ce côté-là.
Et puis, à force de relances, une recruteuse (que j’avais
rencontrée lors d’un événement lié à l’égalité femmes hommes, comble de l’ironie)
m’a avoué « On a préféré une junior ». Jolie litote pour m’annoncer
que j’étais déjà périmée. Ne venez pas me dire que j’étais trop chère, le
salaire était (pour une fois ) dans l’annonce et j’étais prête à m’y aligner pour
travailler sur le sujet des droits des femmes.
45 ans, trop vieille ? Impossible. La suite de mes
recherches allait me donner tort. Lorsque j’arrivais à décrocher des
entretiens, certaines questions me ramenaient systématiquement à mon âge. Un
jour, un recruteur m’a même demandé si je savais me servir des réseaux sociaux.
Alors que je suis très active sur Twitter, que j’ai créé un blog, un Tumblr et
un podcast. Cruel manque de curiosité et d’ouverture d’esprit, ces informations
figurant sur mon CV. Une autre fois, on m’a même lancé en entretien : « Vous
avez très bien fait de mettre une photo car vous faites plus jeune que votre
âge ».
Et alors, c’est si grave de faire 45 ans ?
Quand on est une femme, oui, indubitablement. C’est même la
double peine : âgisme et sexisme.
Si vous assistez à un événement autour de la recherche d’emploi,
vous tomberez toujours sur un.e coach vous enjoignant à ne pas vous laisser
aller, à teindre vos cheveux, à vous maquiller. Car c’est bien connu, les
cheveux blancs chez un homme c’est charmant (n’est-ce pas Georges) chez une
femme c’est négligé. Dans l’article cité plus haut, Anne Thévenet-Abitbol conseille
aux 45 ans et + : « A nous d’être et de montrer toujours autant
d’allant, d’envie et d’énergie ! ». L’énergie, je n’en manque pas. J’ai l’envie
chevillée au corps. Mais c’est la société
qui ne veut plus de moi.
J’enrage quand j’entends qu’il faut traverser la rue ou que
les employeurs peinent à recruter. Je ne veux pas que l’on m’embauche pour se
donner bonne conscience à peu de frais, pour remplir un quota de « seniors »
(quel horrible mot). Je suis fatiguée de voir que les femmes de mon âge que l’on
voit au cinéma ou en couverture des magazines fasse 10 ans de moins. Je ne les
critique pas, elles aussi subissent cette implacable pression de l’âge.
Avant de la vivre, je
n’aurais jamais imaginé qu’elle commencerait si tôt.
C’est quoi alors le bon âge pour faire carrière quand on est
une femme ?
Quand j’ai commencé à travailler à 25 ans, on m’a dit que je
n’avais pas assez d’expérience
A 30 ans, on m’a dit que j’allais faire des enfants
A 35 ans que j’allais m’en occuper et être moins disponible
Et à 45 ans, on me dit que je suis vieille. Pardon, qu’on m’a
« préféré une junior ».
Pourtant, aujourd’hui, mes enfants sont au collège et ont
moins besoin de moi, finis les soucis de nounou ou de visite chez le pédiatre. Je
dispose enfin de davantage de temps à consacrer à ma carrière. En termes
personnels, je suis bien dans mes baskets, j’ai pris confiance en moi (même s’il
y a encore du travail !), je sais ce que je veux et ce que je ne veux pas.
Professionnellement parlant, je peux m’appuyer sur des expériences riches et
diversifiées.
Heureusement, l’année dernière, j’ai eu la chance de pouvoir
me reconvertir dans un métier passionnant où l’âge est reconnu comme une richesse : l’accompagnement
professionnel des femmes. Une de mes clientes m’a même avoué un jour m’avoir préférée à
une autre consultante trop jeune ! Un comble !
Pour autant, la question n’est pas réglée. Aujourd’hui
freelance, je reviendrai sans doute un jour sur le marché du travail en tant
que salariée. Et on m’opposera encore une fois mon âge.
Alors que l’on se prépare à travailler plus tard que nos
ainé.e.s et que les 50 ans et plus constitueront la majorité de la population,
on ne peut plus continuer à nous laisser sur le bas-côté dans l’indifférence la
plus totale.
Les entreprises n’ont que la RSE à la bouche , signent des chartes
diversité à tout va mais occultent soigneusement le sujet de l’emploi des
seniors. Pas assez glamour sans doute. Promenez-vous dans les couloirs des
principales sociétés du CAC40 et vous verrez à quel point la culture du
jeunisme bat son plein.
Selon l’étude d’ADP The Workforce View in Europe, plus d’un tiers des salariés français
estime avoir subi une forme de discrimination au travail liée à son âge.
Quand est-ce que la société prendra enfin ses responsabilités
sur ce sujet?