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lundi 10 février 2020

Age critique



Lorsque je me connecte sur Linkedin, je navigue habituellement entre des visuels aspirationnels dégoulinants (j’ai déjà parlé de mon aversion pour la chose ici), des témoignages de RH déclarant à longueur de posts leur amour pour les profils atypiques et des promesses de vendeurs de bonheur.
En les lisant, on finit par croire tout est possible, que la réussite n’est qu’une question de volonté individuelle. Dans ce monde merveilleux du personal branding chacun.e est l’artisan de sa carrière, personne ne restera sur le carreau.

Et puis un jour, je tombe sur cet article : « Si vous n’avez pas déjà un bon poste à 45 ans, la plupart du temps c’est trop tard, plus personne ne misera sur vous ! ». Ouch, voilà qui tranche avec le rose bonbon habituellement de mise sur Linkedin. Et pourtant, en tant que femme de 46 ans, ma réalité est bien plus proche de ce constat amer que des envolées lyriques des RH à mon endroit.

Il y a 2 ans, j’ai cherché du travail et, côté recruteurs, c’était plutôt silence radio. Pourtant, j’ai fait ce que je conseille aujourd’hui à celles que j’accompagne: j’ai identifié puis contacté sur Linkedin les personnes ayant passé l’annonce avant de postuler, j’ai fait marcher mon réseau, j’ai adapté mon CV et ma lettre de motivation. Mon parcours est certes atypique mais plutôt riche : 11 ans chez L’Oréal, 3 ans de journalisme, 1 an et demi dans un ministère Je n’avais jusqu’ici jamais connu de période sans emploi. De plus, grâce à mes activités militantes et mon livre, je suis visible et identifiée comme experte des questions d’égalité. Et pourtant.

Au début, j’ai lu, relu et fait relire par mes proches mon CV et ma lettre : si ça se trouve, l’absence de réponse à mes candidatures venait d’une énorme coquille rédhibitoire. Rien à signaler de ce côté-là.
Et puis, à force de relances, une recruteuse (que j’avais rencontrée lors d’un événement lié à l’égalité femmes hommes, comble de l’ironie) m’a avoué « On a préféré une junior ». Jolie litote pour m’annoncer que j’étais déjà périmée. Ne venez pas me dire que j’étais trop chère, le salaire était (pour une fois ) dans l’annonce et j’étais prête à m’y aligner pour travailler sur le sujet des droits des femmes.

45 ans, trop vieille ? Impossible. La suite de mes recherches allait me donner tort. Lorsque j’arrivais à décrocher des entretiens, certaines questions me ramenaient systématiquement à mon âge. Un jour, un recruteur m’a même demandé si je savais me servir des réseaux sociaux. Alors que je suis très active sur Twitter, que j’ai créé un blog, un Tumblr et un podcast. Cruel manque de curiosité et d’ouverture d’esprit, ces informations figurant sur mon CV. Une autre fois, on m’a même lancé en entretien : « Vous avez très bien fait de mettre une photo car vous faites plus jeune que votre âge ». 

Et alors, c’est si grave de faire 45 ans ?

Quand on est une femme, oui, indubitablement. C’est même la double peine : âgisme et sexisme.

Si vous assistez à un événement autour de la recherche d’emploi, vous tomberez toujours sur un.e coach vous enjoignant à ne pas vous laisser aller, à teindre vos cheveux, à vous maquiller. Car c’est bien connu, les cheveux blancs chez un homme c’est charmant (n’est-ce pas Georges) chez une femme c’est négligé. Dans l’article cité plus haut, Anne Thévenet-Abitbol conseille aux 45 ans et + : « A nous d’être et de montrer toujours autant d’allant, d’envie et d’énergie ! ». L’énergie, je n’en manque pas. J’ai l’envie chevillée au corps.  Mais c’est la société qui ne veut plus de moi. 

J’enrage quand j’entends qu’il faut traverser la rue ou que les employeurs peinent à recruter. Je ne veux pas que l’on m’embauche pour se donner bonne conscience à peu de frais, pour remplir un quota de « seniors » (quel horrible mot). Je suis fatiguée de voir que les femmes de mon âge que l’on voit au cinéma ou en couverture des magazines fasse 10 ans de moins. Je ne les critique pas, elles aussi subissent cette implacable pression de l’âge.

