Chère Lisa,
Je prends la liberté de t'appeler par ton prénom alors que tout le monde ne te connait qu'en tant que "joggeuse", c'est ma façon à moi de te redonner une identité et un semblant d'humanité.
Ces derniers temps, les médias n'ont parlé que de toi, même s'ils n'avaient rien à dire, juste histoire de surfer sur l'indignation publique et alimenter la machine à clics. D'imprudente (quelle idée d'aller courir quand on est une femme) tu es passée sans transition à ennemi public numéro 1.
Tu dois payer pour ton mensonge. Tu mérites l'humiliation publique. Peu importe si on ne sait rien de toi, de ton histoire personnelle ou psychologique.
A peine la nouvelle de ton affabulation ébruitée, les chaînes d'information en continu se sont empressées de tendre le micro à tes voisins pour qu'ils rendent leur sentence irrévocable.. Il fallait bien nourrir la bête.
Moi-même, lorsque j'ai appris que ton histoire d'enlèvement avait été inventée, j'avoue t'en avoir voulu. Les femmes n'avaient pas besoin de ce genre de faux témoignages, surtout en ce moment. Et puis, mon cerveau a pris le pas sur mon émotion et j'ai réalisé : quoi qu'il en soit, les femmes ne sont pas crues. Quoi qu'il en soit elles ne sont jamais de bonnes victimes.
conseils aux femmes imprudentes ont bruissé un peu partout suite à sa disparition.
Dans le passé, une autre "joggeuse" en avait fait les frais, Alexia Daval (qui n'est d'ailleurs jamais partie courir). Très vite, les jugements etun général de gendarmerie viennent expliquer aux femmes qu'il est imprudent de courir seule. Pourtant, comme l'explique Valérie Rey-Robert ce type de meurtre reste de l'ordre de l'exceptionnel : en dix ans il y a eu moins de dix femmes tuées par des inconnus alors qu’elles faisaient du jogging.
Dans ton cas, il n'a fallu que quelques heures pour qu'Je répète souvent que le foyer est le lieu de tous les dangers pour les femmes : c'est là qu'elles ont le plus de probabilités d'être tuées, bien plus que dans une forêt sombre ou dans un parking. Accuser les victimes plutôt que clouer au pilori les meurtriers c'est un grand classique, ça s'appelle le victim-blaming.
C'est tellement fréquent que j'en ai fait un Tumblr intitulé "Les mots tuent". Tous ces articles (près de 400 à ce jour) relaient les mêmes rengaines sexistes.
Est- ce que la victime ne l'a pas un peu cherché? Est-ce qu'elle ne portait pas une tenue provocante ? Est ce qu'elle ne fait pas ça pour vendre son livre ? Est-ce qu'elle n'avait pas une personnalité écrasante ? Pourquoi elle n'est pas partie ? Pourquoi elle est partie ? Face tu perds, pile je gagne.
Heureusement, tu n'as pas été assassinée. Pour autant, certains semblent ne pas s'en réjouir et s'indignent que ton identité ne soit pas jetée en pâture au motif que tu as fait perdre leur temps aux équipes de gendarmes. On peut en effet le déplorer : pour autant, où sont ces indignés quand les auteurs de féminicides font tourner les forces de l'ordre en bourrique à force de mensonges et contradictions ?
Dans l'affaire Daval, bien que les gendarmes aient rapidement porté leurs soupçons sur Jonathann Daval, ce n'est qu'au bout de trois mois d'investigations qu'ils se sont clairement orientés vers ce dernier grâce à un nouveau témoignage, fourni par un des voisins du couple. 3 mois. Un mensonge bien réfléchi et minuté, puisqu'il avait même pris soin d'écrire le scénario des deux jours suivant la disparition d'Alexia Daval. Une antisèche rédigée une semaine après les faits et que les gendarmes retrouveront sur son ordinateur. Il avoue à la cinquième audition, le 30 janvier 2018. Mais il prétend que c'est un accident. Puis qu'il n'a pas brûlé le corps. Six mois plus tard, il se rétracte et accuse son beau-frère, Grégory Gay. Ici, pas d'indignation pour le temps perdu par les gendarmes. On préfère pointer les "crises d'hystérie" d'Alexia, sa personnalité écrasante.
Tu vois Lisa, même morte, une victime n'est jamais une bonne victime.
Dans ton cas, le mensonge a été très rapidement mis à nu, ce qui devrait rassurer ce qui craignent les faux témoignages de femmes. Ils sont très minoritaires, ne résistent pas à l'épreuve du temps et les accusatrices ont beaucoup plus à y perdre qu'à y gagner.
Je ne sais pas ce quels démons t'ont conduite à fuir et à mentir : sache que par ces quelques mots, sans doute vains, je t'assure de mon soutien pour les jours à venir.
J'espère que tu es bien entourée.
Le jour où on utilisera la même énergie et indignation pour vilipender les agresseurs, les violeurs et les assassins, je me dis que la culpabilité aura changé de camp.
La route est encore longue.
Prends bien soin de toi.
très juste , toujours un plaisir de vous voir mettre mes pensées au clair !!
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