Récemment,
j’ai été interviewée au sujet des red flags en recherche d’emploi, ces petits
drapeaux rouges que l’on repère lors des entretiens et dans les annonces et qui
crient en nous « Fuyons ! » (vous pouvez me lire à ce sujet chez
Maddyness
et dans le numéro d’octobre de Néon magazine).
On
a tous ses propres signaux d’alerte, en fonction de son âge, de son genre, de
ses valeurs et de ses besoins.
Voici
les miens :
- Le
tutoiement : c’est
sans doute une question de génération mais le tutoiement dans une annonce a le
don de me faire hérisser le poil, je l’interprète vraiment comme une marque de
fausse connivence. D’autant que sous ses dehors cools et sympathiques, le
tutoiement n’en est pas moins le reflet d’un certain rapport de pouvoir. Maëlle
Le Corre l’explique ainsi très bien dans son
article « Recrutement : ce que cache le tutoiement » : « Tutoyer
quelqu’un sans son assentiment revient en effet à l’inférioriser, à signifier
l’absence de toute déférence à son égard. » souligne le sociologue Alex Alber
dans son travail de recherches sur la pratique du tutoiement dans les rapports
hiérarchiques en entreprise. Il s’appuie notamment sur l’enquête de
l’ethnographe Denis Guigo pour montrer que la pratique du tutoiement en
entreprise reste conditionnée par le genre (les hommes tutoient davantage que
les femmes), l’âge (on tutoie plus facilement les personnes qu’on identifie
comme étant de la même génération) et la position hiérarchique (on s’autorise
plus à tutoyer quand on est soi-même élevé dans la hiérarchie) »
- Le nombre
d’expressions en anglais par ligne :
même si certains métiers l’exigent, le recours trop fréquent à l’anglais dans une
annonce a le don de faire s’allumer mon radar à bullshit. Faites attention: à
abuser de l’anglais, on tombe très vite dans le pipotron et on devient malgré
soi un même sur Twitter:
- Les expressions type hacker/ninja/rockstar/barbus : clairement, je n’imagine pas une
femme quand je lis ces mots, ne vous étonnez donc pas de ne pas arriver à recruter
de talents féminins si vous les utilisez dans une annonce
- Couteau
suisse : souvent
utilisée dans les petites structures, cette expression est un point d’attention.
De la compta au community management, elle sous-entend que l’on va sans doute
être amené.e à faire toutes sortes de tâches sans beaucoup de moyens à disposition
- On est une
grande famille :
le travail c’est avant tout un contrat dans lequel on cède sa force de travail
contre rémunération alors que cette expression brouille les limites et introduit
une part d’affectif qui n’a pas lieu d’être. L’amour inconditionnel que l’on
porte à sa famille n’est pas transposable au monde de l’entreprise.
- Baby-foot
et afterworks à gogo :
arguments souvent utilisés pour contrebalancer une charge de travail excessive,
ils trahissent également une grande porosité entre la vie pro et perso et
peuvent incarner une « bro culture » où les femmes auront du mal à
trouver leur place.
- Bonne résistance au stress,
capacité à travailler sous pression, grande disponibilité demandée : autoroute directe vers le burn-out, ces expressions
peuvent être également des repoussoirs pour les femmes qui ne souhaitent pas
sacrifier leur vie de famille. D’après une étude Indeed
2019, les femmes priorisent davantage que les hommes les questions d’horaires
(69% contre 59% pour les hommes).
- Les demandes exagérées : à l’image de cette annonce : questionnaire, vidéo, appel entretien culture, appel entretien technique, appel entretien final, 3 appels de référence. Et pourquoi pas un mars et le plan stratégique de l’entreprise à 5 ans ?
Bon, là c’est pas un red flag mais carrément le grand pavois !
Les mots
utilisés dans les annonces sont loin d’être anodins et peuvent même constituer
de véritables repoussoirs pour les femmes. Pour contrer cela, les recruteurs
chez Slack utilisent une plateforme appelée Textio, capable de détecter les
biais inconscients d’une offre d’emploi.
Car même avec
la meilleure volonté du monde, on n’est pas à l’abri de stéréotypes de genre.
Ainsi, vendredi dernier, j’ai relayé cette annonce tweetée par Jade Le Maître :
Au programme du processus de recrutement : 4 entretiens avec des hommes puis comité d’accueil avec bière et partie de FIFA. On a vu plus inclusif !"Ouin on n'a pas assez de femmes dans la tech "
— Jade Le Maître 🤖🏳️🌈 (@Aratta) November 4, 2021
"Ouin on essaye de recruter des femmes mais ya aucune femme qui postule à nos annonces "
Guess what ⤵️ pic.twitter.com/BjAOUh9wjm
Sans tomber
dans ce genre d’annonce caricaturale, les stéréotypes de genre peuvent se nicher
là où on ne les attend pas et dissuader indirectement les femmes de postuler. Cet article explique ainsi que Textio, l’entreprise américaine évoquée plus
haut, a analysé plusieurs centaines de millions d’offres d’emploi . « Les
résultats sont éloquents : si une annonce contient le verbe « diriger », alors
les femmes postulent moins que les hommes. Changez ce verbe par « construire »,
et les profils seront bien différents ! Des chercheurs américains s’étaient
déjà penchés sur le sujet en étudiant la portée des mots « leaders », «
compétitifs », qui réfèrent plus volontiers à la gent masculine. Les femmes
étant plus sensibles aux vocables tels que « relations interpersonnelles », «
soutien » ».
Et puisqu’une
image vaut mieux qu’un grand discours, je ne peux que vous inviter à vous
pencher sur cette illustration de @PeemaMin
avant de rédiger vos annonces !
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