Crédit illustration : Anna Parini
Depuis 2016, date de création de mon Tumblr « Les mots tuent », j’ai
passé beaucoup de temps à étudier le traitement journalistique des violences faites
aux femmes via le prisme des mots.
Aujourd’hui, j’ai eu envie de m’attarder sur un point tout
aussi important dans la représentation ou l’invisibilisation des femmes :
les illustrations.
Alors que les femmes accomplissent 70 %, en moyenne, du
travail familial et domestique, Axa a décidé de choisir le visuel d’un homme
pour illustrer son article sur la charge mentale ! On se demande bien ce
qui contrarie tant Monsieur, la tête entre les mains devant son ordinateur !
Peut-être le bruit de l’aspirateur ?
Peu de temps après ce tweet, Axa a rectifié et a changé le visuel de son article..@AXAFrance bonne idée un article sur la charge mentale mais cette illustration, franchement. On rappelle que les femmes accomplissent 70 %, en moyenne, du travail familial et domestique https://t.co/oQDUYAcjKW? pic.twitter.com/d9IxWjUFR1— Sophie Gourion (@Sophie_Gourion) April 27, 2020
Suite à ce tweet, Aude Lorriaux a posé une question
intéressante : comment illustrer un article sur une profession très
féminisée (ex : caissière, infirmière…) sans reproduire un stéréotype ?
(moi-même me pose souvent la question: dois-je parler "d'infirmières" pour mieux représenter la réalité?... mais le risque n'est-il pas alors de contribuer à perpétuer cette hiérarchie du soin très genrée > infirmières/ médecins?)— Aude Lorriaux (@audelorriaux) April 27, 2020
Une photo mettant en scène des femmes serait conforme à la
réalité puisque celles-ci représentent la grande partie de cette population.
Mais en même temps, en les associant au domaine du « care » on perpétue
le stéréotype dans l’imaginaire collectif. Ainsi, il est fort probable qu’un garçon
ou un homme qui verra cette image pensera inconsciemment que ces métiers ne
sont pas pour lui.
J’ai donc posé la question aux expert.e.s de Twitter et les réponses obtenues sont très pertinentes :
Est-ce qu'en choisissant d'illustrer non pas par des photos mais par des dessins, cela ne serait pas plus facile? Si unique, un dessin représentant systématiquent une et un infirmier. Si plusieurs, des dessins où ça alterne et se mélange. Dessin= légère distance au réel & ludique— Dr. Ay. Poulain Maubant (@AymericPM) April 27, 2020
My two cents : Ça dépend du coup du média et de la nature de l'illustration ? Si c'est un reportage, ben oui on montre ce qui est représentatif de la réalité. Sauf si l'angle est sur l'exception... Pas pareil si c'est un doc de l'onisep ou une fiction— Nénufar (@feu_feu_feux) April 27, 2020
Toujours mettre des femmes dans l’iconographie.Cela ouvre les représentations pour les métiers fortement masculinisés et valorisés.Cela représente la réalité pour les métiers fortement féminisés.Le jeune garçon qui ne voit pas d’infirmier rêve déjà d’être médecin.
— Gayssimus Gracchus 🐘 (@CrlGndr) April 27, 2020
pas simple. Idéalement, il faudrait une femme citée dans l'article MAIS pas anonyme. Une femme avec nom, prénom, titre. Sinon c'est une impasse: soit tu entretiens le stéréotype, soit ce n'est pas représentatif.— IsabelleGermain (@IsabelleGermain) April 27, 2020
mais c'est svt compliqué. Qd on a voulu itwer des représentantes du personnel de crèche : un homme. Repres des femmes de chambre en grève : un homme. Va trouver une illustration qui colle...— IsabelleGermain (@IsabelleGermain) April 27, 2020
...où le SEO et l’image attrape-clics deviennent l’outil privilégié- Déontologique : quand il s’agit d’illustrer un sujet il faut aussi veiller, surtout si le contenu est militant et protecteur de droits humains, à ne pas stigmatiser / essentialiser / ridiculiser le sujet...
— JB (@J_Beauhaire) April 27, 2020
Résultat: on floute, on cadre sur 1 détail non représentatif, de dos, on décentre au max, on anonymise en post production...La question qui nous anime en fil rouge : cette photo, même avec l’accord de la personne, est-elle dévalorisante/stigmatisante & contraire à sa résilience
— JB (@J_Beauhaire) April 27, 2020
L'alternance :) Cela ne me choque pas de représenter le + souvent ces métiers par des visuels féminins, car c une réalité. Mais rien n'empêche de proposer de tps à autre un homme-infirmier (avec légende). Pour les caissiers, c un métier assez mixte désormais = parité de visuels.— Cyrille Frank (@cyceron) April 27, 2020
Le sujet de l’illustration peut paraître anecdotique
pourtant c’est loin d’être le cas comme l’explique cetarticle du site « Terriennes » : «Un journal possède un
double rôle, estime la photographe d’art contemporain, Mauve Serra alias
@MauveMov. En tant que reflet de la société, il a non seulement valeur de
témoignage, mais aussi de représentation. On légitime ce qui existe. Et quand
on ne le fait pas, cela "invisibilise". En l’occurrence, moins il y a
de femmes en illustration, moins elles sont légitimées.» L’image a un pouvoir,
insiste Mauve Serra. Celui de façonner une grammaire visuelle.» Et tous les
détails comptent : la situation dans laquelle la femme est représentée, la légende
de la photographie ou encore les détails mentionnés, nom ou prénom. Le fil du
journal donne également des informations. «En page culture, on a tendance à
montrer la «femme déco». Comme si, après une double page économie remplie de
quinquagénaires en costume cravate, on avait besoin de se changer les idées. Je
note également qu’en fin de semaine les femmes reviennent.»
Le choix des visuels est d’autant plus important lorsqu’il s’agit
d’illustrer des articles portant sur les violences sexistes et sexuelles.
Ainsi, le site RTL a-t-il choisi d’illustrer un article
intitulé « Près d'un Français sur 5 a déjà été victime de harcèlement sexuel »…par une
photo d’une femme posant ses mains sur la main et la cuisse d’un homme !
« Alors
même que l’article stipule que « Près d’un Français sur cinq (18%) a déjà été victime
de harcèlement sexuel, dont près de trois femmes sur dix (28%), selon un
sondage Elabe publié jeudi 12 mai. » Soit, en fait, 7% des hommes et 28% des
femmes... » explique le site Acrimed.
Le site 20 minutes, quant à lui, brouille encore plus les
cartes en illustrant un article sur le harcèlement sexuel par une photo d’agression sexuelle !
Plus généralement, le recours aux images explicites pour illustrer
les articles portant sur les violences sexistes et sexuelles est à déconseiller
(coup de poing, femme ensanglantée…) car il exclue implicitement les violences
psychologiques.
Pour finir sur une note plus légère, j’ajouterai que le
contexte est important dans le traitement de l’information !
Les femmes
(belges et les autres !) vous en remercieront 😊 !