Avant de la vivre, je n’aurais jamais imaginé qu’elle commencerait si tôt.

C’est quoi alors le bon âge pour faire carrière quand on est une femme ?

Quand j’ai commencé à travailler à 25 ans, on m’a dit que je n’avais pas assez d’expérience
A 30 ans, on m’a dit que j’allais faire des enfants
A 35 ans que j’allais m’en occuper et être moins disponible
Et à 45 ans, on me dit que je suis vieille. Pardon, qu’on m’a « préféré une junior ».

Pourtant, aujourd’hui, mes enfants sont au collège et ont moins besoin de moi, finis les soucis de nounou ou de visite chez le pédiatre. Je dispose enfin de davantage de temps à consacrer à ma carrière. En termes personnels, je suis bien dans mes baskets, j’ai pris confiance en moi (même s’il y a encore du travail !), je sais ce que je veux et ce que je ne veux pas. Professionnellement parlant, je peux m’appuyer sur des expériences riches et diversifiées.

Heureusement, l’année dernière, j’ai eu la chance de pouvoir me reconvertir dans un métier passionnant où l’âge est reconnu comme une richesse : l’accompagnement professionnel des femmes. Une de mes clientes m’a même avoué un jour m’avoir préférée à une autre consultante trop jeune ! Un comble !

Pour autant, la question n’est pas réglée. Aujourd’hui freelance, je reviendrai sans doute un jour sur le marché du travail en tant que salariée. Et on m’opposera encore une fois mon âge.

Alors que l’on se prépare à travailler plus tard que nos ainé.e.s et que les 50 ans et plus constitueront la majorité de la population, on ne peut plus continuer à nous laisser sur le bas-côté dans l’indifférence la plus totale. 

Les entreprises n’ont que la RSE à la bouche , signent des chartes diversité à tout va mais occultent soigneusement le sujet de l’emploi des seniors. Pas assez glamour sans doute. Promenez-vous dans les couloirs des principales sociétés du CAC40 et vous verrez à quel point la culture du jeunisme bat son plein. 

Selon l’étude d’ADP The Workforce View in Europe, plus d’un tiers des salariés français estime avoir subi une forme de discrimination au travail liée à son âge. 

Quand est-ce que la société prendra enfin ses responsabilités sur ce sujet?

6 commentaires:

  1. 45 ans : les enfants sont grands, le taux d'ocytocine (l'hormone de l'attachement) commence à baisser, les femmes sont enfin libres de prendre un peu de leadership. Elles deviennent des menaces...

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  2. Très bel article engagé !
    Pour le moment je n'ai jamais souffert de ce genre de choses...
    Mais mon dernier changement d'employeur commence à dater ! J'avais tout juste 40 ans et des enfants ados et pré ados... Sortis de crèche mais pas des soucis ☺️...
    Difficile dilemne : être dans le schéma idyllique de mère de famille comblée et femme active qui aime également son travail 💕

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  3. Bravo pour cette article. Il y a 10 ans j’ai passé plusieurs années à co-animer les ateliers de l’association Dynamique Cadres et je confirme : derrière les beaux discours la discrimination à l’embauche est très forte. Nom à consonance étrangère, adresse dans les banlieues éloignées, trou dans le cv (congés parentaux ou chômage longue durée) et hommes ou femmes l’age et encore l’âge. Comme toujours, en se serrant les coudes, en ne restant pas seul.e, en faisant jouer le réseau on y arrive !
    Quant au Pole Emploi passé 50 ans tout le monde devrait être « consultant » : c’est nier la difficulté à se vendre soi-même au quotidien !

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  4. Bravo pour votre analyse qui malheureusement est toujours d’actualité. Pourquoi ne pas encourager les entreprises à embaucher des seniors avec des allègements de charges sociales comme cela est proposé pour les jeunes?

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  5. Merci, c'est exactement ça, 51 ans trop vieilles pour 1 jeune 1 emploi ou trop jeune pour le nouveau 1 senior 1 emploi... Je n'ai jamais ete aussi longtemps au chômage, je n'arrive même plus à savoir que faire de mon débordement d'énergie...

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